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Capture d'écran de Complément d'enquête du 6 avril 2023

Violences policières : une police qui protège ?

Police. Une manifestation contre les méga-bassines a eu lieu à Sainte-Soline le 25 mars dernier. Aujourd’hui, un manifestant touché à la tête est toujours inconscient. La violente répression s’est abattue sur les manifestants. Des LBD ont été tirés depuis des quads, des armes de guerre ont été utilisées et l’accès au secours a été empêché. Selon le ministre de l’Intérieur, les forces de l’ordre n’ont fait que répliquer à un soi-disant assaut des manifestants. Vraiment ?

Le reportage de Complément d’enquête du 6 avril 2023 a contredit cette version. Il est revenu plus largement sur le désastreux maintien de l’ordre à la sauce macroniste de ces derniers mois. L’ONU, l’Union Européenne, la défenseure des droits, même la Maison blanche se sont inquiétées de la répression du mouvement social historique des retraites. Vous n’avez pas eu le temps de regarder ce reportage ? Un de nos rédacteurs l’a fait. Il est d’utilité publique. Notre article.

« Je vais te fouiller dans la ch**** ! »

Le reportage de Complément d’enquête ouvre sur une unité de gendarmerie qui se trompe de cible. Éloquent. Tableau suivant : un ministre qui refuse de condamner l’agression sexuelle de trois jeunes femmes à Nantes. En l’espèce, il s’agit d’une palpation à l’intérieur des vêtements. Ce type de fouille est rigoureusement interdite. Une fonctionnaire de police a tenté de violer une des jeunes femmes avec son doigt … Glaçant.

Lorsqu’il est interpellé à l’Assemblée nationale sur cette question, Gérald Darmanin préfèrera saluer le mérite de ses troupes, acclamé par la minorité présidentielle. Une fois de plus, éloquent. Tout le reportage sera une succession de tableaux reprenant un à un les pires dérives du maintien du désordre pendant la mobilisation historique contre la retraite à 64 ans. Je ne peux pas vous décrire toutes les situations tant elles sont détaillées de manière précise et circonstanciée, mais un réel travail journalistique est fait, en un temps extrêmement court. Preuve que le travail peut se faire quand il y a une volonté sans entraves.

De la stratégie du maintien de l’ordre

Il y a une scène qui a tout de suite attiré mon attention. La scène se passe à Sainte-Soline, au milieu des gendarmes, mobilisés pour l’occasion. La scène est martiale. Les légionnaires romains défendent le camp de bassinum. Perché sur sa colline, entouré par ses légions, le dux bellorum inspecte ses troupes, donne ses dernières recommandations en attendant l’arrivée de ceux qu’il nomme lui-même comme les adversaires.

Ce colonel de gendarmerie, présenté comme un expert, voyant le cortège « équipé », ordonne à sa cavalerie d’aller réaliser des tirs de dispersion. Disperser un rassemblement ne se fait pas n’importe comment. Cela ne peut se faire que par une personne porteuse des signes de la république, brassard ou écharpe tricolore. Ensuite, nulle mention des armes utilisées, mais la plupart des armes de catégorie 2, à savoir les grenades et les balles en caoutchouc, ne sont pas autorisées pour le contrôle des foules. Elles ne le sont que pour la légitime défense. Je vous renvoie à l’excellent site de Maxime SIRVINS, pour vous faire une idée.

Pour aller plus loin : Sainte-Soline : communiqué des parents de Serge, toujours inconscient

Le bon et le mauvais chasseur

Le passage le plus inquiétant, de loin, est sans aucun doute celui où la cavalerie tire sur le mauvais cortège. Le passage est viral sur Twitter et a servi de bande-annonce au reportage quasiment à lui tout seul. On y voit le colonel demander à ses brigades motorisées de retourner tirer sur le cortège « équipé ». À ce moment-là, il n’a toujours pas commis une quelconque attaque, bien que déjà gazée. La joyeuse bande se met en route et s’arrête presque aussitôt, descend de son quad, se met en ordre de bataille et tire sur … le cortège familial.

Même le colonel se fend d’un « ils sont cons ». Ce passage est inquiétant. Il démonte la version officielle de gouvernement, selon laquelle les forces de l’ordre n’ont fait que répliquer. On se croirait presque dans le sketch des Inconnus: « un bon gendarme, il voit un manifestant, il tire … mais c’est un bon gendarme ». Aucune réflexion sur la dangerosité du groupe, aucune non plus sur la gradation de l’usage de la force. Comment voulez-vous que des gens qui obéissent aveuglément, respectent le droit et en particulier le devoir de désobéissance à un ordre manifestement illégal ?

« Il y a des enquêtes en cours… J’ai besoin qu’on m’explique le contexte »

Je pourrais résumer l’interview de Laurent Nuñez ainsi. Je vais essayer d’être un peu plus exhaustif. À une question sur le nombre de saisines de l’Inspection Générale de la Police Nationale (IGPN), le préfet de Police de Paris est hésitant. Il finit par répondre qu’il y a 36 enquêtes judiciaires. C’est déjà cela. Ce n’était pas la question pour autant. Quand il est interrogé sur les arrestations arbitraires, il utilise la même stratégie. Il esquive, répond à côté, finit par se lancer dans une explication périlleuse selon laquelle les arrestations de groupe sont liées à la commission d’infractions

Dans la même phrase, Laurent Nunez explique que « les gardes à vue sont trop courtes pour caractériser l’infraction ». Inquiétante image de voir un haut fonctionnaire justifier à ce point une politique répressive. S’il y avait infraction, il y aurait des témoins policiers pour la justifier. S’il n’y en a pas, l’arrestation est arbitraire. Toutes les cascades qu’il tente sont ratées. Rappelé à l’ordre par la communauté internationale, tout le monde se trompe sauf le gouvernement. Une cour de récré.

Les brutalités policières détruisent l’idée de République

Le moment le plus fort de ce reportage est, pour moi, l’interview de Sébastien Roché. Il est directeur de recherche au CNRS, professeur de sciences politiques à Grenoble et a récemment publié De la police en démocratie (Paris, Grasset, 2016). Dans un article de Libération, il revient sur le lien entre le maintien de l’ordre et la formation politique de la jeunesse. Je vous invite à savourer sa prise de position. Elle est éclairante ! Je vous invite aussi à prendre le temps de regarder ce dur, mais nécessaire reportage.

Par F. Boutin

Pour voir en entier le reportage de Complément d’enquête du 6 avril 2023 : « Manifs : la guerre est déclarée ? » c’est ici.