Ce vendredi 25 octobre, le média indépendant franc-comtois Le Ch’ni organisait une conférence intitulée : « Anti-tsiganisme : une haine admise et généralisée ? », dans le cadre de sa « fête des médias libres francs-comtois ». La conférence était animée par le journaliste indépendant Toufik de Planoise, connu pour ses nombreuses enquêtes sur l’extrême droite locale, et a vu intervenir plusieurs personnes sur le sujet.
Le responsable associatif Rémy Vienot, fondateur de l’association « Espoir et Fraternité Tsiganes », la députée Insoumise Ersilia Soudais, membre du groupe d’étude parlementaire sur l’anti-tsiganisme, et son assistant parlementaire Ritchy Thibault, militant pour les Gens du Voyage et récemment exclu arbitrairement de l’Assemblée Nationale par Yaël Braun-Pivet. Chacun d’entre eux ont pris la parole. A propos de leur vécu en tant que gens issus de la communauté Tsigane et de leur engagement associatif pour Rémy Vienot et Ritchy Thibault, et de l’action parlementaire sur l’anti-tsiganisme pour Ersilia Soudais.
Par cette conférence, c’est un racisme méconnu qui apparaît, dans toute sa réalité et sa violence. Un racisme qui plonge ses racines profondément dans l’Histoire de France, qui a souvent (et est encore) été appuyé par les pouvoirs publics. Notre article.
« Espoir et Fraternité Tsiganes », une association de terrain
Son fondateur, Rémy Vienot, s’était déjà distingué en 2022, en assignant Eric Zemmour en justice. Ce dernier, comme à son habitude, avait promis de réprimer et stigmatiser davantage les gens du Voyage, en insistant sur le fait « qu’on est chez nous ». Pour Zemmour, on ne peut pas être Tsigane et français à la fois, reconnaissons-lui une constante dans la haine raciale.
Mais pour Rémy Vienot, la défense des gens du Voyage remonte bien avant les saillies racistes de Zemmour. Depuis 2012, l’association qu’il préside lutte sur tous les fronts pour faire reconnaître les droits de cette communauté, mise au ban de la société, ce qui se traduit souvent par des conditions de vie matérielles dégradées à cause de la puissance publique. Face à cela, l’association alerte sur les conditions de vie (et de mort) des Tsiganes en pays Franc-Comtois, et empêche leurs expulsions.
Il raconte par exemple l’histoire de ce jeune garçon, paraplégique, laissé à lui-même sur une aire de Gens du Voyage, dans un cagibi. L’histoire illustre comment les pouvoirs publics, même locaux, peuvent être inhumains et cyniques dans ce genre de cas. L’affaire est médiatisée par Vienot et son association, mais le maire de Pontarlier (Doubs) de l’époque attend simplement que le soufflé médiatique retombe. Pire, il a même doublé les loyers sur les aires de Gens du Voyage de sa commune par la suite. La petite ville est malheureusement le théâtre de nombreuses expulsions : bien souvent les personnes concernées et les associations se heurtent aux représentants politiques (de droite comme de gauche!) et judiciaires.
L’Histoire récente de notre pays est lourde en matière d’anti-tsiganisme. En 1941, le Régime de Vichy ordonne le regroupement de tous les Tsiganes en camps « d’internement » (pour ne pas dire de concentration). En Franche-Comté, les Gens du Voyage sont regroupés au coeur de la forêt de Chaux (Jura), sans nourriture ou presque, gardés par des douaniers français, avant d’être transférés à la Saline royale d’Arc-Et-Senans (Doubs). De là, ils sont déportés vers des camps de transit dans le Loiret en 1943. Et depuis le Loiret, ils sont emmenés en train vers les camps d’extermination en Europe de l’est avec leurs compagnons de déportation, juifs, homosexuels, résistants…
Le Pojarmos (génocide des populations Tsiganes par les nazis et/ou leurs alliés) a fait entre 200 et 500 000 victimes. Il est important de rappeler que l’État Français, comme pour les lois antisémites de 1940, a lui seul décidé des persécutions et déportations de Tsiganes : cette politique a été appliquée par des fonctionnaires de police français.
Ritchy Thibault, expulsé de l’Assemblée Nationale, en « exil » à Besançon
Ce mot « d’exil », c’est lui qui l’a employé lors de son passage à Besançon, à moitié en plaisantant. Pour avoir défendu le peuple palestinien il est exclu de son lieu de travail, l’Assemblée Nationale. Pour avoir rappelé que la Police Nationale est une création de Pétain, Retailleau le poursuit en justice. Alors Ritchy vient à Besançon, parler d’une lutte qui le concerne et le touche de près : celle contre l’anti-tsiganisme.
Il a rappelé que en France, ce racisme a longtemps été appuyé par un ensemble de lois discriminatoires. En 1912, une loi crée un statut qui impose un processus de racialisation des Tsiganes, alors appelés « Nomades ». Ils ont alors l’obligation de circuler avec un carnet anthropométrique (empreintes digitales…), à faire tamponner à chaque changement de municipalité. Cela donne le ton : pour s’attaquer à cette catégorie de la population, on s’attaque à son mode de vie non-sédentaire, vu comme inquiétant.
Les premiers internements et expulsions de Gens du Voyage ont lieu dès 1914. En 1939, les populations tsiganes sont assignées à résidence : le contexte de guerre fait que les autorités les voient comme des espions allemands potentiels. A partir de 1940, le Régime de Vichy reprend cet arsenal juridique crée sous la 3e République et les internements se poursuivent, puis les déportations commencent… Les populations Tsiganes ne font pour autant pas que subir. Le 16 mai 1944, les déportés Tsiganes du camp d’Auschwitz-Birkenau se soulèvent, tuant plusieurs gardes SS.
Après la guerre, les conditions de vie des Gens du Voyage ne s’améliorent pas pour autant. Ils sont même maintenus en internement jusqu’en 1946 par le Gouvernement Provisoire de la République ! Une loi de 1969 remplace le terme de « Nomades » par celui de « Gens du Voyage » et allège les restrictions. Cette loi est abolie en 2012 par le Conseil Constitutionnel, après que des associations de Gens du Voyage aie milité et posé une Question Prioritaire de Constitutionnalité.
Jusqu’en 2017, les Gens du Voyage étaient dépourvus de carte d’identité et de carte électorale : ce véritable Apartheid a duré plus d’un siècle. Et continue encore aujourd’hui ! Si les lois se sont assouplies, le racisme anti-Tsiganes est encore profondément ancré dans les mentalités. Ritchy prend l’exemple de ces 100 000 enfants Tsiganes exclus de fait de l’école de la République. Il évoque aussi son souvenir d’une professeure d’Histoire (!) au collège, qui lui a dit les yeux dans les yeux « vous [les Gens du Voyage] n’avez pas d’Histoire ».
Mais la violence de l’État est d’abord la prérogative de la police. Fichage ethnique (malgré l’interdiction de la pratique), violences policières… Les persécutions ne manquent pas. Quand il s’agit de déloger des Gens du Voyage, l’État envoie ses unités antiterroristes, pour s’entraîner.
De fait l’État n’a pas de politique claire en la matière : il pousse à la sédentarisation des Tsiganes, tout en poussant ces derniers à l’errance, qu’ils ne choisissent pas. Ainsi les Voyageurs sont placés, mais dans des zones à risque, polluées, insalubres… Un exemple marquant est celui de Rouen. Une aire de Gens du Voyage avait été installée juste à côté de l’usine Lubrizol, qui brûle et déverse ses produits dangereux dans la nature en 2019. Les Gens du Voyage ont été purement et simplement abandonnés par les services de l’État ou de la Métropole. Le racisme se fait environnemental.
Quelles réponses politiques apportées ?
En 2022 Ersilia Soudais devient co-présidente du « Groupe d’étude parlementaire sur les Gens du Voyage ». Elle n’est certes pas issue de cette communauté, mais l’antiracisme et la violence de l’extrême droite, elle les connaît depuis l’enfance.
Dans sa jeunesse, son père, le journaliste Michel Soudais est régulièrement menacé, agressé par l’extrême droite, le Groupe Union Défense (GUD, voir notre article ici) en tête. Grandir dans un environnement comme celui-là structure une pensée politique résolument antifasciste et antiraciste, qu’Ersilia Soudais porte au Parlement.
En devenant membre du groupe d’étude sur les Gens du Voyage, elle reconnaît ne pas connaître grand-chose au sujet, mais se met au travail. Elle est frappée de voir que les autres députés (de droite) du groupe d’étude voient les Gens du Voyage avant tout comme un problème, à régler pour que les bons français dorment sur leurs deux oreilles. Les macronistes ont d’abord voulu entendre ceux qui « subissent » la présence des Voyageurs. Ersilia Soudais obtient le fait de d’abord auditionner les premiers concernés : les associations de Gens du Voyage.
Elle parvient aussi à renommer le groupe en « groupe d’étude sur l’anti-tsiganisme » : l’angle n’est plus les « nuisances », mais bien les discriminations subies par les Gens du Voyage.
Le constat est amer. Hormis LFI, personne à gauche comme à droite ne semble se soucier de l’anti-tsiganisme, bien que Rémy Vienot note une légère amélioration depuis que Besançon est passée aux Ecologistes en 2020. Les pouvoirs publics (préfets, ministres, certains maires…) voient les Gens du Voyage comme on a pu les voir au siècle dernier : une source de désordre au mieux, un danger pour les habitants dans le pire des cas.
L’histoire de ce racisme nous replonge dans l’Histoire de France, y compris dans ses heures sombres. Celles où des policiers français, sur ordre de leurs supérieurs, ont arrêté, interné et déporté des milliers d’innocents. Celles où Vichy, pour servir sa politique raciste et répressive, a crée la Police Nationale, qui existe encore de nos jours. Voilà, M. Retailleau, ce que Ritchy Thibault a voulu dire en parlant des « enfants de Pétain ». Le pire étant que vous le savez.
Par Alexis Poyard
Crédits photo : « Les Roulottes », Vincent van Gogh (Grand Palais, Paris), 1888, publiée par Jean-Pierre Dalbéra, Flickr, CC BY 2.0, pas de modifications apportées.