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« Une mine de lithium », Crédits : Reinhard Jahn CC-BY-SA 2.0, pas de modifications apportées.

Souveraineté énergétique ou illusion extractiviste – L’enjeu caché des projets de lithium en France

L’extraction du lithium en France, notamment en Alsace et dans l’Allier, est au cœur de l’actualité. Dans le Haut-Rhin, les maires viennent de déposer un recours contre les permis de recherche accordés par l’État, alors même qu’une consultation citoyenne avait rejeté ces projets. À Strasbourg, la Rentrée des luttes du 14 septembre a donné la parole à de nombreux citoyens locaux, inquiets des impacts de ces initiatives.

Et dans l’Allier, la consultation publique autour du projet de mine de lithium à Beauvoir, ouverte depuis juin 2024, arrive à son terme. Mais ces projets, portés par de grandes promesses, sont-ils vraiment ce qu’ils prétendent être ? Les promesses de souveraineté énergétique et d’indépendance faites par les industriels sont-elles fondées sur des faits solides ou masquent-elles d’autres intérêts ? Examinons les véritables retombées des projets d’extraction de lithium en France. Notre article.

De l’Alsace à l’Allier : entre promesses de souveraineté et réalités

Les projets d’extraction de lithium en France, notamment en Alsace et dans l’Allier, sont souvent présentés comme des réponses aux besoins croissants de la transition énergétique. L’argument central des promoteurs est celui de la souveraineté énergétique : disposer de lithium sur le territoire français est vu comme une chance, permettant de sécuriser l’approvisionnement en matières premières pour la production de véhicules électriques. Le lithium, reconnu comme une ressource stratégique par l’Union européenne, bénéficie ainsi de subventions et d’un cadre réglementaire facilitant les investissements. Mais que représentent réellement ces projets face aux besoins de la filière automobile en France et en Europe ?

En Alsace, le lithium serait extrait des saumures géothermales profondes, avec des concentrations estimées entre 150 et 200 mg/L [1]. À titre de comparaison, les concentrations dans des régions comme le « triangle du lithium » en Amérique du Sud ou en Australie atteignent entre 1 000 et 2 000 mg/L [2]. Cette différence de concentration impacte directement les volumes de production. Même avec l’ensemble des projets alsaciens à pleine capacité, la production annuelle de lithium ne dépasserait pas 3 000 à 5 000 tonnes, soit de quoi alimenter entre 70 000 et 120 000 batteries de véhicules électriques [3]. Cela ne couvrirait qu’entre 3,5 % et 7 % des besoins annuels du marché français, estimé entre 1 et 2 millions de véhicules électriques d’ici 2030 [4].

Face à cette insuffisance, les promoteurs des projets alsaciens avancent d’autres arguments : les co-bénéfices énergétiques. Ils promettent que la géothermie profonde utilisée pour extraire le lithium pourrait aussi produire de l’électricité et de la chaleur urbaine. Cependant, ces arguments sont trompeurs. Le rendement énergétique de la géothermie reste très faible, oscillant entre 10 et 15 % [5]. Chaque site ne produirait qu’une quantité d’énergie électrique équivalente à celle d’une ou deux éoliennes terrestres, loin de répondre aux attentes en matière de transition énergétique.

Quant à la chaleur urbaine, bien que souvent citée comme un atout, elle est peu adaptée aux petites communes. Par exemple, à Soultz-sous-Forêts, un réseau de chaleur nécessiterait un investissement de 20 à 30 millions d’euros [6], un montant exorbitant pour une commune de cette taille, d’autant plus qu’il n’y aurait pas suffisamment de consommateurs pour utiliser cette chaleur à grande échelle.

Ce double discours est également visible dans les déclarations du président d’Électricité de Strasbourg (ES), partie prenante de la quasi totalité des projets alsaciens, qui affirme que « Le lithium pourrait redonner un avenir à la filière géothermie » [7]. Or, cette même entreprise admet que les projets de géothermie profonde ont été interrompus à cause des séismes induits par une surexploitation. Si l’exploitation géothermique a dû être arrêtée pour des raisons de sécurité, pourquoi continuer avec l’extraction de lithium, qui repose sur la même technologie à risques ?

Est-ce parce que l’exploitation du lithium est considérée comme tellement rentable que l’on est prêt à négliger la sécurité des habitants ? Et puis, que vient faire une entreprise ayant pour mission la production et la distribution d’électricité et de gaz dans l’extraction de ressources minières ? Cette dérive vers des projets à haut risque environnemental, dont le financement repose sur les factures d’électricité des Bas-Rhinois, semble être un détournement de ses objectifs premiers.

En comparaison, le projet de la mine de Beauvoir dans l’Allier présente une ambition et un modèle très différents, soulignant les disparités entre ces deux approches d’extraction du lithium en France. Avec une production (en techniques classiques) annuelle de 34 000 tonnes d’hydroxyde de lithium, ce projet pourrait alimenter environ 800 000 batteries de véhicules électriques par an, couvrant ainsi près de 40 % des besoins du marché français [8]. À l’échelle européenne, cela ne représenterait que 6 % des besoins [9].

Les projets alsaciens et du département de l’Allier semblent s’inscrire dans des logiques différentes. Si le projet de Beauvoir semble en ligne avec les ambitions de production de véhicules électriques, les projets alsaciens peinent à justifier leur pertinence, surtout lorsque l’on tient compte des limites de leur production et des arguments fallacieux concernant les co-bénéfices énergétiques. Cette apparente contradiction fait apparaitre l’une des questions centrale du débat : la production de lithium en France répond-elle réellement aux besoins locaux, ou est-elle destinée à alimenter des chaînes de production globales ?

Comme le souligne Laurent Delcourt, « ces projets sont rarement destinés à renforcer les économies locales, mais plutôt à alimenter des chaînes de production globales qui profitent principalement aux multinationales » [10]. Si ces projets s’appuient sur des justifications économiques et industrielles différentes, ils s’inscrivent en réalité dans une logique commune plus large, l’extractivisme, qui soulève de nombreuses questions sur la gestion des ressources et les impacts à long terme, tant au niveau local que global.

Extractivisme, accaparement et faux débats techniques

Parmi les principaux arguments avancés par les promoteurs de ces projets, on trouve l’idée que, dans un pays développé comme la France, les impacts environnementaux et sociaux seraient mieux contrôlés que dans les pays en développement. Toutefois, cette idée repose sur un imaginaire colonialiste et impérialiste, renforçant le mythe de la « mine propre ». En réalité, même dans des régions comme l’Alsace, classée comme sismique (niveau 3 sur 5), les forages géothermiques à grande profondeur ont déjà provoqué plusieurs séismes induits, atteignant des magnitudes allant jusqu’à 4, souvent liés à une surexploitation des installations [11].

En parallèle, même avec un taux de recyclage de 95 %, chaque projet consommerait encore 70 m³/h d’eau, soit plus de 610 000 m³ par an, l’équivalent d’une mégabassine de Sainte-Soline. Au total, les projets alsaciens représenteraient près de 8 mégabassines, auxquelles s’ajouterait une supplémentaire dans l’Allier. Dans un contexte de sécheresse croissante, cet accaparement des ressources en eau soulève des questions écologiques majeures. Les échecs passés illustrent également la faible fiabilité des engagements pris en matière de sécurité environnementale.

L’enfouissement de substances illégales à Stocamine, malgré les promesses des industriels, et les friches industrielles polluées laissées en Moselle après la fermeture des bassins houillers, montrent à quel point ces promesses sont rarement tenues [12]. Comme le souligne Eduardo Gudynas dans Extractivisms: Politics, Economy and Ecology (2018), « les externalités environnementales sont souvent laissées aux communautés locales, tandis que les profits sont captés à l’échelle globale » [13].

Cette logique d’accaparement, qui fait porter le poids des coûts environnementaux sur les communautés locales, compromet la viabilité des écosystèmes et perpétue des inégalités socio-économiques. De plus, selon un rapport de l’INSEE, les retombées économiques pour les collectivités locales restent dérisoires.

En moyenne, seulement 2 % des budgets locaux proviennent des revenus générés par ces projets, illustrant à quel point les bénéfices réels pour les communes sont minimes [14]. Il est donc illusoire, voire méprisant, de croire que la France pourrait échapper aux conséquences négatives de l’extraction minière, alors que d’autres pays y seraient condamnés. Les externalités négatives, qu’il s’agisse des séismes ou des risques de pollution, seront bel et bien subies par les populations locales, ici comme ailleurs.

Il est également crucial de remettre en question le modèle de société mis en avant par ces projets, celui du « tout voiture électrique », présenté comme seule solution de transition énergétique. Bien que les véhicules électriques réduisent les émissions de CO2 liées aux énergies fossiles, ils déplacent les impacts écologiques vers d’autres secteurs, en particulier l’extraction minière.

Dans son ouvrage Voiture électrique : pas si écologique, Jean-Marc Jancovici explique que « la voiture électrique, tout en étant une solution partielle au problème des émissions de CO2, déplace les impacts écologiques ailleurs, notamment vers l’extraction minière » [15]. Loin de résoudre les problèmes de pollution, ce modèle perpétue une logique de dépendance à la voiture individuelle, tout en imposant une charge écologique et sociale sur les territoires d’extraction.

Ces deux constats – l’extractivisme destructeur et le modèle insoutenable de la voiture électrique – révèlent une même impasse : encourager l’exploitation du lithium, que ce soit en France ou ailleurs, revient à ignorer les véritables enjeux d’une transition écologique durable. Il est donc urgent de sortir du faux débat technico-économique pour reposer les questions essentielles : quelle place voulons-nous accorder à la voiture dans nos sociétés ? Comment gérer nos ressources communes, telles que l’eau et le sol, sans les sacrifier aux logiques extractivistes ?

Le programme L’Avenir en commun propose une réponse claire à ces enjeux, en prônant une gestion citoyenne des biens communs et en s’opposant aux logiques d’accaparement par les multinationales. Ce programme place les citoyens au centre des décisions concernant l’usage et la protection des ressources naturelles, tout en rejetant la course à la surconsommation et la dépendance à des solutions technologiques imposées d’en haut.

« L’harmonie entre les hommes et la nature » doit guider nos choix de société, et non pas les promesses technosolutionnistes de la souveraineté énergétique par l’extractivisme ou les intérêts privés de multinationales, prêtes à provoquer des séismes dans leur course aux profits.

Pour aller plus loin : La planification écologique, une idée révolutionnaire

Il est essentiel que nous, citoyens, reprenions le contrôle des décisions concernant l’usage de nos ressources, et interdisions ces projets inutiles qui hypothèquent notre avenir et sacrifient l’intérêt général au profit d’une minorité.

Par Guillaume Barjot

Pour approfondir

[1] BRGM. 2021. Étude sur les ressources en lithium en France. Bureau de Recherches Géologiques et Minières, France.

[2] U.S. Geological Survey. 2023. Lithium Statistics and Information. [Accessed on February 2023].

[3] ADEME. 2022. Étude sur les impacts environnementaux et économiques des projets d’extraction de lithium en France. Agence de la transition écologique.

[4] Ministère de la Transition Écologique. 2023. Bilan du marché des véhicules électriques en France 2023. Paris, France.

[5] Tester, J. W., et al. 2006. The Future of Geothermal Energy. Massachusetts Institute of Technology.

[6] Eurométropole de Strasbourg. 2023. Rapport annuel Eau Assainissement 2022. Strasbourg : Eurométropole de Strasbourg.

[7] Delcourt, Laurent. 2021. L’extractivisme : exploitation industrielle des ressources naturelles et résistance des peuples. Éditions Syllepse.

[8] Martinez-Alier, Joan. 2002. The Environmentalism of the Poor. Edward Elgar Publishing.

[9] Rue89 Strasbourg. 2022. Arrêt définitif de la géothermie à Vendenheim.

[10] Ouest-France. 2022. Série de séismes près de Strasbourg : Un rapport pointe la responsabilité de Fonroche.

[11] Gudynas, Eduardo. 2018. Extractivisms: Politics, Economy and Ecology. Fernwood Publishing.

[12] INSEE. 2023. Rapport sur l’impact économique des projets d’extraction de ressources sur les communes.

[13] Jancovici, Jean-Marc. 2020. Voiture électrique : pas si écologique. Éditions Seuil.

Crédits photo : « Une mine de lithium », Crédits : Reinhard Jahn, CC-BY-SA 2.0, pas de modifications apportées.