Ce lundi 13 septembre, l’annonce a fait grand bruit : Emmanuel Macron devait annoncer ce mardi à Roubaix un “contrôle indépendant” de l’action des forces de l’ordre, en guise de conclusion de ces longs mois de Beauvau de la sécurité. L’issue de ces tables rondes où se sont souvent succédés les syndicats de policiers, ne permettant pas de développer un regard critique, aurait-elle finalement donné lieu à une révolution ? Il n’en est rien. La France insoumise (LFI) propose depuis de longues années de remplacer l’IGPN par une instance externe de contrôle composée de policiers, magistrats, services sociaux et éducatifs, enseignants-chercheurs, citoyens et un contingent de parlementaires. Notre article.
Sur la sécurité aussi, la politique du « en même temps » macroniste
Rappelons-le, la France insoumise demande régulièrement la mise en place d’une instance indépendante en remplacement de l’IGPN. Le président et le ministre de l’Intérieur auraient-ils finalement entendu raison après avoir rejeté systématiquement les demandes depuis 4 ans à l’Assemblée ?
À écouter l’heure et demie de discours d’Emmanuel Macron ce mardi à Roubaix, rien n’est moins sûr. Un long discours de candidat à sa propre succession qui se félicite, non sans paradoxes et incohérences de son bilan : la délinquance augmente et diminue en même temps, la police est peu contestée mais en même temps il faudrait en même temps réformer l’IGPN, il faut remettre des moyens humains mais quoi de mieux que de déployer des caméras de vidéosurveillance ? Le « en même temps » macroniste dans toute sa splendeur.
D’un côté, les statistiques et chiffres sont utilisés quand ils permettent de défendre l’institution, témoigner de la baisse de certains phénomènes. De l’autre côté, le président s’en remet au “bon sens du boucher charcutier de Tourcoing” lorsqu’il s’agit de défendre la mise en place de politiques encore plus répressives.
Sur 399 saisies de l’IGPN pendant les gilets jaunes, 2 jugements
Pour rappel, sur les 399 saisies de l’IGPN pendant le mouvement des gilets jaunes, une douzaine a abouti et seulement deux jugements ont été rendus. La police des polices dans son fonctionnement actuel ne permet pas de remonter des chaînes de responsabilité dans l’institution, de prononcer des sanctions quand il le faut. Au contraire elle est un instrument pour museler les contestations internes du fonctionnement de l’institution policière et participe ainsi largement d’un sentiment d’impunité de la police vis-à-vis de la population.
Pire, parfois l’IGPN maquille elle-même certaines preuves, comme l’atteste l’affaire de l’interpellation de Samir, un egyptien arrêté au bord de seine, molesté et insulté. En effet, IGPN avait dans la retranscription des communications radios modifié certains mots injurieux envers la victime, laissant même croire que les policiers l’avaient sauvé de la noyade alors qu’il s’était débrouillé seul pour revenir sur la rive. L’affaire avait été révélée par le Média TV.
« Un bicot, ça ne nage pas » : l’IGPN accusée d’avoir falsifié son enquête
Ce sombre travail que mène l’IGPN se fait parfois à rebours d’enquêtes judiciaires. Dans l’affaire de la mort de Steve Maiai Caniçao, l’enquête judiciaire avait prouvé que l’enquête de l’IGPN qui conduisit à écarter la responsabilité de l’intervention policière dans la disparition de Steve était une simple falsification.
Pour résoudre la crise profonde que traverse l’institution, il faut réintroduire l’idée d’un service public de la police et donc s’interroger du point de vue des citoyens. Ainsi il est impératif de supprimer l’IGPN et la remplacer par une instance de contrôle externe indépendante : un chantier prioritaire.
LFI propose de remplacer l’IGPN par une instance externe de contrôle composée de policiers, magistrats, services sociaux et éducatifs, enseignants-chercheurs, citoyens et un contingent de parlementaires
S’inspirant notamment du modèle anglais de l’autorité indépendante pour la déontologie de la Police, la France insoumise (LFI) propose la création d’une instance unique externe de contrôle des forces de police quand elles sont accusées de manquement à leurs obligations. Elle associera policiers, magistrats, services sociaux et éducatifs, enseignants-chercheurs, citoyens et un contingent de parlementaires afin de confronter les points de vue et les expériences en garantissant la défense de l’intérêt général.
L’instance proposée par Emmanuel Macron ne remplace pas l’IGPN. Il s’agit d’une “instance de contrôle parlementaire des forces de l’ordre”. Le président justifie ce choix de la sorte : “4 % de ces appels concernent les forces de l’ordre et leur déontologie (…). Ce chiffre permet d’objectiver qu’il n’y a pas non plus des dizaines de milliers de problèmes sur ce sujet. (…) Nous avons un chiffre objectif qui est explicité par une autorité administrative indépendante. Cela démontre que les forces de l’ordre, dans leur immense majorité, font preuve de déontologie et de discernement”.
Alors que nombreuses sont les critiques sur le parcours du combattant pour les citoyens pour dénoncer les violences policières qu’ils subissent, Macron vient ajouter une instance supplémentaire, complexifiant ainsi encore un peu plus le parcours administratif et judiciaire. Le président se garde bien d’apporter des garanties d’indépendance de cette nouvelle structure, car sur le modèle de la délégation parlementaire au renseignement, à n’en pas douter, les groupes majoritaires tiendront les postes de cette nouvelle instance… Cette nouvelle instance est donc déjà torpillée dans son fonctionnement par Macron, reste que ni les victimes, ni les policiers eux-mêmes s’y retrouveront !
La conclusion de ce Beauveau de la sécurité est donc l’occasion pour le président candidat non déclaré de tenter de défendre un bilan. Mais tout au moins cet exercice de communication montre que ces longs mois de tables rondes (sans opposition), chamboulés par la crise du coronavirus n’ont pas donné grand chose (qui, hélas, est étonné de cela ?), là où des critiques radicales étaient formulées. Emmanuel Macron s’est défendu de toute proposition démagogique, balayant d’un revers de la main toutes les critiques profondes de l’institution. S’il explique qu’il apporte une “réponse profonde et radicale parce que ce sont des sujets dont on parle depuis longtemps et mon souhait est de vous en parler pour que ça change”, il n’en est rien.
Par Marion Beauvalet et Amin Ben Ali.