Handicap. Les ministères, les associations, les médias… établissent à l’unisson un « bilan amer », « mitigé », voire « révoltant » au sujet de la mise en œuvre de la « loi de 2005 ». Mais cette loi n’est pas la première, sous la cinquième république, à avoir posé des intentions au sujet des personnes handicapées et de leurs droits. Des intentions, sans plus. La « loi de 2005 » n’est ni l’alpha ni l’oméga du handicap. Comme tous les textes qui l’ont précédée, elle a souffert d’un défaut d’application, en raison notamment de trop nombreuses dérogations (accessibilité) ou d’un défaut constant de moyens mis en œuvre (éducation, emploi, loisirs, accessibilité….) par la puissance publique.
Cette loi, comme les précédentes, est marquée par une vision médicale du handicap, la personne concernée étant perçue comme « un objet de soins » et non comme un « sujet de droits » à égalité avec tous les autres. Emmanuel Macron n’est pas étranger aux difficultés rencontrées par les personnes handicapées. Depuis son arrivée à l’Élysée, les droits des personnes handicapées ont régressé. « Faire le bilan » est loin d’être suffisant, c’est un changement de paradigme qui s’impose, que la liberté, l’égalité, la fraternité, deviennent une réalité pour toutes et tous, sur tout le territoire. Notre article.
Un historique des lois sur le handicap
La première loi ouvrant un droit à « réparation » en cas de handicap survenu à l’occasion du travail date de 1898. En 1905, une loi d’assistance « aux vieillards, infirmes et incurables » est votée. Il faudra attendre 1945 et la création de la Sécurité sociale pour assurer l’ensemble des salariés contre les conséquences de maladies et d’accidents non liés au travail, mais les privant de leurs « capacités de gains ». Ces lois, parcellaires, sont fortement marquées par une vision caritative, médicale, du handicap. La première « grande » loi d’orientation portant sur les droits des personnes handicapées date du 30 juin 1975. Simone Veil était alors ministre de Valéry Giscard d’Estaing. Cette loi prévoyait déjà le droit à l’éducation, au travail et à un minimum de ressources.
Elle venait remplacer des dispositions antérieures, partielles, dont, notamment, une loi du 23 novembre 1957 affirmant le droit au « reclassement professionnel de tous les handicapés ». Elle introduisait l’obligation d’emploi de 10 % de « mutilés de guerre ou autres infirmes ». Faute de contrôles, cette loi n’avait jamais été appliquée. La loi de 1975 crée les CDES (Commission départementale d’éducation spéciale) et COTOREP (Commission technique d’orientation et de reclassement professionnel). La loi de 2005 fusionnera ces deux instances en une seule, la CDAPH (Commissions des droits et de l’autonomie des personnes handicapées).
La loi cinquantenaire désormais, imposait déjà l’accessibilité des bâtiments : « Les dispositions architecturales et aménagements des locaux d’habitation et des installations ouvertes au public, (…) doivent être tels que ces locaux et installations soient accessibles aux personnes handicapées. Les modalités de mise en œuvre progressive de ce principe sont définies par voie réglementaire dans un délai de six mois à dater de la promulgation de la présente loi. »
L’obligation d’accessibilité ne date donc pas de 2005, mais de 1975. La loi de 2005 avait prévu un délai complémentaire de dix ans afin d’entreprendre les travaux nécessaires pour l’accessibilité des établissements recevant du public au 1er janvier 2015 et pour les transports publics au 13 février 2015. Mais le Conseil des ministres de l’époque a approuvé, en 2014, un Agenda d’accessibilité programmée (Aap). Cet agenda accordait jusqu’à 9 ans de délais supplémentaires pour les gestionnaires d’au moins 50 établissements recevant du public (ERP) et pour les monuments historiques.
La loi de 2005, adoptée sous la présidence de Jacques Chirac, fixe l’obligation d’accessibilité pour les établissements recevant du public (ERP), pour les transports, les logements, les écoles… C’est l’accessibilité qui constitue l’élément le plus important de la loi. Elle institue les MDPH (maisons départementales pour les personnes handicapées), un « droit à compensation » via la prestation de compensation du handicap (PCH) par le biais d’aides humaines, techniques, et des aménagements de logements.
L’État doit prendre en charge les surcoûts générés par le handicap. Tout enfant en situation de handicap a le droit de s’inscrire dans un établissement référent de secteur, une école « ordinaire ». La loi nouvelle crée les Auxiliaires de vie scolaire (AVS), devenus depuis les accompagnateurs des élèves en situation de handicap (AESH). La loi reconnaît la responsabilité de l’État d’accompagner les enfants ayant des besoins spécifiques.
Pour aller plus loin : Handicap : pourquoi un maire de l’Eure a-t-il entamé une grève de la faim ?
Qu’est-ce qui a changé depuis 1975, concrètement ?
Qu’est-ce qui a changé depuis 1975 pour le logement, la scolarité, les études supérieures, la vie professionnelle, la vie, tout court ? L’inclusion, une réalité ? Peut-on faire mieux ?
Le ministère des solidarités a récemment publié une vidéo (inaccessible) portant sur le bilan de la loi de 2005. Le ministère rappelle l’obligation d’accessibilité ainsi que le fameux agenda d’accessibilité programmée concernant les ERP.
- 900 000 ERP selon la vidéo publiée par la secrétaire d’État, « n’ont pas encore entamé leur mise en accessibilité »
- 700 000 ERP sur tout le territoire « auraient rejoint » « le dispositif » et seuls 350 000 seraient devenus accessibles depuis 2015…
En 2021, sur handicap.gouv.fr, nous pouvions d’ores et déjà lire que « Le bilan de l’ordonnance de 2014 sur l’accessibilité révèle que sur les 2 millions d’ERP en France, 700 000 sont entrés dans le dispositif des agendas d’accessibilité (« AD-AP ») prévu par l’ordonnance. Ce chiffre vient s’ajouter aux 350 000 ERP déjà déclarés accessibles avant 2015. Ce sont donc entre 750 000 et 900 000 ERP sur le territoire (soit environ la moitié d’entre eux) qui ne sont, pour l’instant, engagés dans aucune démarche de mise en accessibilité. »
Ces chiffres n’auraient donc pas évolué entre 2021 et 2025. Le dossier des ERP aurait-il pris la poussière sur le bureau du ministère ? Le nombre de dérogations permises par le Code de la Construction et de l’Habitation serait-il trop important ? (En effet, les article L164-3 et R164-3 du Code de la construction et de l’habitation permettent l’accord de dérogations aux règles d’accessibilité.)
Sur les gares dites « nationales », la vidéo du ministère insiste. 97 gares nationales, 237 gares régionales, 62% des des « arrêts interurbains » seraient accessibles. Le site officiel de la SNCF voyageurs revendique 3000 gares. Dans Le Figaro du 26 avril 2023, Geneviève Darrieussecq affichait l’objectif de rendre les « 158 gares prioritaires nationales » accessibles pour tous les handicaps, moteurs et sensoriels, à l’horizon… 2027. La vidéo promotionnelle du ministère ne citait ni le logement, ni l’école, et pour cause. Le nombre de logements accessibles en France était déjà très faible, en raison des limites de la loi de 2005. En 2018, la loi Elan a donc porté un coup d’arrêt à la production de logements accessibles.
La conséquence est délétère pour les personnes handicapées. Comme en 1975, soit elles vivent en famille, soit elles sont placées en foyer, soit elles vivent dans des logements inadaptés (quand il ne s’agit pas de mal-logement) , ce qui, comme en 1975, les confine, les assigne à résidence. Le nombre d’enfants handis scolarisés a augmenté depuis 2006. Est-ce que les moyens alloués ont augmenté dans les mêmes proportions ? L’éducation est un droit. La loi précise cela depuis 1975. Le nombre d’enfants handicapés sans école du tout, ou subissant de fait une scolarité partielle, ne cesse d’augmenter, faute de notification d’heures d’AESH suffisantes, faute d’aménagements.
A l’école publique, les enfants handicapés subissent également le manque de moyens des établissements, le surmenage des équipes pédagogiques. Tant et si bien qu’ils sont invités à aller « là-bas », hors de l’école, au gré d’une réunion de l’ESS. « Là bas, ils savent faire ». Mais « là-bas », ce n’est pas une école, cela ne dépend pas de l’éducation nationale. Ce « là-bas », cet IME, ségrègue, en 2025, comme en 1975.
Les droits des personnes handicapées régressent
Nous assistons, de façon accrue depuis l’arrivée d’Emmanuel Macron à un poste de pouvoir, à une régression des droits des personnes handicapées. C’est en effet alors qu’il officie au sein du gouvernement de François Hollande, que le conseil des ministres, en 2014, adopte l’Agenda d’accessibilité programmée (Aap) Depuis son premier mandat en tant que président de la République, voici quelques-uns des faits d’armes d’Emmanuel Macron :
- L’accessibilité des ERP et des transports publics ne progresse pas
- La déconjugalisation de l’AAH n’a été concédée que tardivement,
- La loi dite Elan adoptée en 2018, abaisse de 100 % à 20 % la part des logements devant être entièrement accessibles aux personnes en fauteuil roulant dans les immeubles neufs. Un recul dénoncé notamment par le Défenseur Des Droits.
- L’AAH n’augmente pas, son montant est toujours inférieur au seuil de pauvreté.
- La PCH n’évolue pas
- L’inflation subie depuis la pandémie de 2020 n’a pas été compensée
- Les PIAL ont été créés, ils rendent l’accès aux AESH pour les enfants handicapés plus complexe et le travail, plus pénible, pour les AESH
- Les AESH n’ont toujours pas de formation, de salaire digne, de statut,
- Il est de plus en plus difficile d’obtenir des droits auprès de la MDPH
- Des budgets dédiés à l’adaptation des postes de travail ont été supprimés
- L’informatisation constante des services publics, rend plus complexe le dépôt des demandes : la starteupnécheune des uns est une négation des droits pour d’autres
- La suppression des lits dans les hôpitaux publics, la baisse constante des moyens de la santé publique, l’effondrement général du système de santé, éloignent le soin et la prise en charge, aggravent des situations,
- Des promesses non tenues… Comme celle de l’accessibilité des sites internet
- Les ministres et secrétaires d’état confondent allègrement ségrégation et inclusion
- L’absence de prise en compte de la convention ONU relative aux droits des personnes handicapées (notamment, encouragement de tous les dispositifs favorables au maintien des lieux de ségrégation).
Tous comptes faits, quel que soit le sujet, les personnes handicapées voient leurs droits restreints. Les discriminations perdurent ou s’aggravent, le handicap demeure la première cause de saisine du Défenseur des Droits. La France est régulièrement épinglée par l’ONU ou le Comité Européen des Droits Sociaux. Les lois successives, jusqu’à celles de 2005, induisent du capacitisme. En effet, ces lois sont tenantes de la vision médicale, caritative, du handicap. La personne handicapée est vue comme un simple « objet de soins », dont le consentement ne pèse que très peu dans les choix concernant sa vie.
Une nouvelle « loi handicap » ? Laissons la parole aux concerné.e.s
Il convient de rappeler au législateur, et en particulier au président du sénat, qu’une convention ONU a été ratifiée par la France et qu’elle fait partie de notre ordonnancement juridique depuis le 1er avril 2010. Cette convention ONU tient de la vision sociale du handicap, la personne est un sujet de droits, autonome, dont le consentement importe, comme celui de toute autre personne.
La loi de 2005 aurait dû être modifiée afin d’être mise en conformité avec le texte onusien, comme le demandent les associations et collectifs de personnes handicapées. Le comité de l’ONU a alerté la France à plusieurs reprises. La « loi de 2005 » contient de nombreuses non conformités, parmi lesquelles la « vision médicale » du handicap, la place donnée, de fait, aux associations gestionnaires, qui sont juges et partie. Ci-après quelques extraits du compte-rendu de séance de l’ONU daté du 23 août 2021, concernant l’examen du rapport de la France :
« L’expert a regretté que les mesures prises par la France ne traduisent pas le modèle du handicap basé sur les droits de l’homme qui est défendu par la Convention. En outre, d’autres stratégies liées au handicap, telle que la feuille de route pour la santé mentale et la psychiatrie (2018), se réfèrent encore au modèle médical du handicap, alors qu’il est reconnu comme étant discriminatoire, a souligné M. Ruskus. »
Le rapporteur a suggéré que ceci pourrait être dû au fait que la loi de 2005 n’a pas été harmonisée avec la Convention. L’article premier de cette loi est au cœur du problème, car il permet aux associations gestionnaires du secteur médico-social, et non aux organisations représentatives des personnes en situation de handicap, d’exercer une influence prépondérante sur les politiques publiques en matière de handicap.
« Le modèle du handicap basé sur les droits de l’homme n’a pas été intégré dans la législation ni la réglementation nationales », pas plus qu’il « n’est devenu partie intégrante de la conscience politique et professionnelle » en France, a ainsi déploré l’expert. »
« Plusieurs autres experts du Comité ont voulu savoir ce qui avait été fait en France pour adopter l’approche du handicap fondée sur les droits de l’homme et pour s’éloigner du modèle médical. »
« Plusieurs questions ont porté sur le fonctionnement du Conseil consultatif national des personnes handicapées (CNCPH) et sur la manière d’améliorer la participation des personnes handicapées à cette instance. Le fait que la nomination des membres du CNCPH relève d’un ministère a été jugé préoccupant »
À ce jour, la France ne donne pas véritablement la parole aux concerné.es : écouter les associations gestionnaires équivaut à demander son avis au MEDEF en ce qui concerne le bien-être d’un salarié, alors qu’il existe des syndicats de travailleurs… « Rien sur nous, sans nous » : cette phrase, entendue dans les manifestations des années soixante dix, se répète encore, vingt ans après la « loi de 2005 ».
Par Tiracoon