Extrême droite. Quand des politiques basent leur projet politique sur celui d’un milliardaire, c’est mauvais signe. Vendredi dernier, le journal L’Humanité a dévoilé un document complet, à mi-chemin entre le « projet politique » et le business-plan d’une « start-up » à un nom de code : « Périclès ». Il s’agit d’un acronyme de « Patriotes Enracinés Résistants Identitaires Chrétiens Libéraux Européens Souverainistes », beau programme en perspective qui en dit long sur les aspirations idéologiques de ce document et de ses rédacteurs. « Périclès », c’est aussi le nom d’un dirigeant les plus emblématiques de la démocratie athénienne, au 5e siècle avant l’ère commune.
Surprenant choix donc pour ce qui est manifestement un projet de prise du pouvoir de l’appareil d’Etat par l’extrême-droite en 2027 pour accompagner la victoire du RN la même année, que les auteurs du projet Périclès voient comme inévitable. Mais le document révélé par L’Huma voit plus loin : en plus de détailler une stratégie de prise du pouvoir par les urnes (en faisant s’allier droites classique et extrême), c’est aussi une bataille idéologique au long court qui se dessine.
Et pour mener ces batailles, l’initiateur de Périclès, le milliardaire Pierre-Édouard Stérin, est prêt à y mettre les moyens. Sur la table, il pose 150 millions d’euros sur les dix prochaines années, dont 3,5 millions ont été distribués l’an dernier à divers lobbies réactionnaires. Evidemment, ils sont nombreux à être attirés par ce magot, dans toutes les chapelles de la droite : anciens ministres, partis, intellectuels, banquiers… Tous attirés par l’argent et le pouvoir. Notre article.
Pierre-Edouard Stérin : un bon Samaritain d’extrême droite
L’initiateur et financeur de ce projet est le milliardaire Pierre-Edouard Stérin. Il a fait fortune dans les années 2000 en fondant et dirigeant par exemple Smartbox, entreprise spécialisée dans la vente de boîtes-cadeaux. Il possède aussi des capitaux dans plusieurs médias, comme la chaîne YouTube Le Crayon (qui se veut pourtant « indépendant et neutre ») ou l’Institut Libre du Journalisme, une officine d’un Think tank d’extrême droite, l’IFP. Son dernier fait d’arme : tenter de racheter l’hebdomadaire Marianne, sans succès car son propriétaire Daniel Krestinsky a fait part jeudi de son refus de céder son journal à Stérin.
Son exil fiscal en Belgique lui permet en outre de financer de nombreux organes de charité (pour la plupart réactionnaires et anti-IVG), comme le Fonds du bien commun, créé en 2021. Ce fonds finance entre autres l’association SOS Calvaires, qui officiellement rénove des édifices chrétiens et organise des prières collectives, mais qui dans les faits fricote pas mal avec l’extrême droite.
Sans surprise, il est un grand admirateur de Vincent Bolloré, ce milliardaire propriétaire du groupe Canal et de plusieurs industries en Afrique. Les deux partagent une ligne catho-tradi et très réactionnaire et se sentent investis d’une mission : utiliser leurs gros sous pour financer un « combat civilisationnel » et un combat politique à l’extrême droite. Stérin a de plus des idées libertariennes : il prône un retrait total de l’État de l’économie (voire à terme sa destruction). Dans la pratique, ça donne l’Argentine de Milei et son taux de pauvreté galopant. Mais qu’importe pour Pierre-Edouard Stérin, qui n’en démord pas et veut « sauver la France et devenir un saint ».
Depuis 2015, il fait le tour de personnalités politiques qui pourraient « sauver » le pays à ses côtés : François-Xavier Bellamy, eurodéputé, le sénateur Bruno Retailleau (LR), Marion Maréchal et Eric Zemmour (Reconquête!), ou encore Arnaud Montebourg et Bernard Cazeneuve (anciens ministres PS, pour le côté “souverainiste”). A chacun, il leur aurait attribué une note sur 10, mais aucun n’aurait trouvé grâce à ses yeux jusque-là…
Mais Stérin a aussi une place particulière dans le clan Le Pen, jusque dans les affaires privées de la famille Le Pen. Il a aussi su placer ses proches dans l’alliance entre les Républicains d’Eric Ciotti et le Rassemblement National aux dernières élections législatives. Stérin est donc un milliardaire aux idées d’extrême droite, et qui traduit ses idées dans le soutien financier à des candidats et des formations d’extrême droite.
Périclès : un projet politique réactionnaire vers une prise du pouvoir
Le but de Périclès est annoncé dès le début du document : « Notre projet découle d’un ensemble de valeurs clés (liberté, enracinement et identité, anthropologie chrétienne, etc.) luttant contre les maux principaux de notre pays (socialisme, wokisme, islamisme, immigration). Pour servir et sauver la France, nous voulons permettre la victoire idéologique, électorale et politique.”.
Un vaste programme, dissimulé prudemment derrière une « association-mère » pour cacher les 150 millions d’euros investis sur 10 ans dans les projets annuels financés par Stérin. Sauf que les associations fantômes sont toutes ralliées aux structures de Stérin, comme le Fonds du Bien Public ou Otium capital.
Le document révélé par L’Humanité est clair : pour lui la victoire de l’extrême droite doit être triple. D’abord électorale, et c’est dans cette optique que Stérin a fondé une « école des maires », Politicae. Le but est de former des maires d’extrême droite pour les élections municipales de 2026 : le document Périclès a même fixé un objectif de 300 villes que le RN « doit prendre » d’ici deux ans. D’où la nécessité de former des élus locaux. Politicae ne fonctionne pas encore à 100%, mais des formations en ligne ont déjà été données par un ancien candidat LR-RN aux législatives.
L’école est dirigée par Philippe de Gestas, ancien du Mouvement Conservateur (aujourd’hui allié à Reconquête!) avec un but en tête : « faire gagner en 2026 plus de 1 000 maires de petites et moyennes communes » au bénéfice de l’extrême droite. Même chose pour les prochaines élections législatives, pour lesquelles des candidats doivent être formés, pour remporter l’élection présidentielle et les législatives de 2027, avec la « majorité absolue ».
Une fois la victoire acquise (selon le souhait du milliardaire d’extrême droite) par les urnes en 2027 par Marine Le Pen, le projet Périclès prévoit et prépare une prise de contrôle de l’appareil d’Etat. Cela consiste à « fournir une réserve d’hommes de pouvoir prêts à servir à tous les postes clés (cabinets, structures parapubliques, haute administration)/Développer les réseaux relais nécessaires (médias, finance, organismes internationaux) ».
Cela passe aussi par une alliance avec « tous les leaders de la droite ». Mais à plus long terme, Stérin a aussi pensé à une victoire « idéologique » pour que les idées d’extrême droite qu’il porte deviennent et restent majoritaires dans le pays. Pour l’aider, Stérin a promu au rang de « conseiller opérationnel » de Périclès Alexandre Pesey.
Cet ancien du syndicat étudiant UNI a fondé l’Institut de Formation Politique (IFP), un réservoir d’idées et une école militante d’extrême droite. Marqué par l’influence des Think tanks américains, Pesey veut regrouper dans son IFP toutes les chapelles à droite de la droite, dans ses idées comme dans ses intervenants. Catho-tradi, identitaires, Nouvelle Droite… c’est un véritable melting pot financé entre autres par Pierre-Edouard Stérin (voir Magal, M., Massol, N., L’extrême droite, nouvelle génération, chapitre 19, 2024).
L’Institut a vu défiler parmi ses élèves des noms prestigieux (dans les milieux d’extrême droite en tout cas) : Marion Maréchal Le Pen, Stanislas Rigault (patron des jeunesses Zemmouriennes), Alice Cordier (fondatrice du groupuscule identitaire Némésis), ainsi que plusieurs collaborateurs de Jordan Bardella. Parmi les dizaines de « projets » financés par Stérin à travers Périclès, plusieurs lobbies contre « l’assistanat », la « théorie du genre », pour la « préférence nationale » (fer de lance du programme du RN), la « place particulière du christianisme » et « la famille, base de la société ».
Au total, ces lobbies, relais d’influence, ont touché 3,5 millions d’euros en 2023. Un hasard sans doute, les dirigeants de ces lobbies sont tous passés par l’IFP. Sont aussi grassement payés des baromètres et instituts de sondages (il est même question d’en acheter un) chargés de produire des sondages sur l’immigration, l’insécurité… que des thèmes sur lesquels surfent le RN et les chroniqueurs de CNews.
Un objectif qu’a fixé Stérin est la mise en place d’un think tank central, « le premier » à droite, quitte à racheter là encore des structures existantes comme l’institut Thomas More. Le but est de créer des discours, des sondages pour influencer l’opinion publique. Toutefois cette dernière n’est pas la seule cible de Périclès : les élites de droite aussi sont courtisées (pour ne pas dire achetées) par Stérin.
Banquiers, anciens ministres… L’argent n’a pas d’odeur pour certains
Alexandre Pesey n’est pas le seul « conseiller opérationnel » du projet Périclès. Un certain Nicolas Govillot l’est également, et ce n’est pas n’importe qui : il est président du directoire des Assurances du Crédit Mutuel (ACM). Ainsi, un des dirigeants d’une des plus grosses banques de France travaille pour un milliardaire d’extrême droite, fait jouer ses réseaux dans les milieux d’affaires pour l’extrême droite. Pourtant, du côté d’ACM, on assure que : « M. Govillot n’a aucun autre engagement en dehors de ces fonctions. Il n’occupe aucune fonction dans le projet que vous citez.” répond-on à L’Humanité. En somme, il n’y a là que des relations d’affaires “naturelles”, circulez, il n’y a rien à voir.
D’anciens ministres aussi ont été « approchés » par Stérin. Celui-ci confirme que des « échanges sont en cours ou prévus » avec des personnalités de droite, de LR à Reconquête! en passant par le RN et Horizons, le parti d’Edouard Philippe. Dans le document consulté par L’Humanité, ces élus et notables sont classés en trois catégories.
Ceux sur qui Stérin a une “relation de confiance/réelle influence” sont le sénateur zemmouriste Stéphane Ravier et… Marine Le Pen et Jordan Bardella. On voit sans difficulté qui Stérin veut voir accéder au pouvoir. Ensuite, ceux avec qui Stérin entretient une « relation active mais pas de réelle influence » sont plus nombreux : Eric Ciotti, Laurent Wauquiez (LR), Jean-Philippe Tanguy (RN)… Stérin peut aussi « activer » une relation « via accès » avec entre autres l’eurodéputé RN Pierre-Romain Thionnet, bras droit de Bardella.
Enfin, une liste de personnalités sans « relation activable à date » mais ciblées est dressée : l’ancien Président Nicolas Sarkozy, l’ancien Premier ministre Edouard Philippe, et Eric Zemmour. Stérin identifie également les cibles « prioritaires » pour une « confiance/influence réelle » : Le Pen, Bardella, Éric Ciotti, Laurent Wauquiez, David Lisnard, François-Xavier Bellamy, Marion Maréchal, Nicolas Sarkozy et Eric Zemmour. L’ancien Premier ministre François Fillon a aussi été approché, mais ce dernier tempère son implication. Reste que Stérin reconnaît avoir noué des liens avec « une demi-douzaine d’anciens ministres de droite des gouvernements de Nicolas Sarkozy et d’Emmanuel Macron ».
Ce réseautage intense cache la peur de Stérin : l’arrivée d’un « gouvernement de gauche ». Peur justifiée. Périclès, c’est donc un vaste projet qui se divise lui-même en dizaines d’autres. Collecte de fonds, achat d’influence, relais dans l’opinion, formations d’élus… Tout est fait pour permettre à l’extrême droite de prendre le pouvoir, dans les communes comme dans les ministères. L’enjeu est aussi idéologique, pour rendre les idées d’extrême droite majoritaire dans le pays.
Les révélations de L’Humanité montrent que l’extrême droite ne rompra jamais avec le système néolibéral, celui qui broie les peuple et la nature depuis des décennies. L’implication d’un dirigeant du Crédit Mutuel le rappelle, comme elle rappelle que les milieux d’affaires ont été et sont encore des accompagnateurs (voire des accélérateurs) de l’accession au pouvoir de l’extrême droite. Ça a été le cas en Allemagne dans les années 30, quand les milieux d’affaires allemands ont mis à l’ordre du jour leur collaboration avec les nazis. C’est de plus en plus le cas en France dans les années 2020.
À la manœuvre, on retrouve un milliardaire d’extrême droite : Pierre-Edouard Stérin. Il est une sorte de Bolloré, en plus discret, mais qui sert à peu près les mêmes idées et ambitions, la prise du pouvoir par une extrême droite réactionnaire et catho-tradi. Mais surtout une extrême droite qui ne les gênera pas dans leurs affaires.
À force de donner des titres en latin ou grec à ses fondations, Stérin a un côté roi Loth de Kaamelott, qui fait toujours des citations latine sans queue ni tête pour impressionner son monde et se donner l’air savant. Peut-être en fin de compte a-t-il nommé son projet « Périclès » en connaissance de cause : l’athénien avait aussi une réputation d’homme autoritaire et cruel quand il s’agissait de mater des révoltes et des soulèvements. Un peu comme quand Jean Philippe Tanguy promettait de « mettre hors d’état de nuire » l’opposition de gauche si le RN prenait le pouvoir.
Par Alexis Poyard