« Le vote a été une humiliation écrasante pour Emmanuel Macron. Son mouvement a subi une sévère défaite« . C’est l’analyse faite par l’hebdomadaire The Economist, et de l’immense majorité des titres de presse internationaux, après le résultat des élections législatives en France, la défaite du RN et la victoire du Nouveau Front Populaire. Cette défaite, le chef de l’Etat refuse en bloc de la reconnaître pour garder le pouvoir que le vote des Français lui a retiré.
Dans le même temps, tous les représentants du macronisme et de l’ordre économique et médiatique continuent de faire feu de tout bois contre le programme du vainqueur. Bruno Le Maire, Patrick Martin, Aurore Bergé et leurs amis éditorialistes évoquent une « crise financière » en cas d’application du programme NFP. « Ceux qui critiquent notre programme sont les mêmes qui ont ruiné le pays. » leur a répondu Jean-Luc Mélenchon, rappelant que » Bruno Le Maire a endetté le pays de 1000 milliards en 7 ans et ose nous donner des leçons. »
D’un côté Bruno Le Maire nous le promet, l’application du programme du Nouveau Front Populaire conduira à une « crise économique ». Patrick Martin, président du MEDEF, est plus catégorique, estimant que son application serait « fatale » à notre pays. De l’autre, l’audacieuse Aurore Bergé explique à Télématin que les Français ne « veulent pas » de l’application du programme porté par la première force politique du pays.
Pourtant, qui peut sérieusement prétendre que les Français, qui mettent systématiquement le pouvoir d’achat au cœur de leurs préoccupations, seraient devenus macronistes ? Comment croire que le peuple qui a refusé toutes les réformes de destruction sociale subies ces dernières années aurait voté NFP par accident ?
Il va, au contraire, de soi que les mesures sociales proposées par la gauche ont contribué à lui valoir l’adhésion des électeurs. Le SMIC à 1600 euros est la mesure qui fait le plus polémique et qui déclenche contre le Nouveau Front Populaire un tir de barrage de la droite et des médias de masse. Selon certains commentateurs prompts à accaparer les micros, cette augmentation mènerait inévitablement à la ruine des entreprises, des faillites en série et à la destruction de l’économie française.
Mais, face à une telle menace, si évidente, pourquoi le plus grand nombre des économistes ayant pris position dans le débat public l’a fait en soutien du NFP ? Sans doute parce qu’Aurore Bergé, Bruno Le Maire, Patrick Martin, les toutologues et autres essayistes ont plus en vue leur intérêt de classe que les sciences économiques. Notre article.
La panique idéologique autour du SMIC à 1600 euros
Premièrement si le montant total du SMIC à 1600 euros apparaît élevé, il ne s’agirait d’une hausse que de 14%. Or, le salaire minimum n’a pas fait l’objet d’augmentations réelles depuis plus de dix ans ! Il ne faut, en effet, pas confondre les hausses du SMIC décidées par le politique et les augmentations prévues juridiquement en fonction de l’inflation, qui interviennent à échéance fixes. Ces dernières, hélas, sont très loin de permettre aux ménages d’être réellement protégés d’une conjoncture délétère. Sur l’année 2022-2023, par exemple, le SMIC a augmenté de 6,6%. Mais le coût de l’énergie, lui, avait explosé jusqu’à 23% tandis que les produits alimentaires de première nécessité avoisinaient une hausse de 7%.
De la même manière, sur les trois dernières années, l’inflation, tous produits confondus, est à 12,8% Mais il suffit de se reporter aux indices des prix de décembre 2023 et de décembre 2020 établis par l’INSEE pour constater que l’inflation cumulée sur l’alimentaire se situe à 23% tandis que l’inflation sur l’énergie atteint 44% ! Or les ménages les plus modestes concentrant davantage leurs dépenses sur les postes de première nécessité, il va de soi que la vie au SMIC s’est considérablement dégradée. Si l’on en doute, c’est que l’on ne s’est pas intéressé à la campagne lancée par la CGT en 2024, intitulée « #MaVieAuSmic », visant à recueillir les témoignages, souvent saisissants, de ces millions de ménages précaires.
Ainsi la nécessité sociale de l’augmentation du SMIC ne fait aucun doute, mais est-ce faisable ? Les arguments opposés sont de trois ordres : l’emploi en pâtirait, les entreprises n’auraient pas les moyens, et cela provoquerait un tassement des salaires. Pour ce qui est du premier point, il peut être écarté très rapidement : le gouvernement progressiste au pouvoir en Espagne a fait augmenter le salaire minimum de 54% en six ans sans aucun effet néfaste sur l’emploi, tandis qu’il a bondi de 12% au 1er octobre 2022 en Allemagne, là encore sans qu’un recul de l’emploi ne s’ensuive. Reste qu’il faut que les entreprises françaises puissent payer, mais ce point non plus ne pose pas de grand problème.
D’abord comme l’a souligné Eric Coquerel, il s’agit de réorienter les aides de l’État et les allégements fiscaux là où les emplois sont créés, et vers les entreprises en difficulté.
Mathilde Panot a proposé, le 11 juillet, l’application d’une forme de péréquation pour ce soutien aux secteurs en ayant le besoin. Il faut dire qu’en 2022 c’était 160 milliards d’euros d’aide aux entreprises distribués sans aucune contrepartie ! Qu’on en introduise et que, parmi celles-ci, on pense un critère tenant aux difficultés financières, particulièrement pour les TPE et PME ne pouvant suivre la hausse du SMIC, ne serait que justice. De même qu’il est tout à fait possible pour l’État d’encadrer des dispositifs de prêts à taux zéro pour répondre à des difficultés spécifiques.
L’enjeu d’une relance de l’emploi par la consommation des ménages
On dira que ces outils ne sont que conjoncturels et temporaires. Mais, la hausse du SMIC produirait un autre effet majeur : une importante hausse du revenu disponible, que le programme du Nouveau Front Populaire chiffre à 10 milliards par an pour les ménages. Ces fonds disponibles induiraient une hausse générale de la consommation qui tirerait l’emploi vers le haut.
Ainsi l’économiste Eric Heyer, chiffre à 142 000 le nombre d’emplois créés du fait de la relance de la consommation, et à 151 000 le nombre d’emplois nouveaux grâce aux allègements de cotisation, conditionnés à la création de nouveaux emplois, que souhaite mettre en place l’union de la gauche. Enfin il estime à 322 000 les emplois supprimés du fait de la hausse du SMIC, soit 29 000 destructions d’emplois. Mais, pour donner un ordre idée, c’est deux fois moins que ce que représente la hausse de 1% des emplois de fonctionnaires décidée en 2023 (59 000 nouveaux postes).
Et surtout, ces 29 000 destructions d’emplois sont calculées si la hausse du SMIC intervenait dans une législation inchangée par ailleurs !
Or le NFP inscrit sa mesure de hausse du SMIC dans un écosystème dédié à la relance économique, avec des plans d’investissement dans les infrastructures, des créations de poste dans la fonction publique, une structuration de l’économie vers la bifurcation écologique. La législation changera donc profondément et ces 29 000 emplois, même à prendre le chiffre au pied de la lettre, pèseront bien peu au regard du « gisement potentiel d’au moins 495 000 emplois nets en 5 ans » que l’Institut Rousseau discerne dans le programme du NFP, selon sa note du 27 juin 2024.
Ces créations de poste et cette hausse de la consommation seront d’autant plus susceptibles de contrer tassement des salaires que la conditionnalité des aides publiques sera la norme. Pas question de faire un CICE où l’on déverse des milliards dans la poche des entreprises pour « inciter » à augmenter les salaires ou à créer des emplois sans aucun moyen de contrôle. Le Nouveau Front Populaire entend, même si nous n’y sommes plus habitués, avoir une certaine rigueur, une certaine efficacité, dans l’utilisation de l’argent public.
En plus de la hausse du SMIC viennent, notamment, quatre mesures d’urgence sociale absolument nécessaires que le Nouveau Front Populaire a chiffré à 25 milliards d’euros.
La hausse de 10% du point d’indice des fonctionnaires, la gratuité intégrale de l’école publique (cantine, transport, fournitures périscolaires…), la revalorisation des APL de 10% et, enfin, l’abrogation immédiate de la réforme des retraites et de la réforme de l’assurance chômage.
Où trouver ces 25 milliards d’euros ? Les solutions ne manquent pas. Cibler les superprofits, d’abord, avec une taxe pérenne automatiquement appliquée dès lors qu’un seuil de plus de 20% de profits de plus que la moyenne des 4 dernières années est atteint, pour les entreprises du CAC 40. L’outil, s’il avait été appliqué, aurait rapporté 20 milliards d’euros en 2023, selon les travaux de l’ONG Oxfam.
Par prudence, le Nouveau Front Populaire, qui souhaite cette mesure, l’estime capable de produire 15 milliards d’euros de nouvelles rentrées fiscales. Le rétablissement de l’Impôt de Solidarité sur la Fortune est aussi à l’ordre du jour, mais un ISF renforcé, global, que l’on cessera de truffer de régimes d’exceptions et de niches fiscales, et qui, lui aussi, rapportera 15 milliards d’euros selon les projections programmatiques du NFP, soutenues par plus de 300 économistes dans un appel du 25 juin publié sur le Nouvel Obs.
Ainsi prétendre que le NFP se soucierait pas de financer ses mesures relève, au mieux, d’un manque d’informations et, au pire, d’une désinformation détestable, à des fins qui ne le sont pas moins. En effet, comment accepter que, selon le baromètre français de la pauvreté et de la précarité, 16% des Français disent devoir régulièrement sauter des repas du fait de leur précarité ? Comment l’accepter, alors qu’en desserrant l’étau qui pèse sur les ménages et en donnant les moyens aux français de vivre, il y aurait la possibilité de conjuguer un dynamisme économique réel et la justice sociale ?
Combattre le récit d’une injustice invincible pour soutenir la démocratie
L’Espagne, dirigé par une gauche combattive et efficace, a réussi à hausser le salaire minimum, à améliorer le montant des retraites, de l’assurance chômage, à réinstaurer partout le dialogue social, tout en faisant passer le taux de CDI de 10 à 50% et va boucler l’année 2024 sur une croissance supérieure à 2%. Et cela sans qu’on ait observé de grandes colonnes de patrons désespérés fuyant le pays avec leurs lingots sous le bras ! Alors pourquoi ne pas s’inspirer de cette réussite éclatante ?
Pourquoi persister à seriner ce dogme selon lequel la seule solution réaliste serait le malheur du plus grand nombre au profit de quelques-uns ? Il n’y a pas de loi de la nature dictant l’injustice sociale, elle n’est que la résultante de choix politiques qu’il faudra bien renverser. Le mépris affiché de la macronie pour les alternatives sociales à leur politique ne fait que nourrir le Rassemblement National. Pour s’en convaincre, il suffit de lire Félicien Faury dans ses analyses édifiantes mais effarantes sur le rapport résigné des électeurs du RN aux injustices, qui les amène à attaquer plus faible qu’eux dans l’espoir de grapiller des miettes.
Aujourd’hui le Nouveau Front Populaire est la première force politique du pays. Il est arrivé en tête des élections législatives surprise de cette année 2024, et toutes les forces réactionnaires œuvrent à sa perte. Au premier plan, il y a Macron qui refuse d’observer les coutumes républicaines et la pratique constitutionnelle en nommant un Premier ministre issu du NFP. En arrière-garde, les médias des milliardaires qui, faisant fi de toute réalité économique, sont chargés de dissuader le peuple de soutenir le programme pour lequel, pourtant, il a voté.
Cette irresponsabilité doit cesser. Le peuple ne saurait être frustré plus longtemps de ses revendications, aussi légitimes que réalisables. Si un énième déni de démocratie devait se produire, qui pourra s’étonner des formes que prendra la colère des Français ?
Nathan Bothereau