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The Apprentice : du maccarthysme au trumpisme

L’Insoumission.fr publie un nouvel article de sa rubrique « Nos murs ont des oreilles – Arts et mouvement des idées ». Son but est de porter attention à la place de l’imaginaire et de son influence en politique avec l’idée que se relier aux artistes et aux intellectuels est un atout pour penser le présent et regarder le futur.

Le 5 novembre 2024, Kamala Harris ou de Donald Trump sera élu président des États-Unis. Le film The Apprentice du réalisateur irano-danois Ali Abbasi (auteur des Nuits de Mashhad en 2022) replonge dans les origines de l’ascension du candidat républicain. Le portrait du multimilliardaire nord-américain, magnat de l’immobilier, le montre sous un angle inattendu : bien loin du mythe du self-made-man, avant le début de sa carrière politique. Sorti en salles le 9 octobre en France et le 11 octobre aux États-Unis, le film a fortement déplu au candidat. Quel meilleur raison de vous rendre dans votre salle de cinéma préférée à quelques jours de l’élection ? Notre article.

The Apprentice : histoire du duo Donald Trump – Roy Cohn

Le film s’ouvre en 1973, lorsque Donald Trump rencontre dans un restaurant sélect appelé le « Club » l’avocat Roy Cohn. Connu pour avoir poursuivi les époux Rosenberg, accusés d’espionnage pour l’URSS et exécutés sur la chaise électrique le 19 juin 1953, Cohn affirme sans relâche dans le film son anticommunisme et son attachement aux États-Unis, qu’il présente comme la boussole de son action.

Roy Cohn est un véritable maccarthyste, conservateur. Après cette rencontre, il devient, le Pygmalion de celui qui sera élu président d’un Trump qui, alors, n’a d’ambitions que dans le domaine des affaires (le film s’achève en 1986, un an avant que Trump ne s’affilie aux Républicains et qu’il tente de devenir colistier de Georges W. Bush en 1988).

Ce personnage d’avocat est brillamment incarné par Jeremy Strong, précédemment vu sur le petit écran dans le rôle de Kendall dans l’excellente série Succession. Lors de leur rencontre, le père de Trump, promoteur immobilier, fait face à un procès pour discrimination raciale contre des locataires afro-américains, et Cohn accepte de défendre la famille, arguant que la liberté est la valeur essentielle. 

Attaquer sans relâche, nier la vérité et ne jamais admettre la défaite

Grâce à cet avocat, Donald Trump obtient également des abattements fiscaux lui permettant de rénover des bâtiments, tout d’abord le Commodore Hotel, hôtel vétuste qui deviendra plus tard le Grand Hyatt Hotel. Il s’attèle ensuite à la construction de la Trump Tower et ses 58 étages. Roy Cohn, avant de mourir du sida en 1986, transmet trois principes que Trump fera siens : attaquer sans relâche, nier la vérité et ne jamais admettre la défaite. Une devise que Trump semble appliquer aujourd’hui en politique. Dans une interview donnée à Newsweek en 1979, Trump déclare concernant celui qu’il considère comme un mentor : « si vous avez besoin de quelqu’un qui peut devenir vicieux contre vos opposants, vous faites appel à Roy ».

L’image et la bande originale du film nous plongent dans les années 1980, dans une ville de New-York en crise, ainsi que dans l’ère de Reagan (président des États-Unis de 1981 à 1989). On passe d’un film en format 16mm pour les années 1970 à un grain qui nous rappelle les VHS pour la décennie qui suit. Nous nous trouvons face à un peu plus de deux heures de fresque d’une époque dans laquelle se tisse l’histoire de Trump, une histoire de réseaux, de rencontres, de coups bas.

La sociologue Sophie Louey explique que le film met l’accent sur les ressources accumulées par Trump pendant les années couvertes par le film, ainsi que sa socialisation :

« le film dévoile en partie combien l’ascension entrepreneuriale de Donald Trump est déterminée d’une part par une socialisation primaire poussant à l’entreprise de soi les fils de la fratrie et d’autre part par des ressources familiales dont il a hérité en même temps qu’il en a joué. Sa place dans l’entreprise familiale lui permet de fréquenter des clubs et d’entrer dans des réseaux de relations sociales affairistes. Bien que l’entreprise familiale vive quelques remous – imprécisément restitués dans le film – Donald Trump joue de ses positions et relations pour sans cesse grandir économiquement et socialement ». 

Le film retrace ainsi les premiers succès de Trump dans le domaine de l’immobilier, puis en politique, en mettant en scène une série de rencontres stratégiques, notamment avec des figures issues de la politique, du journalisme ou des affaires, souvent orchestrées par Roy Cohn en tant qu’intermédiaire. Cohn organise par exemple des rendez-vous avec des responsables municipaux de New York, des chefs d’entreprise et même Rupert Murdoch, fondateur de News Corporation.

Trump profite des réseaux des autres souvent sans rendre la pareille. Lorsque Roy Cohn lui précise qu’il ne facturera pas le premier dossier sur lequel il travaille pour lui, il invoque leur amitié, pensant en tirer avantage un jour. Pourtant, le film ne montre aucun signe de ce retour attendu.

Le film est une réussite esthétique. Les acteurs sont excellents. Il offre également un voyage captivant dans les années 1970 et 1980, une période où New York traverse une profonde crise, marquant l’acmé d’une phase de capitalisme débridé. Corruption, grands projets et flux d’argent s’entremêlent, tout comme l’alcool et la drogue, mais cette frénésie ne tarde pas à s’effondrer. Lorsque le sida fait irruption dans le récit, il apporte un sentiment de vide qui remplace brutalement cette effervescence, soulignant l’inanité de ce système, illustrée par exemple par les boutons de chemise « en diamant » que Trump offre à Cohn, qui ne sont en réalité que du zirconium.

Le film nous dévoile aussi les origines d’un capitalisme fondé sur les grands projets immobiliers, fait de succès et d’échecs, et qui, pris d’hubris, s’étend jusqu’à l’écœurement. Le Trump Taj Mahal incarne cette démesure, avec des machines à sous qu’il faut constamment remplacer tant les joueurs affluent, et des grands buffets où la quantité prime sur la qualité. Ce récit constitue la version nord-américaine de ce que l’historien des idées François Cusset appelle « le grand cauchemar des années 1980 ». De cela, il n’y a ni esthétisation nostalgique, ni rejet en bloc, au contraire, le spectateur est transporté, séquences après séquences, au rythme des musiques synthétiques, des sons connus comme Yes Sir, I Can Boogie de Baccarra.

Le film a, sans surprise, fortement déplu à Donald Trump, qui l’a qualifié de « bâclé et bon marché, diffamatoire et politiquement répugnant. » Dans cet esprit, son porte-parole Steven Cheung a annoncé l’intention de porter plainte. Les menaces qui ont pesé sur le film ont rendu sa distribution compliquée, et trouver des distributeurs s’est révélé difficile. Par ailleurs, le film a été financé par Dan Snyder, milliardaire et ami proche de Trump, qui en est un soutien financier de longue date mais qui s’est déclaré furieux du résultat. Rien que pour faire rager l’extrême droite nord-américaine, ça vaut le coup d’aller découvrir cette oeuvre.

Par Marion Beauvalet

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