Loi de programmation énergétique. La proposition de loi « portant programmation nationale et simplification normative dans le secteur économique de l’énergie » déposée par le sénateur Gremillet est débattue depuis le 16 juin à l’Assemblée nationale et sera soumise au vote ce mardi 24 juin 2025. Ainsi, cette année, le texte de loi de programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) n’est pas portée par le Gouvernement, mais bien par un sénateur, en raison de la faiblesse du Gouvernement à imposer ses textes de loi dans une Assemblée nationale morcelée.
Le fait donc que ce texte soit une « proposition » émanant d’un sénateur et non un « projet » de loi venant du pouvoir exécutif n’en fait pas moins un « sous-marin gouvernemental ». Ainsi, un élu Horizons reconnaissait en mai que « Chaque mois, on a le droit à un projet de loi déguisé ». À noter que cette pratique permet de ne pas soumettre la proposition de loi à une étude d’impact préalable, ni à un contrôle de constitutionnalité à priori du Conseil d’État. Voici pour la forme.
Ce texte remet en cause la souveraineté énergétique du pays et organise une rupture d’approvisionnement en énergie pour les années à venir. Dans cette loi, le RN a notamment fait passer un moratoire immédiat sur toutes les énergies renouvelables. Cela concerne 100 000 emplois dans le pays. L’extrême droite a même fait adopter la réouverture de la centrale nucléaire de Fessenheim. L’Insoumission décrypte pour vous les enjeux et rapports de force inhérents à ce texte de loi. Notre article.
« Nouveau nucléaire » et technologies douteuses : le programme gouvernemental
Cette « programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) » doit poser les grandes orientations de la politique énergétique française sur la période 2025-2035. Les enjeux pour le Gouvernement français sont d’abord d’acter la relance du « nouveau nucléaire » annoncé en grandes pompes par l’Élysée à Belfort en 2022. Il s’agit de lancer son programme de construction de six premiers réacteurs nucléaires « EPR2 » à horizon 2038 (prévu auparavant pour 2035) (Élysée, 17 mars 2025) puis de huit autres EPR2 ainsi que quinze réacteurs modulaires dits « small modular reactors » (SMR) à horizon 2050.
Les mêmes SMR dont la pertinence opérationnelle n’a pas encore été prouvée à ce jour (LCP, 16 juin 2025). Pour l’exécutif, il s’agit également de supprimer l’objectif global de production d’énergies renouvelables au profit d’une énergie dite « décarbonée », incluant le nucléaire et les énergies fossiles associant des technologies de captage et de stockage de carbone (dites CCUS, ces technologies visent à extraire le carbone de l’atmosphère et à l’enfouir sous terre ou sous les océans afin de baisser sa concentration dans l’atmosphère).
Problème de taille concernant ces technologies : personne ne connaît leurs effets géologiques à long terme ! Autre souci : si les réservoirs venaient à fuir, d’immenses quantités de carbone se déverseraient dans les océans ou l’atmosphère. Tout cela pour continuer à produire sans cesse sans se soucier de l’environnement et du changement climatique. En bref, il s’agit d’un texte répondant au lobby du nucléaire et au techno-solutionnisme pur et irresponsable pour le business-as-usual.
Loi de programmation énergétique : le désastre d’un moratoire sur les énergies renouvelables
Sur le plan strictement politique, le Gouvernement Bayrou est sous surveillance du Rassemblement national cherchant à dictant ses sujets. Rien que sur la question des retraites (sachant que le RN ne défend pas lui-même le retour à l’âge légal de 60 ans dans son programme), Marine Le Pen a feint une opposition de façade et prétendu que « si le chemin que M. Bayrou montre continue à être une impasse, nous censurerons » (BFMTV, 18 juin 2025).
Une déclaration assez vague pour faire trembler un Gouvernement Bayrou dépendant de la droite sénatoriale afin de faire passer la majorité de ses textes, et qui se jette aux bottes du RN à chaque occasion. Pour la PPE, ça ne manque pas ! La tenue des débats à l’Assemblée nationale prend une tournure tragique : alors qu’il avait été rejeté en commission, l’article de relance du nucléaire a de nouveau été voté dans un amendement par le parti d’extrême droite, utilisant dix-sept « délégations pour raisons sanitaires » prétendant que les députés absents seraient malades (Reporterre, 20 juin 2025).
Pire encore : un amendement instaurant un moratoire concernant tout projet d’énergies renouvelables (éolien et solaire), déposé par Les Républicains (LR) a bénéficié de voix des partisans d’Eric Ciotti et du RN. Qui de mieux en effet qu’un lobbyiste du nucléaire dans le costume d’un député pour défendre cette politique (Mediapart, 20 juin 2025) ? Tremble alors Bayrou : pris au piège par des décisions contraires à ce que souhaitait le Gouvernement sur les renouvelables, il s’est tout de même engagé à prendre en compte celles-ci (Le Monde, 20 juin 2025).
La France Insoumise avait pourtant bataillé en Commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale afin de rejeter l’article 3 prévoyant la relance du « nouveau nucléaire », de fixer plusieurs objectifs de développement des énergies renouvelables (ENR), notamment l’objectif de 18 Gigawatts (GW) d’éolien en mer en 2035 correspondant à la demande du Syndicat des énergies renouvelables ou encore en instaurant de meilleurs objectifs climatiques (fixation d’un objectif de réduction de l’empreinte carbone française, fixation d’un objectif contraignant de 50% de réductions d’émissions de gaz à effet de serre en 2030 par rapport à 1990).
La relance du nucléaire ainsi que le moratoire sur les énergies renouvelables ne sont en réalité par compatibles avec l’urgence climatique. L’Élysée prévoit en des réacteurs EPR2 pour 2038 (sans compter les retards…) alors qu’il fait déjà 37°C à Paris au printemps, et que l’objectif de limitation de 1,5°C de la température planétaire avant 2050 est désormais infranchissable (Le Monde, 19 juin 2025). Ainsi, seules les énergies renouvelables peuvent se substituer efficacement et rapidement aux énergies fossiles.
De plus, en légitimant les technologies de stockage et de capture du carbone (CCUS), on sape les efforts à apporter en termes de sobriété et d’efficacité énergétique. En effet, si l’on peut produire sans cesse en s’enfermant dans le mirage de la capture du carbone, pourquoi investir dans des technologies plus performantes et penser en termes de sobriété ?
Pour aller plus loin : EACOP : le projet écocidaire de Total en Afrique de l’Est, une véritable bombe climatique à retardement
Des solutions politiques basées sur la science existent
Dans son étude Futurs énergétiques, le gestionnaire français du réseau de transport de l’électricité, RTE dessine un scénario de mix électrique reposant à 100 % sur des énergies renouvelables en 2050. Cette sortie programmée devrait être inscrite dans la PPE devrait alors pousser au maximum de leur production les énergies photovoltaïques, éoliennes, hydrauliques et marines. En réalité, trois scénarii de cette étude sur six prévoient la sortie du nucléaire en 2050 ou en 2060. Le scénario Négawatt datant de 2022 prévoit quant à lui une sortie possible du nucléaire en 2045 et un mix électrique composé à 96% d’énergies renouvelables en 2050.
Enfin, RTE concluait qu’« atteindre la neutralité carbone en 2050 est impossible sans un développement significatif des énergies renouvelables » (RTE, février 2022). La neutralité carbone étant elle-même un concept critiqué, il reste qu’une baisse drastique des émissions de gaz à effet de serre et la viabilité de nos infrastructures énergétiques sur le temps longs doivent nécessairement passer par une hausse de la production d’énergies renouvelables, et un objectif de sobriété énergétique.
Le vote solennel du texte à l’Assemblée aura lieu le 24 juin 2025, avant une seconde lecture par le Sénat les 8 et 9 juillet. Cette semaine, le « bloc central » a pu briller par son absence, ne semblant une fois de plus pas se rendre compte de l’importance de ce texte dans la lutte contre le changement climatique, et ainsi le simple respect d’un droit constitutionnel énoncé par l’article 1er de la Charte de l’environnement : Chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé. À l’heure d’une canicule exceptionnelle frappant le pays, il a plus que jamais besoin d’orientations claires en matière énergétique.
Ainsi la France Insoumise vise des objectifs concrets dans son programme : mise en place d’un pôle public de l’énergie assurant la maîtrise publique de la production et la fourniture d’énergie à des prix réglementés, sortie progressive des énergies fossiles et nucléaire et atteinte de la neutralité carbone à horizon 2050, objectif d’au moins 44% d’énergies renouvelables en 2030 et 100% à horizon 2050, objectifs intermédiaires chiffrés de développement des ENR par filière à horizon 2030.
Alors que les nouveaux décrets d’application de la PPE sont très attendus par la filière renouvelable afin que ses acteurs puissent sécuriser leurs investissements, le Gouvernement piétine une fois de plus, soumis aux menaces perpétuelles d’une extrême droite se posant en lobbyiste du nucléaire, du charbon, du pétrole.
Par Alain Bloyé