La crise du coronavirus s’est abattue brusquement, dans un contexte d’inégalités croissantes. Nous mesurons un peu plus chaque jour les difficultés et les frustrations liées au confinement. Ces difficultés sont, dans leur différence de nature, la preuve des écarts entre les différents milieux sociaux. Le confinement entraîne pour certains la frustration de ne pouvoir sortir, voir ses amis, ou de devoir télétravailler. Pour de plus en plus d’autres personnes, il entraîne une angoisse concernant la survie. Les questions alimentaires ressurgissent avec une force inouïe.
Diminution des sources d’approvisionnement
Du fait de la contagiosité du coronavirus, les lieux concentrant du public ont pour la plupart été fermés. Or, ces lieux sont souvent des endroits où l’on peut trouver de l’alimentation à moindre coût. Les restaurants ayant fermé, les restaurateurs ne peuvent plus donner leurs invendus aux associations. Idem pour les marchés, qui parfois proposaient des prix défiant toute concurrence, dans des quartiers ayant bien besoin de petits prix. Pour ne donner qu’un exemple, le marché de Barbès, dans le 18ème arrondissement de Paris, propose la boîte de 30 œufs à 2,50€. En comparaison, on trouve souvent le même prix pour 5 fois moins d’œufs dans les supérettes. On comprend donc que le coût de l’alimentation augmente considérablement, pour des familles dont le budget est déjà serré en temps normal.
Un autre facteur aggravant cette situation est celui de la fermeture des cantines. Leur coût est habituellement subventionné par les pouvoirs publics. Les familles peuvent donc dépenser moins en temps normal, d’autant plus que les tarifs sont adaptés au quotient familial. C’est ainsi qu’en Seine-Saint-Denis, de nombreux enfants avaient accès à un repas du midi à 1 euro. Le budget alloué à la nourriture a triplé pour certains parents du département. Cette situation n’est pas propre aux quartiers populaires, mais les conséquences y sont beaucoup plus dramatiques qu’ailleurs. De nouvelles personnes demandent de l’aide alimentaire, car leurs revenus ne leur permettent pas de subvenir à leurs besoins.
Une situation inédite
« En huit jours, on a utilisé plus de quatre mois de nos stocks alimentaires. Il va falloir les reconstituer », rappelle Jean Stellittano, secrétaire national du Secours populaire français. La période actuelle a accru les demandes envers les associations. Celles-ci manquent pourtant de moyens. Les bénévoles sont souvent âgés (42 % ont plus de 55 ans selon une enquête CRA-CSA de 2017), et ne peuvent pas prendre de risques. Les moyens financiers manquent aussi, surtout depuis la décision d’Emmanuel Macron de diminuer les subventions allouées aux associations depuis le début du quinquennat.
Le manque de moyens accordés aux services sociaux est tout aussi criant. Il y a environ 150 000 personnes hébergées en France, dont 35 000 en hôtel. Ces derniers sont dès lors dans une impasse. Ils n’ont pas accès à une cuisine, et doivent donc manger à l’extérieur s’ils veulent avoir un repas chaud. Cependant, les distributions de nourriture ne peuvent satisfaire tout le monde, et les fast-foods sont pour la plupart fermés… Une nouvelle fois, la situation n’est pas tenable à long terme.
Pour certains, la période s’est accompagnée d’une perte de revenus. Les classes populaires souffrent d’une précarisation croissante, et d’une diminution du droit du travail au fur et à mesure des ordonnances gouvernementales. Les petits boulots ne peuvent plus être effectués. Le chômage s’abat sur des personnes déjà précaires. Et il ne faut pas oublier la dimension psychologique de tout ça. Accepter de l’aide alimentaire est souvent vécu comme humiliant. Mais comme le disait Julie Garnier dans son édito « Coronavirus – 60h, congés : le MEDEF veut faire payer les travailleurs », ce n’est pas aux précaires, aux salariés de s’excuser. C’est aux grands patrons, à ceux qui ont précarisé tout un pan de la société pour leurs propres intérêts.