Des audiences publiques cruciales pour le droit climatique se sont déroulés entre le 2 et le 13 décembre 2024 devant la Cour internationale de Justice (CIJ) à La Haye. L’ouverture de la procédure orale a été effectuée par l’État du Vanuatu, État insulaire du Pacifique Sud, à l’origine de cette initiative, et quatre-vingt-dix-huit États, dont la France, y ont participé, ainsi que douze organisations intergouvernementales, telles que l’Alliance des petits États insulaires ou l’Union européenne.
Il s’agit d’une occasion clé d’établir un cadre de responsabilité ferme, fixant des obligations juridiques internationales nettes en matière d’action climatique. Les 15 juges de la Cour internationale de justice (CIJ) ont débuté leur délibéré, vendredi 13 décembre, au terme de dix jours d’audience. La Cour internationale de justice rendra son avis dans un délai de six à huit mois. Notre article.
Les États insulaires en première ligne face à l’injustice climatique
Premières victimes d’un changement climatique qu’elles n’ont pas causé, les îles du Pacifique, responsables de seulement 0,02 % des émissions mondiales, subissent des conséquences dévastatrices sur leurs populations, leurs infrastructures et leur mode de vie. Ce sont des terres, des cultures, et des vies entières qui vont disparaître sous les eaux, victimes d’une insoutenable injustice climatique.
Comme l’indique l’émissaire spécial pour le changement climatique du Vanuatu, dans sa note à la CIJ : « Depuis des décennies, les États insulaires du Pacifique subissent les effets dévastateurs du changement climatique, notamment des cyclones de plus en plus violents, l’élévation du niveau de la mer et la dégradation des sols ». Dans une déclaration à la presse, il a ajouté : « Nous sommes en première ligne des effets du changement climatique. Nous sommes des peuples résilients, mais cette résilience ne suffit plus ».
De l’incroyable mobilisation étudiante à un avis historique
Face à l’injustice climatique, les États insulaires, particulièrement vulnérables, ne restent pas passifs. Ils s’organisent, comme le montrent les efforts remarquables des étudiants du Pacifique, à l’origine d’une dynamique juridique mondiale. Ainsi, des étudiants en droit international de l’environnement du campus de Port-Vila, capitale du Vanuatu, ont décidé, en 2019, de relancer le projet avorté de Palau et des Îles Marshall.
Leur objectif : obtenir un avis consultatif de la Cour internationale de Justice (CIJ) sur la responsabilité juridique des États en matière d’émissions de gaz à effet de serre. Soutenus par des enseignants de l’université, ces étudiants ont formé le collectif Pacific Islands Students Fighting Climate Change (PISFCC), avec pour ambition de dénoncer la vulnérabilité des petites nations insulaires face aux ravages du changement climatique et de clarifier le droit international sur cette question cruciale.
Près de dix ans plus tard, le contexte semble certes plus favorable. Cependant, il est clair que cette avancée ne résulte pas uniquement d’une prise de conscience au sein de la communauté internationale. Elle est le fruit de la mobilisation populaire, et la campagne menée par ces étudiants est un modèle de ce que la puissance du collectif peut produire. Ces jeunes ont ainsi prouvé, une fois de plus, que la lutte paye et permet d’arracher de grandes victoires.
Poursuivant leurs efforts, le Vanuatu a ensuite exercé des pressions sur d’autres nations pour les convaincre de soutenir cette initiative. Ce travail acharné a abouti à l’adoption d’une résolution en mars 2023, coparrainée par 132 pays, une victoire en soi. Cependant, elle n’est que la première pierre d’un édifice en construction, non seulement pour le Vanuatu, mais pour tous les peuples qui subissent les effets d’un changement climatique qu’ils n’ont pas causé.
La détermination des pays insulaires va donc au-delà du discours : elle est un cri d’alerte lancé par des États, victimes connues mais rarement entendues des ravages du changement climatique, dont les effets se font pour eux sentir depuis longtemps.
La vulnérabilité des petites îles ne peut plus être ignorée. Il est plus que jamais urgent que la Cour internationale de Justice désigne les véritables responsables de la dégradation de notre planète. La communauté internationale doit assumer ses responsabilités et passer à l’action. La France Insoumise milite également pour une solution globale. Cela passe notamment par la création d’un crime d’écocide, aligné avec l’esprit de cette action internationale.
Un avis consultatif qui pourrait redéfinir le droit climatique
Il existe plusieurs juges interétatiques dans l’ordre international. La Cour internationale de Justice (CIJ) est l’organe rattaché à l’ONU. Elle est compétente pour résoudre les différends entre États, mais peut aussi rendre des avis consultatifs sur des questions juridiques et a déjà rendu des avis importants sur des sujets sensibles.
Les audiences, qui se tiendront du 2 au 13 décembre à La Haye, font partie du processus menant à un avis consultatif sur les obligations juridiques des États en matière de changement climatique et les conséquences de leur non-respect. En clair, la Cour est appelée à clarifier le droit international sur ce sujet et à établir un cadre juridique pour lutter contre le changement climatique.
La CIJ devra répondre à deux questions fondamentales :
– Selon le droit international, quelles sont les obligations des États pour assurer la protection du système climatique contre les émissions de gaz à effet de serre pour les générations présentes et futures ?
– Quelles sont les conséquences juridiques pour les États qui causent des dommages importants au climat et à l’environnement ?
Ces interrogations sont au cœur des préoccupations des États insulaires, premières victimes du changement climatique.
L’affaire la plus importante de l’histoire de l’humanité
Au-delà de sa dimension juridique, visant à affirmer que les destructions dues au changement climatique représentent une violation des principes fondamentaux du droit international, cet avis consultatif détonne par son ampleur. Jamais une question n’a réuni autant d’États pour répondre à un enjeu commun : la survie de l’humanité face à un défi global.
« En termes de participation, on peut affirmer sans crainte qu’il s’agit de l’affaire la plus importante de l’histoire de l’humanité », estime ainsi Margaretha Wewerinke-Singh, conseillère juridique du Vanuatu pour le dossier CIJ. Pour Cristelle Pratt, Secrétaire générale adjointe de l’OACPS, l’ampleur du soutien – avec 91 déclarations écrites et 97 États impliqués – pourrait faire de cet avis consultatif un tournant décisif dans la lutte contre le changement climatique.
Le nécessaire appel à la justice climatique après l’échec de la COP29
Il n’est pas anecdotique que ces discussions aient lieu juste après la tenue de la COP29 en Azerbaïdjan, qui s’est conclue sur un accord financier dont l’insuffisance frôle l’indécence. Ce n’est pas seulement de la déception, mais une véritable révolte partagée par de nombreux États du Sud, qui, bien avant même le début de la COP, avaient exprimé leur scepticisme face à l’incapacité des pays développés à prendre des engagements sérieux.
Pour aller plus loin : La COP29, mascarade organisée
L’importance de cette démarche s’explique donc aussi par les limites des négociations internationales actuelles. Les échecs répétés des COP soulignent l’urgence de passer à une approche plus contraignante et juridiquement fondée.
Ralph Regenvanu, l’émissaire spécial pour le changement climatique du Vanuatu, a d’ailleurs exprimé son amertume après la COP29 : « Les engagements pris à Bakou – tant les montants que les réductions d’émissions – ne sont pas suffisants. Ils n’ont jamais été suffisants. Et sur la base de notre expérience avec de telles promesses, nous savons qu’elles ne seront pas tenues. » Ce sentiment est largement partagé par de nombreux pays du Sud, qui jugent les 300 milliards de dollars annuels promis à Bakou bien en deçà des 1 300 milliards réclamés par le groupe Afrique, ou des 1.000 milliards nécessaires selon les experts de l’ONU.
Face à la lenteur des négociations et à la crainte que les pays vulnérables ne soient pas suffisamment écoutés, la décision de se tourner vers la CIJ devient une évidence. « La
frustration ressentie est la raison même pour laquelle on adopte cette ligne d’action », explique Regenvanu avant d’ajouter « L’incapacité des États du Nord à changer la dynamique de la crise climatique est une tragédie mondiale. Nous avons besoin de justice, et nous en avons besoin de toute urgence. ».
Vers un droit international enfin à la hauteur du défi climatique ?
La Cour devra répondre aux questions posées par l’Assemblée générale de l’ONU sur les obligations des États en matière climatique. L’urgence climatique ne peut se satisfaire de promesses creuses, abandonnées aussi vite qu’elles sont prises. Des obligations juridiques doivent permettre d’agir de manière ambitieuse face à la crise climatique. Car, les COPs donnent trop souvent l’impression de repartir à chaque fois de zéro, un tel avis faisant autorité pourrait enfin permettre de s’appuyer sur une interprétation tranchée, débattue et existante.
Cet avis sur le changement climatique pourrait donc non seulement éclairer les procédures judiciaires futures et influencer le processus diplomatique, mais aussi jouer un rôle crucial dans les milliers de procès liés au climat à travers le monde en créant un précédent juridique. Il pourrait servir de fondement à des mesures audacieuses et efficaces en matière de climat, orientant ainsi positivement les actions et les politiques des États.
Justice climatique internationale : une nécessité à portée de loi ?
Face aux manquements des États et des multinationales, le droit international apparaît comme un ultime recours. Cependant, contrairement aux jugements rendus dans des affaires contentieuses, les avis consultatifs de la Cour ne sont pas contraignants. Ils servent à clarifier des questions juridiques. L’Assemblée générale, bien que moralement tenue par l’autorité de ces avis, reste libre de décider de l’effet à leur accorder.
En l’absence d’un tribunal international climatique, les conventions peinent donc à être appliquées et près de 10 ans après la signature de l’accord de Paris sur le climat, force est de constater une grave lacune dans l’action internationale face au changement climatique. Les engagements pris restent largement inappliqués, que ce soit par les États ou par les multinationales.
Il est en effet impossible de sanctionner les acteurs qui ne respectent pas leurs obligations ou sont responsables de crimes environnementaux. C’est pourquoi la France Insoumise milite pour la création d’un tribunal international de justice climatique et environnementale, capable de tenir responsables ceux qui détruisent la planète.
Il est impératif de traduire l’urgence climatique en actions concrètes et juridiquement contraignantes. La position de la France Insoumise est claire : seule une approche internationale, fondée sur le droit et l’Organisation des Nations Unies, pourra forcer les grands pollueurs à rendre des comptes et à stopper cette destruction massive.
Cet avis consultatif de la CIJ, bien qu’il ne possède pas une force coercitive immédiate, pourrait servir de tremplin pour dépasser l’impasse actuelle et apporter des réponses à des questions fondamentales et urgentes. Car, si imparfait soit-il, le droit international reste l’espoir du peuple humain. Les insoumis ne cessent de le rappeler.
Enfin, bien que l’urgence climatique appelle à une action immédiate et que cette décision soit particulièrement attendue il faudra probablement patienter jusqu’à la fin de l’année 2025, voire 2026, pour que la Cour internationale de justice donne son avis, le délai moyen de rendu étant de 22 mois.
Par Mazarine Albert