Les allocataires du RSA transformés en main-d’œuvre gratuite et précaire

L’insoumission.fr et Informations Ouvrières s’associent pour proposer à leurs lecteurs des contenus sur les résistances et les luttes en cours aux quatre coins du pays. À retrouver sur tous les réseaux de l’Insoumission et d’Informations ouvrières. À compter de ce mois de janvier, 1,6 million d’allocataires du RSA vont basculer sur France Travail, avec obligation […]

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L’insoumission.fr et Informations Ouvrières s’associent pour proposer à leurs lecteurs des contenus sur les résistances et les luttes en cours aux quatre coins du pays. À retrouver sur tous les réseaux de l’Insoumission et d’Informations ouvrières.

À compter de ce mois de janvier, 1,6 million d’allocataires du RSA vont basculer sur France Travail, avec obligation de 15 heures d’« activité » hebdomadaires. La mesure instaure ni plus ni moins qu’un travail forcé, gratuit et obligatoire. Une idée importée des États-Unis d’Amérique.

En 2023, le gouvernement Borne, soutenu par la droite, fait voter la loi « plein emploi » qui durcit les conditions d’accès au RSA. Cette loi impose à tous les bénéficiaires du RSA, mais aussi à leur conjoint d’être inscrits à France travail (ex-Pôle emploi). Tous les bénéficiaires du RSA sont concernés sans exception : personnes avec reconnaissance de qualité de travailleur handicapé (RQTH), seniors, aidants familiaux ou mères isolées. Des entreprises privées se sont d’ores et déjà positionnés dans les territoires tests de ces 15 heures d’activité pour gonfler leur profit par cette nouvelle manne gratuite. Notre article.

Travail gratuit et obligatoire

La loi prévoit la signature d’un « contrat d’engagement » qui impose 15 heures d’activité hebdomadaire en contrepartie du RSA. Tous les bénéficiaires du RSA sont concernés sans exception : personnes avec reconnaissance de qualité de travailleur handicapé (RQTH), seniors, aidants familiaux ou mères isolées.

Personne ne sait précisément à ce jour ce qui se cache derrière ces 15 heures d’activité obligatoires, mais rien ne dit qu’il ne s’agira pas de travail et les expérimentations dans les territoires tests ont tendance à nous le suggérer.

En effet, lors d’une visite dans le cadre de l’expérimentation RSA dans les Bouches-du-Rhône, Elisabeth Borne, alors Première ministre, a visité les locaux de INVA, une coentreprise fondée par Vinci Autoroutes et le groupe La Varappe. Il s’agit d’une entreprise d’insertion professionnelle spécialisée dans le nettoyage et l’entretien des locaux, des aires et tous services associés aux métiers des autoroutes. Elle a échangé avec les salariés de l’entreprise qui recrutent en moyenne 70 personnes en insertion par mois, dont près d’un tiers de personnes au RSA.

La présence d’entreprises privées dans les expérimentations semble cristalliser tout l’enjeu de cette contre-réforme : les besoins de main d’œuvre (BMO) sur les métiers du nettoyage sont très importants. Il est facile d’imaginer que pour répondre à ces besoins, France travail pourra déployer des bénéficiaires du RSA 15 à 20 heures par semaine. Ce n’est pas un hasard que des entreprises participent donc à l’expérimentation.

Par ailleurs, la présence de travailleurs gratuits va créer de la concurrence et donner aux employeurs des moyens de pression supplémentaires sur leurs salariés en termes de rémunérations, de conditions de travail et de flexibilité. Comment ne pas imaginer que ces « contrats d’engagement » vont engendrer du travail gratuit ?

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Pour aller plus loin : Conditionnement du RSA : Bardella « parfaitement d’accord » avec Macron

De nombreuses voix exigent l’abrogation

Le fait d’exiger une contrepartie en échange de l’« aide sociale » n’est pas nouveau et s’inspire largement des politiques déjà en vigueur aux États-Unis. « Cette transformation conditionnelle de l’aide sociale française s’inscrit dans un tournant politique qui a déjà une longue histoire internationale, bien documentée, le workfare. Ce néologisme, créé à partir de la contraction du terme welfare – aide sociale – et du terme work – travail – a été forgé par Nixon en 1969. Mais c’est surtout à Ronald Reagan qu’il reviendra, dès 1976, d’en faire la promotion » (Maud Simonet dans Le travail gratuit, la nouvelle exploitation).

Des associations telles que le Secours catholique, soutenues notamment par ATD quart monde, Emmaüs, la Fondation Abbé Pierre ou la Ligue des droits de l’homme, pointent « le risque de glissement vers le travail gratuit » et demandent l’abrogation ou la suspension de la loi. Dans une déclaration adoptée le 19 décembre 2024, la Commission nationale consultative des droits de l’homme dénonce la généralisation à compter de janvier 2025 de l’obligation d’heures d’activité en contrepartie du RSA, comme portant atteinte aux droits humains.

En plus de le rendre obligatoire, ce travail sera en dehors du droit du travail et du droit syndical, il sera surtout en dehors d’une rémunération salariée, hors des cotisations sociales et donc de la protection sociale. Le flou demeure derrière le terme « activité ». S’il existe un lien de subordination avec des tâches à accomplir, si l’activité du bénéficiaire permet le fonctionnement d’un service, d’une entreprise ou d’une collectivité, comment ne pas confondre ces heures d’activité avec des heures de travail ?

Et si cette « mission » est rendue obligatoire pour les bénéficiaires du RSA pour continuer à percevoir leur revenu de subsistance, comment le qualifier autrement que « travail gratuit et obligatoire ».  Le fait de conditionner l’aide sociale à des heures de travail, c’est nier aussi les raisons pour lesquelles les personnes demandent le RSA.

Personne ne choisit de vivre avec 600 euros par mois. Les raisons de demander le RSA sont multiples (problèmes de santé, de logement, de garde d’enfants/ de personnes âgées). Mais, évidemment, le problème structurel bien plus large. C’est l’état du monde du travail : pas d’offre d’emploi, des contrats précaires, des conditions de travail infernales, notamment dans les métiers en tension avec des rémunérations très faibles, des licenciements et des plans sociaux en cascades.

Par ailleurs, le RSA est financé en grande partie par l’État par le biais des départements. Or, le 14 novembre 2024, plus de 70 départements dirigés par la droite et le centre ont menacé de suspendre le versement du RSA si les ponctions budgétaires prévues pour 2025 ne sont pas révisées par le gouvernement. Combien de personnes se retrouveront sans aucune ressource si ces départements ne versent plus le RSA ?

Des agents débordés et excédés

Et pour les agents de France Travail, qu’est-ce qui va changer ? Si la réforme du RSA est une attaque féroce contre les plus précaires, les agents de France travail vont devoir faire face à une montée de violences en cascades. La fusion ANPE/Assedic mise en place par Nicolas Sarkozy en 2008 a déjà eu pour effet de rendre l’accès aux indemnités conditionnées à une recherche active d’emploi.

À l’heure de France Travail, les agents vont devoir faire face à l’explosion du nombre d’inscrits : bénéficiaires du RSA et tous les licenciés économiques (Auchan, Michelin), sachant que dans le budget du gouvernement Barnier, il devait y avoir une coupe de 500 postes (équivalent temps plein).

Selon les modalités d’accompagnement, les conseillers devaient déjà faire face à des portefeuilles ingérables : entre 100 et 1000 personnes à suivre. Le déploiement de cette loi, dont les décrets d’application ne sont toujours pas passés, semble complètement déconnecté de la réalité du terrain des agences. Et, personne ne sait exactement ce qui va se passer concrètement à compter de la mise en application de la loi.  Les missions des conseillers « placement » vont être de recevoir à la chaine, de faire signer des contrats d’engagement, d’envoyer au service du contrôle les demandeurs d’emploi qui ne respecteraient pas leurs « engagements ».

Le service « contrôle de la recherche », lui devrait voir ses effectifs tripler d’ici à la fin de l’année. Par ailleurs, la « gestion de la liste », soit l’ensemble des décisions prises sur le compte des demandeurs d’emploi en termes de « sanctions, radiations », ne sont plus à la main des agences, mais gérées par des plateformes hors agence. Les demandeurs d’emploi ne pourront plus passer par leur agence pour faire lever les sanctions. Cette situation va nécessairement engendrer de la conflictualité dans les échanges entre les demandeurs d’emploi et les conseillers.

Cette transformation profonde des missions d’accompagnement des conseillers aura un impact sur leur condition de travail et sur le sens qu’ils donnent à leur métier.  Pendant que la direction de France Travail se pavane sur les plateaux télé pour vendre cette transformation, les agents se retrouvent acculés, débordés et perdus face à tous ces changements dont ils n’ont pas la finalité.

La situation dans les agences est explosive. D’une manière générale, les agents refusent d’être complices de cette politique de stigmatisation et de mise aux pas des chromeurs et/ou des bénéficiaires du RSA. Fin 2024, plusieurs appels à la grève ont été lancés par l’intersyndicale de France Travail exigeant une augmentation générale des salaires et des traitements, de meilleures conditions de travail. Certaines organisations syndicales, elles, ont timidement appelé à l’abrogation de la réforme dite du plein emploi.

Le personnel de France Travail (ex-Pole emploi), peu enclins à faire grève, a pourtant répondu à ces appels et s’est mobilisé avec des sites affichant 40 à 50 % de grévistes.

Par Bérénice Edle

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