Viols. Samedi 28 septembre, aux alentours de 14 heures, 8 femmes se tiennent face à la sortie du métro République à Paris. Elles brandissent avec courage et détermination des pancartes, où sont inscrits des chiffres dont il est difficile de se souvenir, tant ils donnent le vertige. Il paraît compliqué de ne pas contenir ses larmes, sa rage, en lisant ces chiffres, perdus dans la foule des passants. Ces femmes sonnent des alertes nationales hebdomadaires contre le viol et l’inceste, mises en place depuis le début du procès Pélicot. Tous les samedis, à République, de 13 heures à 14 heures.
Ce jour-là, à République, à quelques mètres de ces femmes, un autre rassemblement. C’est aussi la Fashion week, cet évènement qui se déroule quatre fois dans l’année. Près de deux cents personnes se sont réunies pour apercevoir leurs idoles, de jolis portes-manteaux de luxe. « J’ai pas réussi à l’apercevoir… j’ai vu qu’une partie de son visage. Mais en tout cas on a respiré le même air ! ». De l’air dont il semble manquer grandement pour l’oxygénation de leur cerveau.
Une place, deux ambiances et un mot : affligée. De voir autant de monde se bousculer pour apercevoir et soutenir des célébrités qui tirent leurs richesses de pubs, créent du vide et creusent les inégalités. Pourquoi la société préfère-t-elle les acclamer, eux, alors qu’à cent mètres, on peine à soutenir le combat d’une femme pour celui de toutes les autres ? Notre brève.
Alerte nationale hebdomadaire contre le viol et l’inceste : pourquoi des célébrités portant des vêtements de luxe drainent davantage de personnes ?
Les huit femmes, pancartes à la main, se dirigent vers la foule. « On fera mieux passer le message, il y a plus de monde ». Mais rien n’y fait, elles ne se font pas entendre, entre les perches à selfie et les costumes en filet de pêche. Cette anecdote, qui peut paraître anodine, révèle le non-sens de notre société. Elle révèle aussi la double injustice vécue par la moitié de l’humanité, celle de subir l’humiliation, la violence, la domination, tout en faisant face à l’indifférence généralisée.
Ces alertes nationales hebdomadaires s’inspirent des rassemblements des femmes de la Plaza de Mayo en Argentine. Tous les jeudis, ces mères dont les enfants avaient disparu pendant la dictature militaire (1976-1983) se réunissaient en tournant dans le sens inverse des aiguilles d’une montre, symbolisant le temps qui remonte pour résister face aux horreurs commises par les militaires.
À Paris, avec cet acte de résistance, l’objectif est clair : en finir avec la culture du viol, des lois qui protègent les victimes et condamnent les responsables et surtout faire ouvrir les yeux du déni, une bonne fois pour toutes : les violeurs, c’est monsieur tout le monde, des bons pères de famille, des commerçants, des professeurs, des chefs d’entreprise, des artisans, des amis, des voisins ou des membres de la famille.
Pour aller plus loin : Viols – Pourquoi la notion de consentement n’est-elle toujours pas prévue par la loi ?
Ce sont des hommes qui, sous l’apparence parfaite que leur confère le règne patriarcal, violent et incestent en toute impunité, harcèlent dans la rue, ou en entreprise. Leur place est en prison, dans la cellule de la honte. Celle qui ne doit plus être portée par les femmes.
Car oui, ce procès historique – qui est celui de toute la société et de sa culture du viol – a mis le doigt sur ce que toutes les femmes qui subissent des violences doivent supporter quand elles portent plainte : humiliations, attaques, discrédit, violences, culpabilisation. Les femmes doivent être crues. Le monde est à remettre à l’endroit. La société doit profondément changer.
Et parce que ce jour-là, tout le monde s’en foutait, la réalité est ici. C’est celle-là, et pas une autre.
Julie Munier