Kader Chaouch

Récit – Kader Chaouch, mort au travail, mort pour la France

Ce vendredi 28 avril 2023 est la journée mondiale des accidents au travail. L’insoumission.fr vous livre un témoignage, celui d’un fils. Son père, Kader Chaouch, ouvrier français issu de l’immigration maghrébine, a été fauché sur son lieu de travail à 26 ans. Mort pour la France. On l’oublie trop souvent : le travail tue. 645 personnes sont mortes au travail en France en 2021. Des vies invisibles, oubliées. Alors aujourd’hui, l’insoumission redonne un peu de lumière à un homme, un travailleur, un ouvrier, métreur, diplômé d’un BEP de génie civil, fier d’avoir participé à la construction de la Pyramide du Louvre, fier de son travail, emporté sur un chantier du TGV. Un homme incroyable, symbole de l’immigration française, par son fils, Xavier Moniot-Lundy. Hommage.

On oublie souvent que le travail tue, de toutes les manières possibles : il vous tue parfois à petit feu, juste avant la retraite, ou quelques mois plus tard. Et il tue parfois soudainement, brutalement, cruellement. C’est l’histoire d’une omerta : familiale, sociale, politique. L’histoire que je vais vous conter est celle de Kader Chaouch. C’était un homme, un ouvrier, un travailleur. Un Français, un mari, un père. C’était mon père. Je ne l’ai pas connu, ou si peu. Mais qui connaît un homme quand le crépuscule de sa vie apparaît si tôt, à 26 ans.

Se connaît il lui-même ? Il avait obtenu un BEP en génie civil. Il voulait devenir conducteur de travaux. En attendant, son travail de métreur lui permettait d’espérer gravir les échelons. Mais c’était avant tout un autodidacte, qui voulait apprendre, comprendre, s’élever. Il avait, pour preuve, décidé qu’il apprendrait une page de dictionnaire par jour, quelles que soient la longueur des mots, leur complexité ou leur ambivalence.


Il avait ce goût de l’intelligence, de la culture, du savoir. Peut-être parce que ses parents ne parlaient pas français, ou si mal. Il était heureux dans son travail et fier d’avoir contribué à la construction de la Pyramide du Louvre. Il aimait les matériaux comme le marbre ou le verre feuilleté utilisé pour construire cette œuvre architecturale, symbole du rayonnement de la France. Il aimait la France, il voulait en être.

Sur chaque chantier, dans chaque entreprise où il travaillait : il était vaillant, déterminé, conquérant. Il voulait s’épanouir, grandir et faire vivre sa petite famille : ma mère et moi. Et dans la France de Malik Oussekine, il en fallait du courage et de l’abnégation pour s’affranchir des préjugés et se hisser dans la pyramide sociale. Alors il travaillait. Beaucoup. Trop peut-être.

Ce jour-là, il avait décidé d’aller vérifier des cotes prises sur un chantier du TGV durant sa pause méridienne. Il était seul et souhaitait confirmer que son travail était bien fait. Il a sorti son mètre. Un coup de vent… Le mètre s’envole, touche le caténaire. Le hasard de la mort vient de le frapper. Il n’est pas mort. Ses camarades arrivés sur le chantier le retrouvent au sol, brûlé comme le charbon des locomotives. Il ne lui reste plus qu’une couche de peau calcinée. Mais c’est un homme encore en vie.

Transporté par hélicoptère au CHU de Lille, il mourra un mois plus tard. Après des jours d’agonie, sous morphine, amputé d’un bras et d’une jambe. L’hémisphère gauche atteint, les médecins préviennent ma mère qu’il ne pourra plus se nourrir par lui-même et vivre normalement. Ma mère à son chevet a pu encore l’entendre parler, à deux reprises. Il lui a demandé : « Mais comment vais-je faire pour travailler ? », « Il va bien le petit ? ». Et plus rien. Le vide. La mort. Au bout du travail.

Comment raconter ça à un gamin de trois ans ? C’est impossible. Ma mère m’a dit qu’il était parti au ciel. Puis l’âge de la conscience venant, ne sachant pas quoi dire, elle m’a expliqué qu’il était tombé d’une grue. Puis, elle m’a dit la vérité, insupportable, injuste, destructrice : il avait été électrisé sur son lieu de travail et était décédé des suites de ses blessures. Il aimait la France, il aimait son travail et ce chantier du TGV, jusqu’à en mourir. De cette histoire, je retiens un homme incroyable, symbole de l’immigration française.

Par son fils

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