Total savait depuis 1971. Mais depuis 50 ans, le groupe préfère dépenser des milliards de lobbying pour insuffler le doute sur le réchauffement climatique et saboter toute action politique en faveur du climat. La question d’un procès contre Total pour inaction climatique, à l’instar de celui qui cible actuellement les firmes pétrolières aux États-Unis, est inévitable. Notre article.
Des archives inédites démontrent que Total a été alerté dès le début des années 1970 de l’impact climaticide de son activité. Ces archives révèlent comment le groupe a déployé une stratégie pour insuffler le doute et par la même, saboter toute action politique en faveur du climat. C’est en substance ce que dévoile une étude scientifique sans précédent publiée mercredi 20 octobre 2021, dans la revue Global Environmental Change, par les chercheurs Christophe Bonneuil, Pierre-Louis Choquet et Benjamin Franta. Ces travaux sont à contre-courant du récit dominant qui veut que les rapports scientifiques nous aient progressivement éclairés à propos du réchauffement global.
Après s’être plongés dans les archives des groupes Total et Elf (avec qui la fusion s’est opérée au tournant des années 1999-2000), les trois universitaires révèlent que TotalEnergies, le nouveau nom de la firme depuis mai 2021, a été alerté en interne dès 1971 de l’impact potentiellement désastreux de ses produits pétroliers sur le réchauffement planétaire.
Après avoir œuvré activement à retarder toute décision politique en faveur du climat dans les années 1990, Total a adopté un discours de greenwashing à partir des années 2000, tout en orchestrant son adhésion au consensus scientifique.
Du salarié au PDG, tout le monde savait
On apprend dans un dossier publié dans Total Information et préfacé par le PDG et le secrétaire général du groupe, que l’impact climatique des énergies fossiles a été lu par des milliers de salariés et des cadres exécutifs de Total.
Le géographe français François Durand-Dastès, dans son article pour cette étude, s’alarme d’une augmentation « préoccupante » du taux atmosphérique de CO2 qui « pourrait atteindre 400 parties par million vers 2010 », avec des « effets importants » sur la météo et la montée des eaux. Celui-ci affirmait, à raison, que la combustion d’énergies fossiles conduisait « à la libération de quantités énormes de gaz carbonique » et prévoyait déjà une « augmentation de la température moyenne de l’atmosphère ainsi qu’une fonte au moins partielle des calottes glaciaires des pôles », entraînant une élévation du niveau de la mer. « Les conséquences catastrophiques sont faciles à imaginer », concluait alors l’article.
Durant cette décennie, les événements climatiques extrêmes se multiplient partout sur le globe. Dans le même temps, des organisations « pro climat » émergent, comme Greenpeace.
Avec le rapport de l’Académie américaine des sciences de 1979 (dit « Rapport Charney »), une certitude se solidifie. L’étude note qu’au rythme actuel, un doublement de la teneur en CO2 par rapport à l’ère préindustrielle serait atteint au XXI siècle et provoquerait un réchauffement de 1,5 à 4,5 °C.
Le rapport conclut qu’« une politique du wait-and-see signifierait attendre qu’il soit trop tard »
Malgré les différentes études et évidences, le groupe Total a longtemps mis en avant les « incertitudes » des sciences du climat, afin de freiner les politiques visant à limiter le recours aux énergies fossiles et annihiler toute volonté politique. Le travail d’enquête des trois universitaires montre que le groupe est conscient de l’impact néfaste de ses activités sur le climat depuis près de 50 ans, mais a orchestré un lobbying acharné afin de minimiser son rôle et de pouvoir ainsi continuer à exploiter pleinement les énergies fossiles.
C’est au cours des années 1980 que les groupes pétroliers ont changé de stratégie, en passant de la dissimulation au discrédit. Ce basculement a marqué le début d’une période de « fabrique du doute », au cours de laquelle les géants du secteur ont systématiquement remis en cause les conclusions des scientifiques sur le réchauffement climatique.
Malgré la signature du protocole de Kyoto en 1997, le nouveau groupe Total-Elf a continué d’investir massivement dans l’exploitation d’énergies fossiles, évoquant toujours des « incertitudes » quant aux sciences climatiques et minimisant l’urgence de la situation.
Il aura fallu attendre septembre 2006 pour que Total organise une conférence sur le changement climatique et reconnaisse le « sérieux » des rapports du GIEC.
Total renommé TotalEnergies ? Le greenwashing est total
En Mai 2020, dans une vaste opération de communication (greenwashing NDLR.) le groupe Total dévoilent ses ambitions en faveur du climat. Les deux principaux éléments des annonces de Total sont les suivants : l’objectif affiché d’atteindre la neutralité carbone d’ici à 2050 et le changement de nom en TotalEnergies.
L’objectif affiché d’une neutralité carbone d’ici à 2050 est complètement hypocrite, au vu de l’empreinte environnementale du groupe, dont les activités tournent essentiellement autour des énergies fossiles. En 2019, les activités de Total ont généré 450 millions de tonnes de CO2 équivalent, soit autant que les émissions de gaz à effet de serre de la France. Entre 2015 et 2020, 90% des investissements ont été destinés à des projets en énergies fossiles, les 10% n’allant pas nécessairement vers les énergies renouvelables.
Pour 1 baril d’énergie renouvelable, 447 barils d’énergie fossile
La tendance n’est pas prête de s’inverser. Entre 2026 et 2030, Total prévoit de réserver 80% des investissements à la production… de gaz et de pétrole. Total mise sur une hausse de la demande énergétique et ne prévoit pas de baisse anticipée de la demande en hydrocarbures avant 2030. Total prévoirait d’augmenter la production de pétrole et de gaz d’environ 15% d’ici à 2030, selon une étude de Carbone 4 de 2020. La part du gaz dans le mix de Total augmenterait et « pourrait représenter près de 60% » de la production d’hydrocarbures, indique Total.
En plus de l’aggravation du réchauffement climatique, les activités des groupe pétroliers sont écocides. Au même titre que les marrées noires, la déforestation des forêts tropicales, l’assèchement de la mer d’Aral dû au prélèvement excessif de l’eau des fleuves qui l’alimentent… La convention citoyenne pour le climat qui était composé de 150 citoyens, avait demandé au gouvernement Macron la reconnaissance du crime d’écocide.
La convention citoyenne pour le climat avait proposé la reconnaissance du crime d’écocide, refusée par Macron
Le gouvernement Macron a décidé de n’en faire dans la grande farce de la loi climat, un délit et de « sanctionner les atteintes à l’environnement en proposant une gradation des sanctions pour un dommage à l’eau, l’air ou les sols ». C’est une structuration qui découpe l’environnement, au lieu de fournir une vision écosystémique”, dénonce Cyril Dion, écrivain et militant écologiste.
Les conclusions du 6ème rapport du GIEC constituent une nouvelle sonette d’alarme. En effet, il nous reste moins de 20 ans pour éviter le pire si nous maintenons nos émissions de CO2 à 40 milliards de tonnes par an.
L’urgence absolue de la planification de la bifurcation écologique
La planification de la bifurcation écologique est donc une urgence absolue pour toute l’humanité. L’Avenir en commun, le programme des insoumis, est plébiscité par les associations et ONG écologistes depuis 2017. Il a déjà rassemblé plus de 7 millions d’électeurs et près de 20% des suffrages lors de la dernière échéance présidentielle. Bonne nouvelle : ce programme est porté par le candidat aujourd’hui de loin le mieux placé à gauche dans les sondages, Jean Luc Melenchon.
Loin de la diversion identitaire et sécuritaire, la première insécurité est écologique. L’urgence d’amener la question écologique et sociale au cœur de l’agenda médiatique est absolue. La planification de la bifurcation écologique, urgence n°1 pour 2022.
Par Sonia Naffati.