En septembre 2024, l’Institut La Boétie a publié un ouvrage collectif intitulé Extrême droite : la résistible ascension, postfacé par la députée insoumise Clémence Guetté, également co-présidente de l’Institut. Déjà vendu à de nombreux lecteurs, il s’est diffusé bien au-delà des cercles insoumis. L’insoumission publie dans ses colonnes le point de vue, post-lecture, d’un militant LFI de la haute-Vienne sur ce livre, qui a préféré rester anonyme. « En tant que militant de gauche, on ne peut que saluer, au même degré de qualité, l’importance du travail de l’Institut de la Boétie à l’origine de cette publication, tant il nous réjouit », souligne-t-il.
Un livre qui fait date – Extrême droite : la résistible ascension
En tant que lecteur, on ne peut que souligner la grande qualité de l’ouvrage et de chacune de ses contributions, tant ces pages sont riches d’enseignements. En tant que militant de gauche, on ne peut que saluer, au même degré de qualité, l’importance du travail de l’Institut de la Boétie à l’origine de cette publication, tant il nous réjouit. Voilà, au moins deux signes, de la force durable de notre mouvement La France insoumise.
À la France insoumise, on est capable de produire un travail de réflexion avec le Marc Bloch de notre époque, l’historien Johann Chapoutot (en préface). Voilà qui devrait rendre plus humbles celles et ceux qui ont la critique facile à notre endroit et jouent la comédie à disputer notre leadership à gauche alors qu’ils n’ont ni programme, ni stratégie et sans doute pas la moindre conviction non plus pour lutter contre l’extrême droite. Ce livre montre toute la vitalité et l’importance de notre philosophie politique : la politique ce n’est pas du cinéma !
Oui, une meilleure connaissance produit une meilleure action politique, parfaitement capable de s’adapter aux circonstances du temps présent. La postface de Clémence Guetté est remarquable pour avoir une lecture claire des phénomènes d’extrême droitisation de la société et des réponses politiques que l’on peut immédiatement donner par l’action politique. Comment résister à l’ascension de l’extrême droite ?
Après la lecture de l’ouvrage, il apparaît clairement qu’une fois le bon diagnostic posé, le remède est celui d’une seule stratégie : l’union populaire, à condition de bien en comprendre le sens.
Poser le bon diagnostic : capitalisme et fascisme marchent ensemble
Le capitalisme et le fascisme reposent sur un même phénomène. Chacune de ces visions du monde prétend qu’une seule normalité dans la société doit dominer les autres.
Prenons l’exemple du genre. L’extrême droite en s’appropriant ce sujet dénonce ce qu’elle nomme le « wokisme » et considère qu’il n’y a qu’un modèle normal dans la société. C’est celui de l’homme blanc, hétérosexuel, marié et dont la femme n’est qu’un corps à disposition de ses désirs. Ainsi l’extrême droite combat avec ses méthodes (violence, recherche de programme d’exclusion juridique, atteinte à la dignité) les nouvelles normalités de notre société : notamment celle de déterminer son genre ou de vivre librement son orientation sexuelle. Leur vision du monde, immonde, est totalitaire : une seule normalité doit s’imposer au réel sinon on doit dissoudre, y compris par la violence.
De la même manière, les défenseurs du capitalisme considèrent qu’il n’existe pas d’alternative au marché total. Tout doit être marchandisé et rien ne doit entraver la loi de l’offre. Le capitalisme révèle le même phénomène que le fascisme : la réduction du monde à une seule normalité. Il emploie les mêmes méthodes violentes pour dégager ce qui se trouve sur son chemin, y compris la justice sociale, le droit du travail, le droit à la Sécurité sociale ou les services publics.
Dès lors qu’ils partagent une même vision du monde, il n’est pas étonnant que capitalisme et fascisme marchent ensemble. Ils se rejoignent sur leur vision du monde, totalitaire en puissance.
Il n’est pas étonnant par exemple que Naïma Moutchou, (Horizons), Vice-Présidente de l’Assemblée nationale puisse déclarer que le RN n’est pas le Front national, c’est un parti qui est en train de se normaliser. La normalité, signe de ralliement de la Macronie au RN ?
Finalement, sauver le système capitaliste en désignant l’étranger ou le wokisme comme la cause de la déliquescence de la société, c’est tout bon pour Macron. Se normaliser signifie rejoindre la normalité capitaliste : il n’y a pas d’alternative dans la société que celle du capitalisme financiarisé (qui nous tue chaque jour davantage alors que nous, insoumis, sommes l’alternative).
Mais, le RN a toujours été un parti pour le capitalisme. Par exemple, c’est un parti qui est contre le droit à la Sécurité sociale pour les travailleurs, comme ils ont pu l’exprimer dans leur proposition de fausse abrogation de la réforme des retraites. Ces partisans de la préférence nationale ignorent tout de la solidarité nationale qui n’est pas déterminée par la nationalité, mais bien, par les droits acquis par le travail.
Pour aller plus loin : Dans la Creuse, Clémence Guetté et Catherine Couturier en lutte contre l’extrême droite
Adopter la bonne stratégie : des clivages vers le haut ; pas de division horizontale
Dès lors, comment lutter contre l’alliance entre fascisme et capitalisme ?
Tout d’abord, la parution du livre fait évènement en ce qu’il inverse une représentation trop solidement ancrée dans l’imaginaire de la vie politique française. Cette représentation est celle d’une montée inéluctable de l’extrême droite, un phénomène électoral qui serait implacable. La force de cette représentation est très problématique. Elle peut conduire à une logique où il faudrait, pourquoi pas, faire des concessions à l’extrême droite ou s’adapter à eux parce qu’il s’agirait de séduire des « fâchés pas fachos ».
Ce livre met en pièce ce raisonnement. Un fait électoral mérite d’être souligné. Il n’y a pas d’automatisme absolu entre désindustrialisation et casse des droits sociaux d’un côté et vote RN de l’autre. La sociologie électorale des classes populaires est beaucoup plus complexe. Preuve en est, la France insoumise arrive en tête des électeurs dont les ressources sont inférieures à 900 euros par mois. Ce n’est pas rien. Les bénéficiaires des minimas sociaux sont des salariés usés, des personnes broyées par le capitalisme. Quelle victoire, déjà, de compter leurs suffrages !
Cela montre bien, que depuis 2012, la stratégie d’une politique de rupture paie. Nos succès passés et à venir ne peuvent que s’intensifier grâce à la qualité de notre programme pour rompre avec l’ordre établi.
Alors, dans ce contexte, il faut garder le cap de la lutte contre l’extrême droite. Nos ennemis politiques sont le capitalisme et le fascisme. Comme l’exprime très clairement Clémence Guetté, la stratégie de l’union populaire est le clivage avec ceux d’en haut. Pas de nous diviser entre nous.
On ne peut donc faire emprunt au monde de l’extrême droite ni tomber dans le piège de faire alliance avec.
Faire emprunt au monde de l’extrême droite, c’est le risque de la division en opposant bas salaires et minimas sociaux plutôt de faire union populaire pour le partage des richesses. Cette stratégie violente et inutile fait le jeu de l’alliance entre capitalisme et fascisme (les assistés seraient sans doute des étrangers pour eux). Autre division empruntant à l’extrême droite : faire campagne au faciès (« t’es noir je te donne un tract Mélenchon ; t’es blanc : tiens un autre ») ou faire du marketing politique à trois francs en opposant les villes et les campagnes.
On sait depuis les années 1930, grâce à un texte du Comité de vigilance des intellectuels antifascistes intitulé Les paysans et le fascisme, que le problème en ville et à la campagne est le même : il s’appelle le capitalisme. Du point de vue de la lutte contre l’extrême droite, l’objectif est donc de convaincre toutes les masses de rejoindre le camp de l’émancipation. Et ne pas tomber dans le piège que notre programme serait inadapté aux problématiques spécifiques des territoires, car il en porte toutes les solutions.
Il ne faut pas non plus faire alliance avec l’extrême droite au prétexte piégeux de « prendre ce qu’on peut prendre ». Il n’y a rien à prendre avec eux. Par exemple, il ne nous faut faire aucune alliance avec l’extrême droite qui pourrait donner du crédit à ses mensonges sur la question sociale. La résistible ascension de l’extrême droite dépend surtout de notre capacité à s’unir et à croire en notre force politique.
En cette année 2024, il faut se rappeler sans doute que le Nouveau front populaire ne se décrète pas comme un slogan commercial. Seule une application infaillible de la stratégie de l’union populaire, c’est-à-dire sans alliance avec l’extrême droite ni emprunt à son monde nous fera triompher d’elle.
L’union populaire doit se souvenir de l’histoire du Front populaire. Pressé par les néosocialistes dès 1933 d’abandonner une ligne de rupture pour gouverner, Léon Blum nous dit « les vertus révolutionnaires sont à la fois l’audace, qui ne laisse échapper aucune occasion, et en même temps la patience qui permet de les attendre. Vous nous dites : si vous ne pouvez pas leur [les jeunes et la classe ouvrière] promettre le succès immédiat, si vous ne pouvez pas satisfaire assez tôt chez eux, un espoir de réalisation définitive, ils iront ailleurs. Si vraiment, ils pensent ainsi qu’ils aillent ailleurs, ils n’ont rien à faire avec nous dans ces conditions-là ».
Trois ans après ce discours, ce sera le succès du Front populaire et un peu plus plus tard, certains néosocialistes, dont Marcel Déat (fondateur du rassemblement national populaire), feront alliance avec l’extrême droite et le choix de la collaboration.