Mayotte ouragan
Capture d'écran : France Télévisions.

Mayotte – Abandon des Mahorais et changement climatique : le cyclone Chido est aussi un phénomène politique

Mayotte. Toits arrachés, maisons éventrées, arbres déracinés, amas de tôle. Le passage du cyclone Chido ce samedi 14 décembre a laissé sur Mayotte des images apocalyptiques. Heure après heure se gonfle le décompte morbide des vies emportées. Dans le département le plus pauvre de France, on craint aujourd’hui plusieurs milliers de morts. Certains ont encore loupé une occasion de se taire. Réaction de Bruno Retailleau face à cette catastrophe ? Il faut s’occuper de « la question migratoire ».

Alors que l’heure est au secours d’urgence d’une population mahoraise déjà assoiffée, la responsabilité de l’État français ne doit pas être occultée. Si le cyclone Chido est un évènement naturel, il est aussi un phénomène politique. Entre abandon de Mayotte par l’État central et changement climatique, il faudra bien plus qu’une aide d’urgence pour permettre aux Mahorais de se relever de cette épreuve et pour cesser d’être considérés comme des Français de seconde zone. Notre article.

Le cyclone le plus violent depuis près de 100 ans, plusieurs milliers de morts à redouter

Ce samedi 14 décembre s’est abattu sur Mayotte le cyclone Chido. Charriant des vents ayant atteint jusqu’à 226 kilomètres par heure (km/h), il est le plus violent que l’île ait connu depuis 90 ans. Outre le chaos matériel, un bilan humain extrêmement provisoire s’établissait ce lundi 16 décembre au matin à 20 morts et au moins 250 blessés. Le préfet du département dit en craindre plusieurs milliers dont certains ne seront probablement jamais déclarés ou retrouvés.

L’hôpital et les centres médicaux de l’île ont été endommagés ou rendus inopérants, obligeant à des transferts médicaux vers l’île de la Réunion située à plus de 1 400 kilomètres de là. Des bâtiments administratifs ont été détruits et l’aéroport a été sévèrement impacté.

Aussi, du fait notamment de la destruction de la quasi-totalité des cultures et du déracinement des arbres fruitiers et alors que le cyclone a touché moins durement les Comores et le Mozambique, les Mahorais voient aujourd’hui s’ajouter la faim à la soif et aux pénuries d’eau qui les touchent depuis de longues années, et qui seront probablement aggravées par les dégâts du cyclone. Sur un territoire délaissé où près de 80 % de la population vit sous le seuil de pauvreté, 40 % y vit dans des habitations précaires, des bidonvilles. En quelques secondes, ils ont été rayés de la carte. Les images qui parviennent de Mayotte sont apocalyptiques.

Pour aller plus loin : Scandale – À Mayotte, de l’eau au robinet moins d’un jour sur trois, l’État distribue des bouteilles en plastique (novembre 2023)

Évènement naturel, le cyclone Chido est aussi un phénomène politique

La précarité des Mahoraises et des Mahorais est aujourd’hui absolue. Mais si le cyclone Chido est un phénomène naturel, son impact a bel et bien été aggravé par des facteurs politiques au premier rang desquels le réchauffement climatique et l’abandon total de Mayotte par l’État central. 

Concrètement, pour se former, les cyclones utilisent comme réserve d’énergie principale la chaleur et l’humidité. En réchauffant l’air et l’eau des océans, le réchauffement climatique est ainsi un facteur potentiel directement aggravant de l’intensité de phénomènes climatiques extrêmes du type des cyclones et des ouragans.

Le GIEC projette ainsi une hausse de la proportion de cyclones tropicaux intenses de 10 % pour un réchauffement planétaire à 1,5 °C, de 13 % pour un réchauffement à 2 °C, et de 20 % pour un réchauffement à 4 °C. Dans le cas de Chido, un météorologue de Météo-France indique à l’AFP que la puissance du cyclone « a été dopée par des eaux particulièrement chaudes dans l’océan Indien liées au changement climatique ».  

Les choses sont claires : alors que le climat continue de se réchauffer et que les risques d’intensification des épisodes cycloniques croissent, la responsabilité directe de celles et ceux qui font le choix de sacrifier l’environnement et le climat sur l’autel des profits et de la rentabilité financière est une responsabilité politique qui coûte aujourd’hui à Mayotte la destruction et au moins plusieurs centaines de vies humaines. Les causes du cyclone Chido sont donc aussi des causes politiques et leur importance tend à s’aggraver jour après jour. 

Mais au-delà de ses causes, le cyclone Chido est aussi politique par ses conséquences, aggravées par l’abandon de l’île et de ses habitants par l’État français.

Département français depuis 2011, Mayotte est aussi le plus pauvre du pays. Abandonnée à elle-même, l’île est délaissée par l’État central qui faillit à assurer aux Mahorais, citoyens français comme tous les autres, les droits humains et la dignité la plus fondamentale. À Mayotte, près de 80 % de la population vit sous le seuil de pauvreté, 50 % avec moins de 260 € par mois, et ce malgré un coût de la vie jusqu’à 30 % plus élevé qu’en Métropole. Près de 60 % des habitations n’ont ni douche ni toilettes. 40 % y étaient des bidonvilles avant le passage de Chido, tous détruits.

En outre, alors que Mayotte sort tout juste d’une épidémie de Choléra, les habitants de l’île subissent depuis plusieurs années les restrictions d’eau, et 30 % de la population n’a pas accès à l’eau courante à son domicile. Les sous-investissements chroniques de l’État conduisent à l’indigence organisée des services publics. En 2023, un rapport de l’inspection générale de 6 ministères révélé par Médiapart mettait en lumière la faillite totale de l’État français pour assurer les droits les plus fondamentaux des habitants de l’île. 

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En conséquence de cet abandon, plusieurs dizaines de milliers de personnes se sont retrouvées ce 14 décembre à devoir se protéger de vents à plus de 220 km/h sous des toits en taule et des murs en bois. Il fait en ce sens peu de doutes que la majorité des victimes du cyclone seront à trouver parmi ces personnes abandonnées à leur sort, dont l’AFP révèle que nombre d’entre elles n’ont pas rejoint les abris prévus par la préfecture « en pensant que ce serait un piège qu’on leur tendait (…) pour les ramasser et les conduire hors des frontières ».

C’est aussi cet abandon qui conduit aujourd’hui au fait que les Mahorais aient faim, soif, ne disposent plus de nulle part où dormir et où se faire soigner, le tout du fait d’un cyclone annoncé dont les conséquences potentielles sur les réseaux d’eau, d’électricité, d’alimentation et d’habitation étaient connues.

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Plus largement, c’est la question du rapport de l’État français à ses territoires ultramarins qui est posée par l’abandon de Mayotte et ses conséquences sur la dignité et la vie de dizaines de milliers de personnes. En Kanaky-Nouvelle-Calédonie comme à Mayotte, en Martinique comme en Guadeloupe, le rapport de l’État à ses territoires d’Outre-mer est un rapport néocolonial tantôt caractérisé par l’abandon et le sous-financement absolu des services publics, tantôt par un prisme sécuritaire-répressif. 

Face à l’hypocrisie du camp présidentiel, une réponse structurelle à l’habitat et aux conditions de vies indignes des Mahorais doit être prise

Le 30 novembre 2023, à l’occasion de sa journée de niche parlementaire, le groupe de la France insoumise à l’Assemblée nationale et son député Jean-Philippe Nilor étaient parvenus à faire adopter une commission d’enquête sur les risques naturels majeurs en Outre-mer. Elle marquait une grande victoire pour protéger les vies humaines en Outre-mer contre le changement climatique.

Alors qu’une grande partie du camp présidentiel s’était opposée en vain à sa création, il s’est finalement allié à l’extrême droite et à la droite traditionnelle pour s’en accaparer les postes principaux, évinçant de fait Jean-Philippe Nilor de sa propre commission d’enquête, par peur sans doute que la responsabilité de l’État en matière de manque de prévention des risques majeurs en Outre-mer, leur responsabilité, ne soit révélée au grand jour.

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Aujourd’hui, des aides d’urgence sont nécessaires pour subvenir aux besoins immédiats des Mahorais. Pour autant, cela ne suffira pas. Une réponse structurelle à l’habitat et aux conditions de vie indignes de dizaines de milliers de personnes à Mayotte est nécessaire. Cette réponse doit bénéficier d’un plan d’action ambitieux et durable pour garantir des infrastructures solides, des services publics performants et une réelle résilience face aux catastrophes.

On apprenait hier que le nouveau Premier ministre ultra-minoritaire François Bayrou avait décidé de se rendre au conseil municipal de Pau à 18 heures. Il a donc fait le choix d’assister à distance à une réunion de crise prévue sur la situation à Mayotte à 19h00. Le fait que Bayrou s’accroche à ce point à sa mairie démontre à quel point il croit peu à sa longévité à son poste à Matignon.

Toutes choses égales par ailleurs, c’est le rapport de l’État central à ses territoires ultramarins qui doit être renversé. Ce renversement passera plus largement par une politique de bifurcation écologique ambitieuse qui prenne en compte le fait qu’il s’agit toujours des plus précaires qui souffrent en premier lieu des conséquences dramatiques du changement climatique.

Par Eliot