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EXCLUSIF – L’enfer que Disney fait vivre à ses femmes de ménage

L’envers du décor du monde merveilleux de Disneyland Paris ? Le traitement inhumain de ses femmes de ménages. Trois d’entre elles ont accepté de nous rencontrer et de témoigner. Leurs noms et leurs voix ont été modifiés, leurs visages floutés, pour les protéger des représailles du groupe. Le document que révèle l’insoumission aujourd’hui glace le sang. Il témoigne de la face la plus sombre de notre modèle économique. À 50 jours de l’élection présidentielle, il serait peut-être temps d’ouvrir le débat sur l’exploitation de ces millions de travailleuses et travailleurs invisibles. Enquête.

31 chambres chacune chaque jour. 6 minutes par chambre. Aucune pause repas, aucun temps mort. Des heures et des heures supplémentaires, non payées. Le dos cassé. Le tout, pour un salaire à peine au dessus du seuil de pauvreté. Bienvenue dans l’univers merveilleux de Disneyland Paris, la face cachée de Disney.

« Nous sommes les nouvelles esclaves des temps modernes » : la lettre d’une femme de ménage d’un hôtel de luxe de Disneyland Paris

« Bonjour Madame, Monsieur, l’objet de notre présence ici : dénoncer l’exploitation humaine et la maltraitance. Ce qui se passe ici ressemble à l’esclavage. Nous sommes les nouveaux esclaves des temps modernes. En 2022, dans un pays des droits de l’Homme comme la France, on exploite des êtres humains comme au temps de la traite des esclaves. On nous fait travailler comme des sauvages ». Ida (son prénom a été modifié) nous lit la lettre qu’elle avait préparé sur son téléphone.

« Nos conditions de travail ne sont pas respectées par cette gouvernante, incompétente et raciste. Nous refusons l’exploitation humaine. Nos conditions de travail ressemblent à celles de traitre négrière au profit d’une mafia familiale. L’esclavage a été aboli et pour rien au monde nous n’accepterons qu’on nous traite de cette manière. Quand tu n’es pas d’accord, tu es torturée par le système. Nous travaillons dans des conditions inhumaines pour vous donner des suites et des chambres que vous payez à prix d’or ».

« Je n’ai pas de pause, parfois même pas le temps d’aller aux toilettes. Nos enfants nous appellent ? Pas le temps de décrocher »

Deuxième témoignage, celui de Mélinda (son prénom a été modifié), elle aussi femme de ménage dans ce même hôtel de luxe de Disneyland Paris. « Je commence à 9 heures 15 et normalement dans mon contrat je dois terminer à 15 heures. Mais si à 15 heures je n’ai pas terminé les 31 chambres, je dois terminer les 31 chambres. Si je finis à 17 heures ? Je ne suis pas payée ». Pas d’heure supplémentaire, un paiement à la chambre, à la tâche. Le droit du travail ? Surcoté.

« Je n’ai pas de pause. Parfois on n’a même pas le temps d’aller aux toilettes. Parfois nos enfants nous appellent, on a pas le temps de décrocher parce qu’on est toujours en mouvement ». Le tout pour 1100 euros. Un salaire à peine supérieur au seuil de pauvreté (1063 euros).

Pas le droit de savoir ses jours de repos en avance, pas le droit aux fêtes

Les jours de repos hebdomadaires ? Impossible de les connaître à l’avance. Comment organiser sa vie ? Être dans les bons papiers de la gouvernante.

Troisième témoignage, celui de Germaine (son prénom a été modifié) : « Là où nous travaillons, on n’a pas le droit aux fêtes. Si nous demandons à être avec nos enfants ? C’est non. Si on ne vient pas travailler le jour des fêtes ? Lettre d’avertissement. Ça se passe comme ça chez nous ».

« De la maltraitance, de l’humiliation, de l’irrespect. Diriger c’est ne pas avoir de camp. Cette dame a coupé l’hôtel en deux » : la dictature de la gouvernante

« On vous aime ? Vous avez le droit à deux weekends. On ne vous aime pas ? Aucun weekend. Là où nous travaillons il y a un clan autour de la gouvernante. Si on se soumet pas à elle ? On a le droit à rien ».

Le 10 octobre dernier, les femmes de ménages de cet hôtel de luxe à 600 euros la nuit, le Disney’s Newport Bay Club , se sont mises en grève. Une grève qui aura duré 13 jours. Une grève invisibilisée par les médias traditionnels, mais à laquelle l’élue insoumise Julie Garnier s’est rendue, allant jusqu’à s’enchaîner aux grilles de l’Hôtel.

Julie Garnier

« C’est de la maltraitance, de l’humiliation, de l’irrespect. Je trouve qu’elle est incompétente cette femme car diriger c’est ne pas avoir de camp, c’est être juste. Soit on est là pour tous, soit on ne l’est pas. Cette dame dès qu’elle est arrivée a coupé l’hôtel en deux : ceux qui sont avec elles, ceux qui ne sont pas avec elles ». Germaine, troisième femme de ménage à accepter de témoigner pour l’insoumission, en a gros : ça fait 22 ans qu’elle travaille dans cet hôtel.

« Les corps sont éreintés. Nous prenons des dolipranes tous les jours. Certaines prennent des cocas tous les matins pour tenir ! »

« Après 22 ans, les corps sont éreintés. Nous prenons des dolipranes tous les jours. D’autres prennent des cocas tous les matins. Un coca c’est ça qui nous tient jusqu’à la fin de la journée. Si on prend une pause, ça signifie quitter le travail au delà de 15 heures et travailler gratuitement ».

Une cour est organisée pour être dans les petits papiers de la gouvernante : cadeaux, vêtements, nourriture… Celles qui avec leurs 1000 euros mensuels estiment ne pas pouvoir faire ces cadeaux ? Au charbon. Deux salles, deux ambiances chez les femmes de ménages de l’Hôtel newport Disney, et des conditions de travail qui semblent changer du tout au tout selon qu’on se trouve ou non dans le clan de la gouvernante.

« Quand vous dites la vérité, vous devenez une cible qu’on cherche à abattre. C’est un appel au secours. On n’en peut plus »

Une grève a donc été lancée pour demander la mutation de la gouvernante. « Au moment où vous dites la vérité, vous devenez une cible qu’on cherche à abattre. On est en France, on est un pays de droit et de lois ! Comment en 2022 en France on peut subir des choses comme ça dans le silence ? C’est un appel au secours. On n’en peut plus ».

Comment tenir ? Comment se lever chaque matin en se disant qu’on a encore 10 ans à tenir ? « Pour donner une éducation à nos enfants on est prêtes à tout. La majorité de celles qui se sont révoltées se sont dit : « on est prêtes à tout mais jusqu’à quand ?« . Il faut qu’il y ait un meurtre pour que les gens réagissent ? ». L’appel est lancé.

Un mois de mise à pied pour… une boîte de crayons à papier !

« Chez nous il y a des têtes à faire tomber. Les têtes qui parlent, qui résistent. Le travail n’arrête jamais d’augmenter pour 1000 euros. Si vous dites non, votre nom apparaît sur une liste ». Et des têtes, des meneuses de la grève d’octobre, sont déjà tombées. Un licenciement et une mise à pied conservatoire.

Le motif de cette dernière ? Une boite de crayon à papier. Bienvenue dans la magie du décor de Disneyland. Bienvenue dans la magie de l’exploitation du capitalisme contemporain. Bienvenue dans la soif de profit infini du capital fracassant l’humain.

« On ira jusqu’à contacter le ministre du travail. On n’est pas là pour dire du mal de Disney. On est là pour réclamer nos droits, parce qu’on est en France ! »

Un licenciement au bout de 22 ans d’ancienneté d’une personne qui a osé faire grève. « C’était une tête à tuer ». Mais hors de question de baisser les bras. « On est là jusqu’au bout. On est là jusqu’au bout car on est en France, et il y a la loi en France. Si rien ne bouge on va contacter directement le ministre du travail. On va aller jusqu’au bout. On est déjà mort. Une chèvre ou un mouton qui est déjà mort n’a pas peur du couteau encore ».

Disney Paris

« Je veux être claire : on n’est pas là ici pour dire du mal de Disneyland. On n’est pas là pour ça. On est là pour réclamer nos droits, parce qu’on est en France . Ce n’est pas parce qu’on est des femmes noires qu’on doit nous traiter comme ça. On a des droits. On veut nos droits. C’est pour ça qu’on est là ». Le message est fort, et a le mérite d’être clair.

« Ce n’est pas parce qu’on est des femmes noires qu’on doit nous traiter comme ça. On a des droits. On veut nos droits »

Ces 3 femmes qui ont eu le courage de témoigner, sont toutes les trois employées d’une entreprise sous traitante à laquelle le groupe Disneyland fait appel pour faire le ménage de son hôtel de luxe, le très chic Disney’s Newport Bay Club. Cette entreprise sous traitante a un nom, elle a une adresse. Elle s’appelle Atalian.

« Si ça continue, je dis la vérité, il y aura soit un meurtre soit un suicide, ça va finir comme ça. On est des femmes combatives, on n’a peur de rien. Comme dit ma collègue, on est déjà mortes, on n’a plus peur de rien ». Trois combattantes, trois héroïnes, trois de ces femmes qui tiennent le pays. Ces fameuses « premières lignes » du premier confinement si vite oubliées par ce gouvernement. Ces « gens qui ne sont riens » piétinés et profondément méprisés par le chef de l’État.

« Parce qu’on est des femmes de chambre on n’a pas le droit de faire grève ? On vit dans quel monde ? »

« Est-ce que la grève ce n’est pas un droit ? Les infirmières ont le droit de gréver et pas nous ? Parce qu’on est des femmes de chambres qui nettoyons, excusez-moi, votre merde, on n’a pas le droit de grèver ? On vit dans quel monde ? ». Un monde où on revient au travail à la tâche. Un monde ubérisé (cf notre entretien ci-dessous). Le temps de travail, le droit de manger, le droit d’aller aux toilettes ? Pas le problème de l’employeur. Peu importe le prix à payer pour les corps.

« On ne peut pas être président que pour une partie de la population, on est président pour tout le monde, pour ceux qui souffrent aussi ! »

« Ce n’est pas un modèle ça. On ne peut pas être président que pour une partie de la population, on est président pour tout le monde, pour ceux qui souffrent aussi ! Ce président a dit aux patrons : « je vous donne tout, tuez les, coupez leur la tête ». Et ça, c’est de l’esclavage. Et Disney le sait. C’est pour ça que les patrons profitent, car on a un président qui est avec eux ! ». Il faut que la voix des sans-voix empêchent les puissants de dormir, que la voix des invisibles empêchent Emmanuel Macron de dormir.

« La France n’est pas que pour ceux qui sont riches. La France c’est aussi pour ceux qui sont pauvres. Ceux qui sont pauvres sont ceux qui souffrent le plus. Il faut qu’on ait un président qui pense à nous aussi un peu. Mais là c’est pas le cas. Les patrons profitent. Aujourd’hui c’est : j’ai de l’argent, j’ai du pouvoir. Je n’ai pas d’argent, je ferme ma bouche ? ».

Ramenons ces millions de travailleuses et de travailleurs invisibles au cœur de la campagne présidentielle. Le pouvoir d’achat est la priorité absolue des Français, les gilets jaunes ont fait leur retour à l’occasion des convois de la liberté dans tout le pays, ramenons l’exploitation, l’augmentation des salaires et des conditions de travail, la question de notre modèle économique à l’agenda médiatique à 50 jours de l’élection présidentielle.

Par Pierre Joigneaux.