Les cafés populaires, exercices de formation politique, de débats, mais surtout d’éducation populaire, ont été présentés lors de l’Assemblée représentative de La France insoumise (LFI) du 10 décembre 2022. Ils répondent à un objectif : « casser l’offensive des puissants avec des espaces de paroles, d’éducation populaire », comme l’explique la députée LFI Danièle Obono.
Comment s’inscrivent-ils dans la nouvelle organisation du mouvement insoumis ? Quel est le lien avec l’institut La Boétie, nouveau think tank insoumis ? Comment organiser un café populaire dans son groupe d’action ? En quoi diffèrent-ils de réunions publiques classiques ? Alors que le gouvernement voudrait décaler l’âge légal de départ à la retraite à 64 ans en 2030, comment les cafés populaires vont-ils participer à la bataille des retraites ? Danièle Obono a répondu aux interrogations de l’Insoumission.fr. Entretien.
Nadim Février : Que sont ces cafés populaires, comment s’inscrivent ils dans la nouvelle organisation du mouvement insoumis, et quel est le lien avec l’institut La Boétie ?
Danièle Obono : Ce sont des moments que l’on veut inscrire dans les prochaines batailles que l’on va mener. On veut pouvoir amener les débats politiques, d’actualité, programmatiques, au cœur de la vie de gens. C’est pour ça qu’on est parti de l’idée du café : c’est là où les gens se retrouvent, discutent de ce qu’ils voient la télé, entendent à la radio. Il s’agit d’investir ces espaces pour y apporter nos arguments.
L’idée, c’est de déconstruire et reconstruire le schéma des réunions publiques « classiques » du monde militant en le tournant vers les personnes qu’on veut convaincre de se mobiliser, de participer notamment à la bataille pour nos retraites, pour contrer la machine médiatique au service des puissants qui, souvent, crée de la confusion dans les sujets politiques et pousse à l’inertie.
Il faut casser l’offensive des puissants avec des espaces de paroles, d’éducation populaire aussi, pour permettre aux gens de s’approprier les sujets et réfléchissent aussi à comment on se mobilise et comment on répond aux arguments de nos adversaires.
Il s’agit d’utiliser les ressources mises à disposition par l’Institut La Boétie, notamment au niveau des intervenants, comme sur les retraites ou sur l’eau. On travaille en lien avec les équipes avec La Boétie et les équipes thématiques du programme pour avoir des ressources d’intervenants que l’on va former à une manière différente d’expliquer nos idées.
Pour aller plus loin : « Un lieu d’élaboration de la pensée politique et un outil d’éducation populaire » : Clémence Guetté présente l’Institut La Boétie, nouveau think tank insoumis
Nadim : Est-ce qu’il y a des territoires où les cafés populaires vont être davantage encouragés, par exemple dans les endroits où nous sommes moins bien représentés politiquement ?
Danièle : On va réfléchir, en lien avec la stratégie de développement du mouvement qui cible les endroits où l’on est moins représenté, d’autres où l’abstention est forte, où il faut faire reculer l’extrême droite. On va proposer des campagnes thématiques. L’idée, c’est de les organiser sur un, deux, trois mois… Il n’y a pas encore de période déterminée.
Mais il faut bien que l’on planifie puisqu’on se doit d’être réactif par rapport à l’actualité. On fournit un kit pour les groupes d’action organisent et structurent des cafés populaires. On s’appuie sur les demandes, selon les endroits, les configurations. L’idée est toujours de partir d’un lieu, d’un espace particulier où les gens se rassemblent. Ce ne sera pas le même type de cafés populaires dans des endroits où nous avons une présence militante forte, et d’autres où ce n’est pas le cas.
On s’adaptera. Et puis même, on ne fera évidemment pas des cafés populaires du même type dans Paris intra-muros, ou dans un village avec un seul café. Grâce à la coordination des espaces et le retour des camarades des autres pôles, on pourra jauger les territoires qu’il faudra cibler spécifiquement.
Nadim : « Cafés populaires », c’est un pôle au sein de quel espace de la coordination du mouvement ?
Danièle : Le pôle « Cafés populaires » fait partie de l’espace « Bataille des idées », dans lequel on trouve aussi l’Institut La Boétie. Je suis en binôme avec le député Hadrien Clouet, plutôt chargé du programme dans cet espace. Jean-Luc Mélenchon et Clémence Guetté sont co-présidents de l’Institut La Boétie.
Nadim : Si je veux organiser un café populaire avec mon groupe d’action, comment ça se passe concrètement ? Comment je fais ?
Danièle : Il faut prendre contact avec le pôle « Cafés Populaires ». Il va y avoir très rapidement, le temps que tout soit bien en place, sur le site de LFI une page dédiée à la coordination des espaces et aux pôles. En cliquant sur le pôle « Cafés populaires », vous trouverez comment nous contacter pour nous envoyer vos demandes. On prend contact avec le pôle, on indique le lieu, quelles seraient les dates envisagées, le thème abordé. Nous, on recense tout ça, on voit la disponibilité des intervenantes et intervenants.
Ensuite, on vous envoie le kit/mode d’emploi « Cafés populaires », on vous envoie les contacts des intervenants, qu’on forme. On vous propose aussi de former les animateurs et animatrices de groupe d’action. Comme je l’ai dit, l’idée est de changer les modes traditionnels de réunions publiques.
Nadim : Dans les « Cafés populaires », le rapport ne sera plus du tout le même vis-à-vis de l’intervenant, il y aura une dimension beaucoup plus interactive…
Danièle : Oui, tout à fait. L’objectif est vraiment de casser les codes. On travaille avec des camarades spécialistes d’éducation populaire. Dans une réunion publique, on fait venir des gens « à nous » dans un endroit et c’est un peu délimité. Là, l’idée est d’investir les lieux où sont les gens, donc les cafés. Le principe, ce n’est pas de faire une réunion dans son local. C’est de trouver des lieux adéquats.
C’est plus facile dans certains endroits que dans d’autres j’en conviens, et on adaptera au fur et mesure. Il faut aller vers les gens, et organiser un débat qui fait que, y compris les gens autour qui sont pas dans la discussion même, puissent se saisir des arguments. L’idée n’est pas d’avoir 150 personnes.
Nadim : Il faut vraiment que ça reste convivial c’est ça ?
Danièle : Voilà, c’est ça. Ça peut être une dizaine comme une quinzaine de personnes. Comme je l’ai dit, il faut sortir du schéma des réunions publiques. Quand tu penses réunions publiques, tu te dis qu’il faut qu’il y ait un maximum de gens. Là, c’est pas l’idée. On essaie de changer complètement la logique, en allant là où sont déjà les gens. La manière dont on en parlera va être impactée. Il y aura un travail d’apprentissage plus fin à faire, des maillages des communes, de leurs quartiers.
Nadim : Tu reviens souvent sur l’idée de renverser les codes des réunions publiques. Quand on fait un café populaire, même si on veut tout faire pour que la forme soit différente, n’y a-t-il pas un risque que certains travers qu’il y a dans les réunions publiques ou des assemblées générales subsistent toujours ?
Danièle : C’est absolument crucial. C’est pour ça que l’on va travailler avec les copains qui sont spécialistes de l’éducation populaire. Comment on distribue la parole, quels outils utiliser pour faire cela ? On n’imagine pas que l’on va renverser du jour au lendemain des habitudes très fortes, même chez les militants les plus ouverts. Il s’agit de faire infuser dans la culture militante traditionnelle des formes un peu nouvelles, qui permettent davantage d’atteindre des gens extérieurs à ces cercles.
Il y aura des arguments, que les habitués des lieux dans lesquels on sera, pourront reprendre. S’ils sont là, entendent des arguments et même sans le vouloir, les reprennent et les diffusent quand ils rediscuteront avec quelqu’un, on aura gagné un truc. On aura gagné un émetteur « passif », qui peut ou ne veut pas être actif dans la réunion. Il pourra réutiliser les arguments qui l’auront convaincus. Voilà l’état d’esprit.
On va former les animateurs/animatrices de groupe d’action, les intervenants et intervenantes à ces nouvelles méthodes. Lorsque l’on a une formation syndicale ou universitaire, on peut être davantage habitué à des structures plus pyramidales.
Nadim : Quelle sera la fréquence des campagnes nationales des cafés populaires ? Et quelle sera la prochaine, contre la réforme des retraites du gouvernement ?
Danièle : Les premiers cafés populaires devraient commencer dès le mois de janvier sur la question des retraites. C’est l’objectif. Ce mois-ci, puis le mois de février, aussi longtemps que nécessaire pour renforcer la conscience populaire et le rapport de force sur cette question. On a déjà ciblé des endroits où on va proposer aux uns et aux autres de tester cette forme là. On doit aussi réfléchir aux campagnes permanentes de cafés populaires, qu’on pourrait faire sur des aspects plus programmatiques, pouvant s’articuler à des dates historiques, avec un ou deux de mois de campagne sur tel ou tel sujet.
Entretien réalisé par Nadim Février