Vous l’avez peut-être vu sur les réseaux sociaux : nous entrons dans « le Mois des Fiertés ». Peu connu en dehors des milieux militants et associatifs concernés, le Mois des Fiertés est pourtant un moment politique important. Durant le mois de juin, les associations LGBTI organisent de nombreux événements, comme les Marches des Fiertés, dont le but est de promouvoir l’égalité et l’accès à de nouveaux droits. Retour sur cet événement particulier à l’histoire politique et militante très chargée.
Au commencement, une révolte
Le Mois des Fiertés n’est pas une fête commerciale. Il commémore les émeutes de Stonewall qui eurent lieu à la fin du mois de juin 1969 à New York. Ces manifestations faisaient suite à une descente de police dans un bar fréquenté par la population LGBT. Pour la première fois, des personnes arrêtées refusent de se soumettre au contrôle policier et déclenchent une émeute. Racontée par David Carter, un historien américain récemment décédé, ces émeutes font prendre conscience à de nombreuses personnes LGBT qu’elles peuvent inverser le rapport de force en s’organisant. Une première marche commémorant ces émeutes se tient en juin 1970 à New York : c’est la première Marche des Fiertés.
Les répercussions de ces émeutes ne se cantonnent pas au territoire des Etats-Unis. Partout dans le monde, de nombreuses personnes LGBT s’intéressent à ces événements. Enthousiastes, elles fondent et rejoignent des associations qui, dans la lignée de Mai-1968, appellent à la révolution sociale et sexuelle. Jusqu’alors relativement peu revendicatif et socialement très marqué, le militantisme LGBT se renouvelle. Pour la première fois, des associations participent ou organisent des manifestations qui visibilisent les questions LGBT dans l’espace public. En 1971, le très revendicatif Front Homosexuel d’Action Révolutionnaire (FHAR) crée le scandale en prenant part à la traditionnelle manifestation du 1er-Mai. D’autres organisations, comme les Gouines Rouges, apparaissent pour lutter contre l’invisibilisation des lesbiennes. Dans cette période de forte activité, la vie LGBT connaît un développement important. Peu à peu, les questions LGBT sortent du placard et deviennent des sujets de société, si bien que lorsqu’une Marche nationale pour les droits et les libertés des homosexuels et des lesbiennes est organisée en 1981, plus de 10 000 personnes y participent.
L’épidémie de VIH/SIDA
Au début des années 1980, une maladie encore inconnue frappe de plein fouet la communauté LGBT. Il s’agit du virus de l’immunodéficience humaine (VIH) qui, à son stade ultime en absence de traitement, est à l’origine du SIDA. Face au virus, la communauté LGBT tente de s’organiser, mais subit de nombreuses attaques et discriminations. Des associations comme AIDES sont créées. Elles mènent un travail de prévention, d’aide, de recherche et de plaidoyer auprès des institutions.
Au sein de la communauté LGBT, de nombreux réseaux de solidarités concrètes apparaissent pour pallier le manque d’informations et de prise en charge des malades. En juin 1987 à New York, l’écrivain américain Larry Kramer (récemment décédé) crée ainsi l’AIDS Coalition to Unleash Power (ou ACT-UP) dont le but est de répondre à l’épidémie. ACT-UP auto-organise les personnes malades et la communauté LGBT. L’association mène de multiples actions spectaculaires qui mettent en lumière la situation catastrophique des malades et les nombreuses discriminations qu’ils subissent (impossibilité de se marier et de protéger son partenaire en cas de décès, discriminations au travail, discours haineux dans les médias, etc.). En France, ACT-UP Paris est fondée deux ans plus tard sur le modèle américain par Didier Lestrade, Pascal Loubet et Luc Coulavin. Au sein du paysage LGBT français, ACT-UP Paris se démarque par ses actions coup de poing et son affirmation de la visibilité des personnes séropositives et LGBT.
L’épidémie de VIH/SIDA touche profondément la communauté LGBT. L’inégalité des droits accentue l’exclusion des personnes LGBT. Dans la France de l’époque, il n’y a ni reconnaissance juridique des couples de même sexe, ni loi protégeant les personnes LGBT contre les discriminations fondées sur l’orientation sexuelle, notamment dans le cadre professionnel. Le contexte de l’épidémie et la lenteur des progrès médicaux concernant les traitements imposent d’urgence l’établissement de nouveaux droits et une visibilisation médiatique et politique des problématiques liées à l’épidémie de VIH/SIDA concernant les personnes LGBT. À la fin des années 1980, des associations se regroupent pour créer le comité « Gay Pride » dont le but est de ré-organiser et de re-politiser des marches pour les droits LGBT. Dans plusieurs grandes villes de France, des manifestations annuelles sont organisées. Elles connaissent de plus en plus d’affluence. Loin d’être seulement un espace de fête, ces marches portent des revendications politiques pour l’égalité et l’instauration de nouveaux droits. Elles rendent également chaque année hommage aux 32 millions de personnes décédées à la suite de maladies liées au SIDA depuis le début de l’épidémie (sources ONUDISA https://www.unaids.org/fr/resources/fact-sheet ).
Le long combat pour l’égalité
La revendication d’une union civile découle du traumatisme de l’épidémie de VIH/SIDA. Elle exprime le besoin de protection juridique du couple et des conjoint·es, la reconnaissance d’une communauté de vie et la possibilité d’une communauté de besoins. L’épidémie a souligné les discriminations subies par les personnes LGBT. Une première proposition de loi « tendant à créer un contrat de partenariat civil » est déposée au Sénat par Jean-Luc Mélenchon le 25 juin 1990 à la suite d’une rencontre de ce dernier avec des membres de l’association « Gays pour les libertés » en 1988. Il faudra attendre l’adoption du Pacte civil de solidarité (ou PACS) le 15 novembre 1999 pour que le premier contrat d’union entre personnes de même sexe soit reconnu dans le droit français. Près de 14 ans plus tard, l’adoption du Mariage pour tou·tes en 2013 représente un pas de plus vers l’égalité.
Malgré ces avancées, les discriminations persistent et le combat est loin d’être terminé. L’accès à la PMA pour toutes les personnes n’est pas encore effective, l’accès à des parcours de transition reste un parcours du combattant pour les personnes trans, les personnes intersexes sont toujours mutilées à la naissance et les discriminations LGBTIphobes sont en nette augmentation depuis quelques années . Par ailleurs, pour la deuxième année consécutive, la situation des personnes LGBTI s’est dégradée en France. En cause : le non-renouvellement par le gouvernement Macron-Philippe des plans de lutte contre les discriminations, mais aussi une non-prise en compte des revendications des associations de lutte pour les droits LGBTI. Un élément parmi tant d’autres qui démontre la nécessité de tou·tes de se battre pour une politique d’égalité. C’est à cet effet que, chaque année, de nombreuses marches sont organisées pour mettre en avant une problématique rencontrée par les personnes LGBTI.
Le Mois des Fiertés n’est pas qu’un moment de revendication politique, c’est aussi une occasion de faire communauté. Chaque année des jeunes LGBTI trouvent dans les marches et les association le seul moyen d’accéder à un environnement bienveillant là où la famille et l’école ne leur offre que violence et répression. Cette année, le confinement a mis en lumière le danger que peut représenter un environnement familial LGBTIphobe et la nécessité, face au rejet et à la honte, de retrouver un sens de fierté et d’amour de soi. Les discriminations ont un effet concret sur la santé physique et mentale des jeunes LGBTI, davantage touché·es par le suicide et la dépression que les autres. La lutte contre les discriminations est aussi une question de santé publique. Ce n’est donc pas une question accessoire, mais une question déterminante dans la vie quotidienne de millions de nos concitoyen·nes.
La Marche des Fiertés LGBTI porte dans l’imaginaire commun l’image d’une immense fête à ciel ouvert. Mais c’est avant tout une fête populaire, un moment de lutte, de commémoration et de guérison. L’inégalité demeure en France dans la loi comme dans les mœurs. On pourrait croire que le progrès est en marche et que chaque année apporte une plus grande acceptation des personnes LGBTI, mais au contraire la situation s’est dégradée sous le mandat Macron. Ces faits nous rappellent que rien n’est acquis et que, comme toute revendication sociale, les droits des personnes LGBTI sont une lutte permanente.
Par Cassandre Begous et Clément Verde