« Otages » ou « prisonniers » ? De l’usage des mots dépend la perception des événements. Le choix, fait par les médias français, calqués sur la propagande israélienne, d’utiliser les termes « otage » ou « prisonnier » selon qu’il s’agisse de détenus israéliens ou palestiniens, n’est pas anodin et sert clairement à manipuler l’opinion publique.
Côté israélien, nous sont présentés des humains, avec des noms, des âges, des professions (souvent soldats), des passions, des familles, bref, une histoire, une vie. Les médias regorgent de reportages sur personnes, otages du Hamas libérés et de retour chez eux, chose dont on ne peut que se réjouir. Le tout, à grand renfort de longs témoignages des proches et de considérations subjectives des commentateurs médiatiques.
Côté palestinien, d’aucuns parlent de prisonniers, de détenus, voire même de « terroristes », comme l’animateur des Grandes Gueules sur RMC, Olivier Truchot. Celui-ci n’avait pas hésité à qualifier les 90 prisonniers palestiniens libérés le 20 janvier de terroristes. Pourtant, ces 90 personnes étaient 69 femmes et 21 adolescents, pour la plupart en attente de jugement. Cela étant dit, dans quasi totalité des médias dominants, ils et elles n’ont pas de noms, pas d’histoire, pas de familles, pas de souffrances et ne méritent ni reportage ni compassion. Plus facile d’invisibiliser ou de criminaliser que de s’interroger sur qui sont réellement ces personnes. Au 1er janvier 2025, les geôles israéliennes contenaient 10 221 prisonniers palestiniens. Rappelons que, selon Francesca Albanese, la Rapporteuse spéciale des Nations Unies sur les territoires palestiniens occupés, l’État israélien a enfermé environ un million de Palestiniens depuis 1967. Notre article.
Prisonniers ou otages ? Quand FranceInfo cède face au soutien du génocide à Gaza
Ainsi déshumanisé·es, hommes, femmes et enfants ne sont dans ces médias dominants – pas seulement ceux aux mains des milliardaires réactionnaires mais aussi sur le service public – que des anonymes, une sorte de meute, qui n’ont même pas droit d’être qualifié·es d’otages. Comme en témoigne la suspension immédiate d’un journaliste qui a fait « l’erreur inadmissible » de faire passer un bandeau qualifiant des prisonnier·es palestinien·es d’otages sur France Info TV.
Caroline Yadan, députée de la 8e circonscription des Français de l’étranger (qui comprend notamment Israël) s’est étranglée sur son compte Twitter dénonçant un bandeau « indécent », « abject et inacceptable », une « injure à ce qui fait notre humanité » et annonçant saisir l’Arcom.
Moins d’une heure après la parution de ce bandeau resté à peine quelques instants à l’écran, la chaîne adresse un message d’excuses : « À la suite d’une erreur inadmissible, un titre totalement inapproprié concernant la situation au ProcheOrient a été brièvement diffusé dans un de nos journaux sur France info canal 27 ». Des excuses renouvelées à 21h lors des infos du soir. Et la directrice de com de FranceInfo, Muriel Attal, de tweeter courageusement ceci : « On a immédiatement réagi Caroline. La direction de l’info et de ftv ont été des lucky luke 🙂 ♥ ».
Pour aller plus loin : Comment Caroline Yadan instrumentalise l’antisémitisme pour censurer toute critique de Netanyahu
À vomir. Dans le cadre du conflit israélo-palestinien, force est de constater donc qu’une bataille sémantique a court, fortement relayée et facilitée par l’emploi, ou le refus d’employer, certains termes dans les médias dominants. Au-delà de la charge émotionnelle que transporte le terme d’« otage » comparativement à celui de « prisonnier » et de son impact sur l’opinion publique, que nous dit le choix de ces mots ?
Premièrement, cela relève d’une logique colonialiste. Au regard du droit international, la prise d’otage est considérée comme un crime de guerre. Dès lors, il est aisé de comprendre en quoi l’usage de certains termes plutôt que d’autres sont cruciaux vis-à- vis de l’opinion publique et des contraintes exercées par celle-ci sur les gouvernements. Relevons quelques notions qui permettent au regard du droit international de faire la différence entre prisonnier et otage.
Qu’est-ce qu’un prisonnier ?
Le statut de prisonnier de guerre s’applique uniquement dans les situations de conflit armé international. Est considéré « combattant·e » toute personne membre d’armées régulières d’un pays ou d’un groupe armé organisé. Sa détention vise à le conserver hors de combat, elle n’a aucun caractère pénal ou répressif, ce qui le distingue du prisonnier de droit commun. Le statut s’applique a tout personne capturée dans le cadre de combats ou de son activité militaire. Cela signifie que, si un militaire est fait prisonnier alors qu’il se trouvait chez lui, avec sa famille, en dehors de ses activités de soldat, il est considéré comme un civil.
Le droit international humanitaire autorise la détention de personnes pour des motifs de sécurité impératifs dans des situations d’occupation. Les États sont tenus « d’assurer la protection des personnes privées de liberté » et cela implique de les maintenir en bonne santé et de préserver leur intégrité physique.
Qu’est-ce qu’un otage ?
Le terme est défini à l’article premier de la Convention internationale contre la prise d’otages de 1979. Pour qualifier une prise d’otage, il faut qu’il y ait capture ou détention, avec menace de l’intégrité physique ou du maintien en captivité de la personne détenue. Mais s’ajoutent d’autres éléments qui permettent le distinguo entre prise d’otages et « séquestration ». En effet, c’est l’intentionnalité, le fait de détenir une personne pour contraindre une tierce partie qui caractérise la prise d’otage.
Le preneur peut tout aussi bien être un gouvernement, un groupe armé ou criminel, un individu, et le tiers un « État » comme « une personne physique ou morale », en résumé : « quiconque » contre quiconque. En conséquence, ce qui fait la spécificité de l’otage est que, dans le cadre d’une relation antagoniste, l’un des adversaires contraint physiquement le corps d’une personne en la privant de liberté afin de contraindre moralement l’esprit de son adversaire.
10 221 prisonniers palestiniens en Israël au 1er janvier 2025, 80% d’entre eux sont enfermés sans avoir été jugés
10 221, c’est le nombre de détenu·es en Israël au 1er janvier 2025. 80% d’entre eux sont enfermés sans avoir été jugés. 2025 ont été condamné·es par des tribunaux militaires au cours de procès non équitables, 2934 sont en attente de procès. 3376 sont en détention administrative sans charges ni procès, et 1886 le sont au titre de la loi sur les « combattants illégaux ».
Des médecins arrêtés dans des hôpitaux pour avoir refusé d’abandonner leurs patient·es, des mères séparées de leurs nourrissons alors qu’elles essayaient de traverser le « couloir de sécurité » du nord de Gaza vers le sud, des défenseur·es des droits humains, des employé·es de l’ONU, journalistes et autres civil·es, voila le visage de ces détenu·es.
Considérant cela, peut-on alors réellement parler d’otages dans un camp et non dans l’autre? Le gouvernement israélien légitime -entre autre- ces procédés grâce à une loi nommée Loi sur l’incarcération des combattants illégaux, permettant de placer en détention arbitraire pour des durées reconductibles indéfiniment tout·e Gazaoui·e, sans procès et sans avoir à fournir la moindre preuve, en se basant sur la simple présomption de représenter une menace pour la sécurité de l’État. Cette loi permet la détention au secret et les disparitions forcées.
Or, au regard du droit international, ce statut de « combattant illégal » n’existe pas. « Finalement, Israël a adopté une législation lui permettant de violer « légalement » le droit international. Sauf que, normalement, dans un État de droit, le droit national doit toujours être conforme au droit international. Or, ici, ce n’est manifestement pas le cas. C’est d’ailleurs un paradoxe qu’a rappelé la Cour internationale de justice dans son avis du 19 juillet 2024 », dénonce Ghislain Poissonnier, magistrat spécialiste du droit international et vice-président de l’association Juristes pour le respect du droit international.
Un autre de ces dispositifs est la détention administrative. Elle touche principalement les habitant·es de Cisjordanie, et permet également d’incarcérer sans charges ni procès, n’importe quel·le Palestinien·e pour des périodes de six mois renouvelables indéfiniment.
Sur leurs conditions de détention, l’été dernier, Amnesty International a recueilli les témoignages de 27 personnes, des hommes, des femmes et un enfant, maintenues en détention grâce à cette loi, sans accès à un avocat ou à leur famille pendant plusieurs mois. Toutes ont déclaré avoir été soumises à des « actes de torture et d’autres traitements cruels, inhumains ou dégradants », pendant leur détention au secret. Détention s’apparentant dans certains cas à une disparition forcée.
La croix rouge a dû rappeler dans un communiqué officiel aux belligérants leur obligation de faire preuve de dignité et d’assurer la sécurité des otages et des détenus lors des échanges. En effet, lors de leur libération fin janvier, les prisonniers palestiniens étaient menottés, mains derrière la tête et portaient un bracelet sur lequel était écrit : « le peuple éternel n’oublie pas et pourchassera son ennemi ».
Rien de surprenant pour Thair Chritah, membre de la commission des affaires des détenus palestiniens : « Ils sont en mauvaise santé, ils ont été battus, humiliés, ont subi des actes de torture, surtout durant les derniers jours ».
Dans certains cas, les mauvais traitements vont jusqu’à entraîner la mort de prisonnier·es. Selon l’ONG palestinienne Addameer, spécialisée dans la défense des détenu·es palestinien·es, au moins 58 d’entre elles.eux ont perdu la vie derrière les barreaux des prisons israéliennes depuis le 7 octobre 2023.
L’ONG précise qu’il s’agit de la période la plus meurtrière pour les prisonnier·es palestinien·nes.
« Cette politique carcérale participe à briser la société palestinienne. L’objectif principal d’Israël est de prendre le plus de terre palestinienne possible, avec le moins de Palestiniens possible dessus »
Au delà du choix sur le terme adapté aux détenu·es palestinien.nes, les faits restent accablants, l’arrestation et la détention arbitraire, les durées illimitées et les conditions de détentions, l’absence de procès, d’avocats, ou d’accès à la famille, les tortures relèvent du crime de guerre et potentiellement de la prise d’otages. Ces conditions devraient interroger les journalistes sur la nature du régime israélien qui occupe militairement le territoire palestinien, et au cœur duquel le système pénitentiaire remplit une fonction de contrôle social de la population.
Et c’est là une autre raison pour laquelle Israël procède à un si grand nombre de captures. Selon Francesca Albanese, la Rapporteuse spéciale des Nations Unies sur les territoires palestiniens occupés, l’État israélien a enfermé environ un million de Palestiniens depuis 1967. Selon Shai Parnes, porte-parole de B’Tselem : « Cette politique carcérale participe à briser la société palestinienne. L’objectif principal d’Israël est de prendre le plus de terre palestinienne possible, avec le moins de Palestiniens possible dessus. La prison est, dans cette perspective, un outil parmi d’autres ».
« Ce qui est vraiment choquant, c’est que nous avons eu des témoignages de la part de gens qui ne se connaissaient pas, qui sont originaires de différentes régions de Palestine, qui ont été détenus dans 13 prisons israéliennes différentes, et qui racontent tous la même chose. C’est pourquoi nous en avons conclu que les prisons israéliennes sont un réseau de camps de torture. »
On le voit : rien qui ne vaille la peine d’être « discuté » dans les médias, rien qui ne mérite qu’on interroge ce que recouvre le sens des mots »…
Par A. G.