Anne Sicard. Un élément de langage revient souvent ces jours-ci dans la bouche et sous la plume de dirigeants du Rassemblement National (RN) : celui qui oppose le parti lepéniste à un « parti unique ». On imagine facilement ce « parti unique » aller des Républicains (LR), qui n’ont pas suivi Éric Ciotti dans son alliance avec le RN, à la gauche de rupture incarnée par le Nouveau Front Populaire (NFP). Le seul point commun entre ces camps politiques est d’avoir fait encore une fois un barrage républicain pour empêcher le RN de prendre le pouvoir à l’été 2024, avec (beaucoup) plus de sincérité à gauche qu’à droite.
Pourtant, on ne compte plus les appels du pied, voire les alliances assumées, de la macronie avec l’extrême droite, du passage médiatique comme celui de Bruno Millienne au soutien du RN au gouvernement Barnier négocié par Macron. Nos centristes raisonnables n’ont aucun problème à s’allier avec un parti aux innombrables sorties et membres racistes, du militant bas de plafond qui flirte avec les milieux néonazis à la députée issue d’un institut suprémaciste. Cette dernière, Anne Sicard, élue du Val-d’Oise, grenouille entre les organisations d’extrême droite, ce qui rend son parcours des plus gênants pour le RN. Notre article.
L’institut Iliade : un think tank identitaire et raciste
Cet institut, dont est issue Anne Sicard, regroupe depuis sa création plusieurs chapelles de l’extrême droite : surtout des identitaires, mais aussi des royalistes. C’est par exemple le cas de Bernard Lugan, issu de l’Action Française (AF), plusieurs fois pointé pour son racisme et sa défense de la colonisation, et « co-fondateur » de l’institut. À l’origine de ce think tank, créé en 2014, on trouve le suicide d’un ancien de l’OAS, Dominique Venner.
Ce dernier s’est suicidé en 2013 devant Notre-Dame de Paris pour dénoncer le « grand remplacement » et « l’immigration » : ses proches issus de la Nouvelle Droite, comme Jean-Yves Le Gallou, ont ensuite fondé l’Institut Iliade. Le but de cette structure est de former intellectuellement des cadres pour alimenter les partis et associations d’extrême droite, mais aussi de donner une caution intellectuelle à des idées profondément racistes.
L’institut Iliade a en effet une idéologie clairement identitaire, qui promeut la défense de la « civilisation européenne » face à l’immigration extra-européenne du Proche et Moyen-Orient. Cet ethno-différentialisme propre sur lui cache en réalité ce que l’historien Stéphane François nomme « suprémacisme blanc » : les prétendues « différences culturelles » indépassables cachent en fait la discrimination raciale.
Quoi de plus naturel alors si l’institut sert de passerelle entre toutes les chapelles de l’extrême droite : Cocarde Étudiante, RN, mais aussi des organisations plus groupusculaires et radicales comme Némésis, les suprémacistes des Braves ou les néofascistes de Tenesoun. Le colloque annuel de l’institut sert alors de grand-messe à tous ces groupuscules, qui peuvent se rencontrer, échanger… En plus de ce rôle de ciment entre partis, syndicats étudiants réactionnaires, et groupes radicaux, l’institut Iliade sert d’école de formation.
Chaque année, pendant 5 week-ends, des promotions d’étudiants apprennent les fondements de la pensée identitaire. Pour faire simple, ils apprennent à être racistes, mais avec les « bons mots ». Et parmi les premières étudiantes de ce cursus, présente dès les débuts du think tank, on trouve la députée apparentée RN Anne Sicard.
Anne Sicard : une grenouille dans les eaux troubles de l’extrême droite
L’actuelle députée du Val-d’Oise s’est engagée dès les années 90 au Front National de Jean-Marie Le Pen. Elle quitte le parti en 1998 avec presque tous les cadres du FN, derrière Bruno Mégret lorsqu’une scission du FN crée le Mouvement National Républicain (MNR). Les enjeux de cette scission sont résumés dans le portrait de Blast sur Mégret, mais ce qu’il faut comprendre, c’est que le FN prônait un racisme « old school ».
Tandis que le MNR, composé de cadres pour beaucoup issus de la Nouvelle Droite, comme l’institut Iliade aujourd’hui, défendait un racisme plus « intellectuel », qui ciblait l’islam comme danger pour la civilisation européenne. Mégret a préfiguré Zemmour. Et ce sont ces deux hommes qu’Anne Sicard suit, en 1998 et en 2021-2022.
Mais entre deux aventures politiques islamophobes, Anne Sicard rejoint l’institut Iliade dès sa fondation en 2014. Mieux, ou pire, encore elle a même organisé les formations d’Iliade, et encore aujourd’hui, elle s’occupe du fonds de dotation de la structure. Pour l’intéressée, l’institut dont elle est cadre n’est qu’une simple association culturelle, mais les vrais buts d’Iliade sont bien mieux décrits par une autre de ses dirigeantes : prendre le pouvoir grâce à une avant-garde.
Mais le parcours politique d’Anne Sicard a connu des rebondissements ces derniers mois. Dans le même esprit de scission qui l’avait animée en 1998, elle suit Marion Maréchal en
quittant Reconquête! (le parti d’Éric Zemmour) aux élections législatives anticipées de 2024. Elle s’est depuis rapprochée du RN, mais le parti est moins accueillant à son égard que dans les années 90.
Un cadeau empoisonné pour le RN
Le profil de la députée RN est à la fois gênant et intéressant pour le RN. D’un côté, la députée est une militante aguerrie, formée : elle est une cadre, et le parti lepéniste en manque cruellement. On l’a vu aux dernières législatives : outre les sorties racistes, nombre de candidats RN ont démontré leur abyssale incompétence. Mais d’un autre côté, Anne Sicard est issue d’une organisation trop ouvertement raciste : le RN n’a pas besoin de gens se revendiquant de la défense de la race blanche s’il veut faire bonne figure… pour le moment.
Alors les partis d’extrême droite institutionnels se passent la patate chaude : elle quitte Reconquête! et est élue députée sous l’étiquette Rassemblement National. Mais le RN n’est pour autant pas très motivé à l’idée d’intégrer pleinement dans son groupe parlementaire un profil au racisme aussi marqué. Idem pour le groupe parlementaire UDR, la scission de LR qui a fait alliance avec le RN. Un proche de son président Éric Ciotti résume ainsi son refus
d’intégrer Sicard à son groupe : « pas notre ligne ». Finalement, Anne Sicard est inscrite en
tant que « apparentée » RN sur le site de l’Assemblée Nationale. Retour au bercail en demi-teinte donc.
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Ainsi, on peut remercier la macroniste Émilie Chandler. Candidate Renaissance arrivée 3ᵉ
derrière Anne Sicard et l’Insoumis Maximilien Jules-Arthur, elle s’était maintenue au 2ᵉ tour.
Malgré le risque, qui s’est concrétisé, de voir le RN gagner l’élection, elle a maintenu sa candidature au nom du combat contre « les extrêmes ». Un insoumis, portant un programme de rupture, aurait pu être élu si elle avait été républicaine, et qu’elle s’était retirée ; elle a finalement fait élire une identitaire, une suprémaciste.
Par Alexis Poyard