Nous avons des lois d’urgence sécuritaire, des lois d’urgence sanitaire : il est temps d’avoir une loi d’urgence sociale. C’est l’appel que lance Jean-Luc Mélenchon ce dimanche 12 septembre 2021 dans le JDD : bloquer le prix des produits de première nécessité, porter le SMIC à 1400€ net mensuels, rendre gratuits les m3 d’eau nécessaires à une vie digne, restaurer la retraite à 60 ans à taux plein, instaurer une année blanche pour les profits du CAC 40 servant à financer 1 million d’emplois… Pour répondre à l’urgence sociale alors que la pauvreté fracasse le pays, le grand favori de la gauche pour 2022 pose sur la table des mesures plébiscitées par une très large majorité de Français. Interview réalisée par le JDD.
Vous avez déclaré votre candidature à la présidentielle en novembre. Quand et sur quels thèmes allez-vous vraiment entrer en campagne ?
Nous le sommes depuis neuf mois! Une action en profondeur. Pour nous, l’obstacle majeur, c’est la résignation ou la colère froide qui produisent l’abstention. Deux instituts de sondage prédisent 50% d’abstention en 2022 : dans ce cas, nous serions en dessous de 10%! Alors qu’on est bien au-dessus si la participation est plus forte. Inutile de le cacher. On a donc fait le choix d’un départ tôt pour s’enraciner et roder nos outils de campagne. Objectif : redonner aux catégories populaires l’appétit de vote.
Comment faire alors qu’elles se désintéressent de la politique ?
Déjà : dialoguer. Dans les quartiers populaires, les gens ne voient jamais personne. Nous revenons aux bases de l’action politique : proposer des choses concrètes. Assumer une vision alternative du monde. Notre programme transforme la façon dont on vivra, dont on produira et consommera. Nous montrons combien les gens ont un intérêt à notre victoire.
Nous avons des lois d’urgence sécuritaire, des lois d’urgence sanitaire : il est temps d’avoir une loi d’urgence sociale.
Le social constitue donc votre priorité ?
Absolument. On est en pandémie et les milliardaires se sont encore enrichis! Nous avons des lois d’urgence sécuritaire, des lois d’urgence sanitaire : il est temps d’avoir une loi d’urgence sociale. Quand tant d’indicateurs sociaux virent au rouge, quand 10 millions de personnes vivent en dessous du seuil de pauvreté, on est bel et bien en état d’urgence sociale. Détresse psychologique, dégradation de la santé, destruction des services publics, explosion des trafics… Une partie de la société glisse vers le néant. Sans parler de l’impact social de la crise écologique.
Que mettrez-vous dans cette loi d’urgence sociale ?
La pandémie a révélé des états de dénuement incroyables. Il faut au pays un choc de consommation populaire. Et immédiatement, le blocage des prix sur les produits de première nécessité. Jusqu’en 1986, la loi le permettait. Ce n’est pas possible que, l’énergie, le gaz, l’électricité, les carburants ou des denrées alimentaires indispensables soient inabordables.
Quoi d’autre ?
Il faut augmenter le Smic tout de suite pour le porter à 1.400 euros net mensuels. En dix ans, il n’a connu aucun coup de pouce, alors que les revenus des puissants se sont envolés de façon ahurissante. Troisième idée urgente : reporter de deux ans le remboursement des prêts garantis par l’Etat. Des milliers d’entreprises vont se fracasser sur le mur de la dette. J’ai déjà alerté : la dette privée en France est plus dangereuse que la dette publique. Il faut tout faire pour éviter le chaos économique.
Taxerez-vous les plus riches ?
Cette année est une année blanche pour des millions de gens qui ont perdu leur revenu, ou tout juste gardé celui de l’an passé ou moins. Décrétons une année blanche aussi pour les profits du CAC 40 : tout ce qui excède la progression moyenne du CAC 40 est réquisitionné. Il y en a pour plus de 50 milliards d’euros. Ça permettrait de financer 1 million d’emplois dans les métiers du lien, du soutien scolaire… Et avec 1 million de personnes en plus au travail, on bouche aussi le trou de la Sécurité sociale.
N’est-ce pas confiscatoire ?
Oui, c’est une mesure rugueuse… comme l’est la situation actuelle! Il n’y a aucune raison pour qu’une poignée de gens accumulent encore quand la richesse du pays s’effondre de dix points.
Autre mesure rugueuse, la nationalisation de certains secteurs comme les autoroutes. Arnaud Montebourg et Marine Le Pen la proposent. Et vous ?
C’est dans le programme de tout le monde, sauf celui d’Emmanuel Macron! Je vais plus loin : je demande la nationalisation des biens communs, l’air, l’eau, qui appartiendraient alors à tous… Tout dégât commis devra être réparé et pas simplement compensé comme avec les droits à polluer. L’entrée dans l’ère de la priorité écologique et sociale nécessite ce type de mesures radicales.
Vous prônez l' »union populaire ». Comment votre campagne va-t-elle la matérialiser ?
L’union populaire, c’est une stratégie pour porter des mesures qui sont ultra-majoritaires comme l’a prouvé le sondage sur nos projets. Le 16 et 17 octobre, nous aurons une convention. Le programme sera bouclé et nous passerons à la mise au point des « plans » par sujet. Par exemple sur l’énergie ou l’alimentation. Il s’agit d’être prêts à gouverner. Nous créons un parlement de campagne de l’union populaire. Il aura un rôle consultatif. Il y aura des Insoumis, mais pas seulement, loin de là. Au départ, il comptera une cinquantaine de personnalités. A la fin de la campagne, ce parlement devra se demander s’il se transforme en un nouveau mouvement politique.
Comment jugez-vous la gestion de la crise sanitaire par le gouvernement ?
Très mauvaise! Macron, par son métier, est un courtier financier. Il croit que le marché est seul apte à régler les problèmes. Aucune de ses décisions n’est allée contre les diktats du marché. Pour son gouvernement, la puissance publique était avant tout vouée au contrôle de la population. La dérive autoritaire du régime s’est donc aggravée de façon spectaculaire. A l’arrivée, la performance n’est pas fameuse! Ils se sont trompés sur tout : les masques, les tests… En période de crise, les collectivistes comme moi sont plus efficaces que les hyper-individualistes comme Macron.
Le « quoi qu’il en coûte » ne vous a-t-il pas fait réviser votre jugement ?
Bidon! Ça a essentiellement consisté à financer le chômage technique généralisé. Mais a-t-il créé en urgence un pôle public du médicament, recruté des milliers de personnes pour aider dans les hôpitaux, réquisitionné les entreprises de biens de santé? Le « quoi qu’il en coûte », je sais à qui il en coûte! A la fin c’est : « Vous allez payer tout ça avec vos cotisations sociales et vos impôts »! Mais on n’a rien demandé aux profiteurs de crise. Par exemple, on aurait pu rétablir l’ISF cette année, on ne l’a pas fait. Le « quoi qu’il en coûte », c’est un coup de menton pour impressionner. Pas davantage.
Pourquoi n’êtes-vous pas allé manifester contre le passe sanitaire, auquel vous êtes opposé ?
Je suis contre le passe. Il répand une illusion : faire croire que ses titulaires ne présentent plus de danger pour les autres. C’est faux! Mais le passe sanitaire crée une société de contrôle généralisé. Fichage généralisé, contrôles intempestifs absurdes, etc. Je l’ai dit sur tous les tons et j’ai voté contre. Appeler à manifester? Non! C’est un mouvement populaire spontané. Si une organisation politique cherchait à se l’approprier, elle le rabougrirait, comme fait aujourd’hui l’extrême droite. Nombre d’Insoumis y participent. Je leur dis de faire attention à côté de qui ils marchent. Qu’ils soient avec la majorité des manifestants qui ne veut pas servir de caution à l’antisémitisme et au racisme.
Ne craignez-vous pas aussi d’être accusé d’être antivaccination ?
Je suis souvent accusé de tout… Je n’ai jamais été antivaccin. Je suis pro-sciences. Mais « science sans conscience n’est que ruine de l’âme », dit Rabelais!
Que pensez-vous de l’obligation vaccinale des soignants, qui entre en vigueur le 15 septembre ?
Les syndicats et les personnels soignants me disent que c’est insupportable. Et aussi que c’est impossible à faire, sauf à aggraver la crise, de licencier ceux qui ne veulent pas être vaccinés. Cette mesure brutale est contre-productive! Et puis faire des héros d’hier – les personnels soignants – les salauds d’aujourd’hui, c’est écœurant…
Mercredi, Jean Castex a semblé repousser une réforme des retraites d’ici à l’élection présidentielle. Êtes-vous soulagé ?
J’ai combattu cette réforme inutile et cruelle. Faire travailler les gens plus longtemps, c’est les user davantage, et empêcher la génération montante de prendre la place des aînés. Pourquoi Macron a-t-il voulu la relancer? Dans son calepin, il n’y a pas que la case : je veux. Il y a aussi la case : est-ce que je peux? Il ne doit pas croire que ça se passera tranquillement. Il aura à faire avec l’opposition des syndicats, des Insoumis et des communistes. Ce serait une bataille politique et sociale d’ampleur, en pleine pandémie. Voilà pourquoi Castex a lâché prise. Ce sera un des sujets de l’élection présidentielle. Que les votes tranchent! Les Insoumis veulent la retraite à 60 ans. Aux Français de décider.
La réforme de l’assurance chômage est « indispensable », dit le gouvernement. Vous demandez son retrait ?
Mille fois oui! Nous irons manifester… Avec cette réforme, 1,7 million de personnes auront moins de sous qu’avant. Ce n’est pas le moment de brutaliser davantage les gens. Elu, j’abrogerai ça aussi.
Vous appelez la gauche à manifester. En étant aussi divisée et aussi faible, a-t-elle la moindre chance de se hisser au second tour de la présidentielle ?
La gauche traditionnelle joue dans un bac à sable. Elle ne s’unirait qu’en trompant tout le monde, car il y a des divergences profondes sur l’essentiel. Cette gauche traditionnelle est dominée par un centre gauche flou et mou. Elle s’est effondrée en 2017 et, depuis, n’a pas su se réinventer. Nous leur avons tendu la main pour les faire sortir de leurs ambiguïtés. Un nouveau Front populaire! PS et EELV ont tourné le dos. Nous avons donc compris que nous perdions notre temps. Puis ils ont dansé le tango de l’unité à l’appel de Jadot. Comédie sans suite. Normal : le désaccord est profond sur la sortie des traités européens, le nucléaire, le changement de la Constitution et combien d’autres choses. Alors l’union sans engagement clair démobiliserait le peuple. Au contraire, la stratégie d’union populaire remobilise les gens sur du concret franc et net.
Anne Hidalgo, qui déclare sa candidature aujourd’hui, n’a-t-elle pas renouvelé le logiciel social-démocrate ?
Attendons de voir ce que dit, au juste, Mme Hidalgo. Il est délicat de se prononcer sur quelqu’un qui n’avance aucune idée politique particulière. La seule chose que j’ai entendue de sa part, c’est qu’il fallait continuer la guerre en Afghanistan. Ce n’est pas raisonnable. Le reste de son programme, qui le connaît? Son risque, c’est d’être siphonnée par la candidature EELV. Pour l’instant, l’électeur de centre gauche n’a pas tranché entre eux.
Pour Arnaud Montebourg, c’est vous qui êtes le problème de la gauche : vous ne pouvez pas gagner, estime-t-il. Que lui répondez-vous ?
Il disait déjà ça en 2017. Et il a fini par voter pour moi! Mais il m’aide : il élargit l’audience des idées que nous avons en commun comme la VIe République. Et il met le PS au pied du mur. J’estime que sa candidature sert notre action.
La Fête de l’Humanité a lieu ce week-end. Pouvez-vous encore vous réconcilier avec Fabien Roussel, qui sera candidat du PCF à la présidentielle ?
PCF et LFI sont un vieux couple : la dignité nous interdit de casser la vaisselle en public. 90% de nos programmes sont similaires. Mais je suis blessé et amer. C’est un crève-cœur de ne pas partir ensemble à la présidentielle. Deux fois, j’ai été leur candidat. Le pôle populaire doit rester devant le centre gauche. Nous sommes passés de 3% à 10% en 2010 puis de 8% à 19% en 2017. Je renouvelle ma proposition d’un programme partagé et d’un accord législatif avant la présidentielle. On peut le faire tout de suite, avec des bases simples : la reconduction de tous les sortants et la répartition du reste.
Dans la primaire des écologistes, espérez-vous une victoire de Sandrine Rousseau ou d’Éric Piolle ?
Leurs débats étaient intéressants. Cependant je vois bien que la question sociale ne les obsède pas… Mais je demande aux Insoumis de respecter leur vote et de ne pas s’en mêler. Au moins par cohérence : car pour voter, il faut signer en faveur d’une Europe fédérale. Ce n’est pas la position de notre programme.
Que vous inspire la compétition à droite…
Il y a une zemmourisation générale de ce camp. Eric Zemmour lui fournit les arguments et le cadre de pensée. La contagion va vite. Le chef de l’Etat lui-même a plongé dedans : pour prendre la main sur la droite, il lui chante du Zemmour. En décembre, Macron a déclaré que Pétain était un grand militaire et Maurras un grand intellectuel. Ce sont deux antisémites, deux traîtres et deux criminels. Cet appel du pied électoraliste est un révélateur.
Vous voulez toujours débattre avec Eric Zemmour ?
Comme Mme Le Pen est aux abonnés absents… Et mieux vaut l’original qu’une pâle copie. Oui, il faut lui disputer pied à pied le terrain des idées.
Ne craignez-vous pas de faire la campagne de trop ?
Pourquoi? Au contraire, je suis porté par les circonstances. Des millions de gens n’en peuvent plus. Ils ne veulent plus des faux-semblants du centre gauche et de la droite. Ils veulent changer leur vie. Ils compteront sur moi. J’ai du caractère, je ne me laisserai pas intimider par les puissants. Comme l’écrivait Victor Hugo : « J’effaroucherai le bourgeois, peut-être. Qu’est-ce que ça me fait si je réveille le peuple ? »