L’eau, ressource vitale pour l’humanité, est en passe de devenir l’un des symboles les plus marquants de l’accaparement par les multinationales. Ces entreprises, telles que Nestlé, Coca-Cola et PepsiCo, transforment cette ressource indispensable en marchandise. Derrière un écran d’opacité et de pratiques d’exploitation massive, elles tirent d’énormes profits tout en échappant largement aux régulations environnementales et aux sanctions judiciaires. Décryptage d’un triple scandale. Notre article.
Le scandale environnemental : pollution plastique et bilan carbone désastreux
Le contrôle de l’eau par les multinationales ne se limite pas aux pays en développement, mais y prend souvent des proportions dramatiques. En Inde, par exemple, Coca-Cola a été au centre d’un conflit majeur dans le village de Plachimada, situé dans l’État du Kerala. Là-bas, l’entreprise a intensément exploité les nappes phréatiques pour ses besoins de production, réduisant considérablement l’accès des habitants à l’eau potable.
Au fur et à mesure que les puits se sont asséchés, les habitants ont dû parcourir de longues distances pour trouver de l’eau, tandis que l’usine continuait de fonctionner sans entrave. Après plusieurs années de lutte acharnée menée par les populations locales, marquée par des manifestations et des recours juridiques, l’usine a finalement été fermée en 2004, suite à des décisions de justice soulignant l’épuisement des ressources et la contamination des sols environnants [1].
Un scénario similaire se déroule actuellement au Mexique, dans la région de San Cristóbal de las Casas, où Coca-Cola pompe des quantités massives d’eau dans une région déjà fortement impactée par la sécheresse. Là aussi, les nappes phréatiques sont progressivement épuisées, privant les populations locales de leur accès à l’eau potable.
Contraintes par ce manque, elles se retrouvent dans une situation paradoxale : devoir acheter de l’eau embouteillée à des prix exorbitants, souvent plus élevée que l’eau courante elle-même, produite par cette même entreprise qui accapare les ressources [2]. Ce cercle vicieux, où la ressource est extraite pour être commercialisée sous forme d’eau embouteillée, met en lumière l’absurdité de cette dynamique extractiviste.
En France, Nestlé incarne l’un des cas les plus emblématiques d’accaparement des ressources en eau. Pendant 27 ans, entre 1992 et 2019, la multinationale a exploité des forages illégaux dans la région des Vosges pour alimenter ses marques de renom telles que Contrex, Hépar et Vittel. Ces forages, réalisés sans autorisation légale, ont permis à l’entreprise de prélever plus de 19 milliards de litres d’eau, soit l’équivalent de 700 000 m³ par an, ou la consommation annuelle d’une ville comme Saint-Dié-des-Vosges [3,4].
Ces prélèvements massifs ont contribué à l’assèchement de la nappe phréatique des Grès du Trias Inférieur (GTI), une réserve d’eau souterraine cruciale pour la région, classée depuis plusieurs années comme surexploitée par les autorités. Pendant que des restrictions d’eau drastiques étaient imposées aux populations locales, Nestlé poursuivait ses activités de pompage sans subir les mêmes contraintes [5]. Un projet d’importation d’eau des départements voisins a même été envisagé pour compenser l’assèchement de la nappe, mais il a finalement été abandonné sous la pression populaire [6].
L’accaparement des ressources par Nestlé ne se limite pas à l’eau. En 2021, des enquêtes journalistiques ont révélé que l’entreprise avait enfoui clandestinement des tonnes de déchets plastiques dans des décharges illégales situées à Vittel, contaminant ainsi les nappes phréatiques locales ainsi que les sols environnants. Ce modèle industriel, axé sur la recherche de profit à court terme, sacrifie l’environnement et met en danger la santé des écosystèmes locaux [14].
Sur le plan global, la production et le transport de l’eau en bouteille engendrent une empreinte carbone désastreuse. Selon une étude de la Carbon Trust (2020), produire et transporter des bouteilles d’eau génère une empreinte carbone de 82,8 grammes d’équivalent CO2 par litre. Pour un pack de six bouteilles, cela représente une émission équivalente à 4,1 km en voiture [13]. Ce chiffre, multiplié par les millions de packs produits et transportés chaque année à travers le monde, révèle l’absurdité écologique de cette industrie.
Le scandale sanitaire : les dangers cachés des microplastiques dans l’eau en bouteille
En plus de l’accaparement des ressources, un scandale sanitaire se profile concernant la qualité de l’eau en bouteille. Selon une étude de Mason et al. (2018), 93 % des échantillons d’eau embouteillée testés à travers le monde contiennent des microplastiques, certaines marques atteignant des concentrations allant jusqu’à 325 particules par litre.
Ces microplastiques proviennent principalement des bouteilles elles-mêmes, fabriquées à partir de polyéthylène téréphtalate (PET), un matériau couramment utilisé pour les bouteilles en plastique. Le processus de dégradation du PET au fil du temps, sous l’effet de la chaleur ou de l’exposition à la lumière, est l’une des principales sources de ces particules qui migrent dans l’eau [7].
Les études de Li et al. (2023) et de Makhdoumi et al. (2021) montrent que plus l’eau reste dans une bouteille en plastique, surtout dans des conditions de chaleur, plus les microplastiques se détachent et se retrouvent dans l’eau que les consommateurs boivent. Ces particules invisibles sont alors ingérées par les consommateurs, souvent sans qu’ils en aient conscience [8,9].
Les risques pour la santé associés aux microplastiques sont encore en cours d’investigation, mais des études récentes soulèvent des préoccupations sérieuses. Ces particules de plastique peuvent agir comme vecteurs de contaminants chimiques, tels que des phtalates ou des bisphénols, connus pour leurs effets perturbateurs endocriniens. Ces substances peuvent avoir des répercussions sur la santé, y compris des troubles hormonaux et métaboliques [10].
Les premières études sur les effets des microplastiques sur la santé humaine, comme celles de Nacaratte et al. (2023) et de Muthulakshmi et al. (2023), suggèrent que l’ingestion de ces particules pourrait entraîner des inflammations chroniques et des altérations cellulaires à long terme. Ces résultats laissent penser que l’exposition continue à ces particules, même à faible dose, pourrait avoir des effets néfastes sur la santé, augmentant les risques de maladies inflammatoires et auto-immunes [11,12].
Pour aller plus loin : Gestion publique de l’eau – Le député LFI Gabriel Amard publie un manifeste qui dézingue Véolia
Le scandale citoyen : impunité et fraudes des multinationales
En plus de l’impact environnemental et des risques sanitaires, les multinationales de l’eau en bouteille échappent régulièrement aux sanctions juridiques. En France, Nestlé a été impliquée dans un scandale judiciaire en 2024 lorsqu’une Convention Judiciaire d’Intérêt Public (CJIP) a permis à l’entreprise d’éviter un procès public.
Ce mécanisme controversé a permis à Nestlé, en 90 minutes, de négocier une amende de 2 millions d’euros pour des fraudes environnementales estimées à 3 milliards d’euros par les autorités françaises [5]. Cette CJIP, bien en deçà des dégâts causés, a permis à Nestlé d’acheter littéralement l’indulgence de la justice, renforçant ainsi le sentiment d’impunité qui entoure ces entreprises.
Mais cette affaire judiciaire ne s’arrête pas là. Nestlé a également trahi la promesse faite aux consommateurs en vendant des eaux minérales « pures » censées être naturellement saines. En réalité, certaines de ces eaux ont été traitées pour éliminer des contaminants bactériens, en contradiction avec la promesse marketing d’une eau non traitée.
Cette pratique, au-delà de la simple rupture de contrat, dévoile une stratégie marketing basée sur la peur infondée de l’eau du robinet, pourtant d’excellente qualité en France. L’argument selon lequel l’eau en bouteille serait de meilleure qualité que l’eau du robinet est en effet largement infondé, car l’eau du robinet est soumise à des contrôles rigoureux et est souvent d’une qualité égale, voire supérieure [7].
Cette impunité judiciaire, couplée à des pratiques de marketing trompeuses, montre comment les multinationales de l’eau exploitent à la fois les ressources naturelles et les consommateurs tout en échappant aux sanctions appropriées. Le modèle extractiviste et capitaliste de ces entreprises, soutenu par des failles juridiques, pose ainsi un défi majeur en matière de justice environnementale et sociale.
L’eau comme bien commun de l’Humanité : les insoumis au premier rang de sa protection
Avec L’Avenir en Commun, le programme de LFI, l’eau doit être reconnue comme un bien commun inaliénable. Le programme propose de reprendre le contrôle citoyen de l’eau et d’interdire la privatisation des nappes phréatiques par les multinationales. L’idée est de restaurer la gestion publique et citoyenne de cette ressource, avec une priorité donnée aux besoins des populations locales. Ce modèle soutient une gestion durable de l’eau, favorisant l’eau du robinet et réduisant la consommation d’eau embouteillée.
Enfin, L’Avenir en Commun propose d’abolir la CJIP qui permet aux multinationales d’échapper aux poursuites judiciaires et de faire face à des audiences publiques. Il s’agit de garantir la transparence, de mettre fin aux pratiques extractivistes et d’instaurer une justice environnementale et sociale équitable [5,6].
Guillaume Barjot
Bibliographie
- Shiva, V. (2002). Water Wars: Privatization, Pollution, and Profit. Cambridge, MA: South End Press.
- Barlow, M. (2007). Blue Covenant: The Global Water Crisis and the Coming Battle for the Right to Water. New York: The New Press.
- Pascariello, P., Philippin, Y. (2024). Colère des ONG dans l’affaire Nestlé : 3 milliards d’euros de fraude, seulement 2 millions d’amende. Mediapart.
- Abdelilah, A., Schmidt, R. (2021). Les décharges illicites de Nestlé à Vittel. We Report.
- Gleick, P. H., & Cooley, H. (2009). Energy implications of bottled water. Environmental Research Letters, 4(1), 014009.
- Carbon Trust (2020). Carbon Footprint of Bottled Water.
- Mason, S. A., Welch, V. G., & Neratko, J. (2018). Synthetic polymer contamination in bottled water. Frontiers in Chemistry, 6, 407.
- Li, J., Zhang, K., & Zhang, H. (2023). Microplastics in freshwater systems: A review on occurrence, ecological effects, and environmental fate. Water Research, 233, 119–144.
- Makhdoumi, P., et al. (2021). Plastic pollution in drinking water systems. Science of the Total Environment, 774, 145-163.
- Menon, N., et al. (2023). Health risks associated with microplastics in bottled water. Environmental Pollution, 298, 125619.
- Nacaratte, T., et al. (2023). Chronic exposure to microplastics and the potential impact on human health. Journal of Environmental Science, 57, 456.
- Muthulakshmi, P., et al. (2023). Impact of microplastics on human health: A review. Environmental Toxicology and Chemistry, 42(3), 450-460.
- Carbon Trust (2020). Carbon Footprint of Bottled Water.
- Abdelilah, A., Schmidt, R. (2021). Les décharges illicites de Nestlé à Vittel. We Report.