Lycée musulman Averroès : de l’islamophobie et du mépris de classe de l’appareil l’État

Islamophobie. Le 10 décembre 2023, le lycée privé musulman Averroès de Lille apprenait qu’une décision préfectorale avait rompu trois jours plus tôt le contrat d’association qui l’unissait à l’État depuis 2008.  Alors que l’aveuglement complice de l’État et de ses représentants sur les violences de Bétharram, de Riaumont ou de Stanislas est chaque jour plus […]

Lycée Averroès musulman

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Islamophobie. Le 10 décembre 2023, le lycée privé musulman Averroès de Lille apprenait qu’une décision préfectorale avait rompu trois jours plus tôt le contrat d’association qui l’unissait à l’État depuis 2008. 

Alors que l’aveuglement complice de l’État et de ses représentants sur les violences de Bétharram, de Riaumont ou de Stanislas est chaque jour plus clair, l’acharnement politique et administratif ayant conduit à cette rupture qui prive Averroès de tout financement public interroge les rapports de l’appareil administratif aux différents établissements scolaires privés. Il témoigne plus largement de l’existence d’une véritable islamophobie d’État. Alors qu’aucun contrôle n’a été diligenté à Notre-Dame-de-Bétharram en 30 ans, Averroès en a connu 10 en 3 ans et a été contrôlé tous les ans par toutes les autorités publiques

Dans quelques jours, le 23 avril prochain, un jugement sera rendu sur le bien-fondé de la rupture du contrat d’association du lycée Averroès.

Dans ce cadre et en lien avec la commission d’enquête sur le contrôle des établissements scolaires par l’État conduite en ce moment même par le député de la France insoumise Paul Vannier, L’Insoumission vous propose de revenir sur cet épisode comme symptôme de la confessionnalisation du regard et de l’action de l’État français sur les établissements privés. Notre article.

Une décision au caractère absolument exceptionnel : le deux poids, deux mesures de l’État

7 500, c’est le nombre d’établissements privés sous contrat en France. 3, c’est celui d’établissements dont le contrat d’association a été rompu depuis la loi Debré de 1959. Parmi ces 3 établissements, 2 ont connu une telle rupture au cours des derniers mois.

L’établissement Notre-de-Bétharram et ses plus de 200 plaintes pour viol, violences physiques et sexuelles ? Non. Le lycée Stanislas, ses violences racistes, homophobes et sa prêche d’un catholicisme intégriste misogyne ? Non plus.

Ce n’est pas même au sein du réseau d’enseignement privé catholique – 96 % des établissements privés sous contrat – et de ses autres cas similaires de violences physiques et sexuelles systémiques que ces deux cas sont à trouver.

C’est bien plutôt parmi le réseau des 11 établissements privés musulmans que l’État a décidé d’abattre des tombereaux de contrôles pour finir pas trouver des arguments, au minimum discutables, pour justifier la rupture de son contrat d’association avec les établissements privés musulmans Averroès de Lille (Nord) et Al Kindi de Décines (Rhône).

Avant même de revenir sur le fond de la décision préfectorale concernant le lycée Averroès et sa contestation, la rupture du contrat d’association de ces deux établissements témoigne d’un deux poids de mesure choquant vis-à-vis des autres établissements privés sous contrat de France, singulièrement de l’enseignement catholique.

À plusieurs titres, ces deux décisions de ruptures sont en effet absolument exceptionnelles. 

Exceptionnelles d’abord par leur existence même. Comme évoqué, 3 établissements seulement ont connu pareille décision en 65 ans. Parmi eux, 2 ruptures au cours de ces derniers mois, 2 ruptures parmi les 11 établissements privés musulmans de France, 11 parmi les 7 500 que compte le pays.

Exceptionnelles aussi du fait du système de contrôle qui a abouti à ces décisions. Ainsi, alors qu’aucun contrôle n’a été diligenté à Notre-Dame-de-Bétharram en 30 ans, Averroès en a connu 10 en 3 ans et a été contrôlé tous les ans par toutes les autorités publiques imaginables, avec pour résultat des rapports d’inspection positifs. Dans l’académie de Lille où se situe le lycée Averroès et qui comptait alors 531 établissements privés sous contrat, seuls 2 contrôles ont été conduits entre 2017 et 2023 dans d’autres établissements qu’Averroès. L’établissement Al Kindi de Décines a quant à lui connu jusqu’à 5 contrôles en une seule année. 

Comptent notamment parmi ces contrôles le contrôle général des finances publiques que les établissements Averroès, comme Al Kindi, ont eu à connaître. Comme le rappelle le député LFI Paul Vannier en commission d’enquête, ce type de contrôle est lui aussi d’une exceptionnelle rareté, avec, au rythme actuel, la probabilité pour un établissement de se le voir imposer une fois tous les 1 500 ans.

Le deux poids, deux mesures évident dont a notamment été victime le lycée Averroès s’est aussi incarné dans la bouche d’Élisabeth Borne, actuelle ministre de l’Éducation nationale. Interrogée il y a quelques semaines sur les violences systémiques ayant eu lieu à l’établissement privé catholique Notre-Dame-de-Bétharram, Élisabeth Borne déclarait ainsi « ne pas avoir à se prononcer sur une affaire judiciaire en cours ». Pourtant, ce 7 avril, concernant le cas d’Averroès où une procédure judiciaire est encore en cours, la même Élisabeth Borne a annoncé sa volonté de faire appel en cas de jugement annulant la décision de rupture du contrat de l’établissement avec l’État.

Une décision préfectorale arbitraire, contestable et contestée

En plus du deux poids, deux mesures évident dont a été victime le lycée Averroès dans la décision de rupture de son contrat d’association et dans les moyens colossaux de son contrôle, le fondement et la nature même de la décision préfectorale interrogent pour le moins. 

Comme évoqué, cette décision a été prise le 7 décembre 2023 par Georges-François Leclerc, alors préfet du Nord, qui deviendra quelques jours plus tard directeur de cabinet de l’actuelle ministre de la Santé macroniste Catherine Vautrin.

Alors que les arguments avancés pointent tantôt des prétendus financements douteux, tantôt un livre dans une bibliographie qui feraient d’Averroès un établissement « séparatiste » – Notre-Dame-de-Bétharram c’est pendant ce temps plus de 200 plaintes pour viols, agressions physiques et sexuelles – Médiapart révèle dans les jours qui suivent la décision préfectorale que le rapport ayant servi à motiver la rupture du contrat d’association d’Averroès s’appuie sur « de très nombreuses erreurs et plusieurs étranges omissions ».

Au rang des omissions se trouve notamment le fait que le rapport de saisie du préfet qui conduira à la rupture du contrat d’association ne se base à aucun moment sur le rapport de l’Inspection Générale de l’Éducation, du Sport et de la Recherche qui notait pourtant en juin 2020 que le lycée Averroès « œuvre au quotidien par ses pratiques pédagogiques et éducatives d’excellence aux réussites scolaires personnelles et professionnelles des élèves et à l’émergence de citoyens responsables, autonomes et épanouis ».

De même, préférant se baser sur un rapport de la Chambre Régionale des Comptes des Hauts-de-France, le préfet ne mentionne pas non plus l’audit de la direction générale des Finances publiques qui notait en 2022 des progrès dans la gestion financière et comptable de l’association de gestion d’Averroès.

Le média d’investigation locale Médiacités révélait quant à lui que la « commission de concertation pour l’enseignement privé » réunie par le préfet au sujet d’Averroès « s’assimilait davantage à une chambre d’enregistrement afin d’entériner les positions radicales du préfet et du président de la Région Xavier Bertrand qui s’était invité pour l’occasion », une réunion « sans respect du contradictoire avec des arguments parfois énoncés au mépris des faits ».

Ce 18 avril, le rapporteur public – magistrat indépendant chargé de rappeler les circonstances d’un litige et les règles de droit qui lui sont applicables – a d’ailleurs remis en cause les multiples imprécisions, omissions, non-fondements et « erreurs d’appréciation » de la décision de rupture du contrat d’association d’Averroès et a préconisé son rétablissement devant le tribunal administratif de Lille en attendant un jugement le 23 avril prochain.

Enfin, un autre élément qui interroge quant à la décision du préfet est son choix d’une résiliation immédiate du contrat d’association avec Averroès (la même rupture immédiate a aussi été décidée par la préfète du Rhône concernant l’établissement Al Kindi), alors même que le que le ministère de l’Éducation nationale rappelait en 2024 que si des manquements sont constatés dans le respect d’un contrat d’association entre un établissement scolaire et l’État, il est « fortement recommandé » aux préfets de commencer par une mise en demeure de l’établissement de se conformer à ses obligations. Cette procédure a notamment été respectée dans le cas de l’établissement privé catholique Stanislas et de ses multiples violations des valeurs de la République.

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Islamophobie, confessionnalisation du regard de l’État sur les établissements privés et mépris de classe : les enjeux politiques du cas Averroès

En tout état de cause, le cas du lycée Averroès démontre un deux poids, deux mesures, une confessionnalisation évidente de l’État dans son regard et son action à l’endroit des établissements privés sous contrat. Alors que les établissements musulmans sont criblés de contrôle et que leurs contrats d’association sont résiliés immédiatement sur la base d’éléments discutables, Bétharram et son système organisé de violences physiques et sexuelles n’a pas été contrôlé une seule fois en 30 ans malgré les lanceurs d’alertes, et l’établissement Stanislas, bénéficiant encore aujourd’hui de millions d’euros de subventions non-obligatoires, s’est vu signifié une simple mise en demeure pour ses violences et son éducation intégriste misogyne.

En plus de la question religieuse, l’appartenance sociale respective des élèves de ces établissements peut aussi expliquer la discrimination et l’aveuglement clairs de l’État. 

Ainsi à Bétharram on scolarise les enfants de François Bayrou, et à Stanislas ceux de plusieurs ministres et dirigeants du CAC40. À Averroès en revanche, établissement d’excellence au regard des résultats de ses élèves, on compte plus de 50 % d’élèves boursiers alors qu’ils représentent en moyenne moins de 10 % des effectifs globaux des établissements privés du secondaire, trois fois moins que dans les établissements publics.

La France insoumise et son programme « L’Avenir en Commun » ont bâti un large plan pour enfin contrôler efficacement les établissements privés et améliorer la protection de l’enfance.

Pour aller plus loin : Scandale de Bétharram : les propositions de LFI pour contrôler les établissements privés et améliorer la protection de l’enfance

Un tel plan ne saurait néanmoins aller justement et efficacement sans s’accompagner d’une refonte au moins aussi importante des institutions et de l’appareil administratif d’État pour se débarrasser d’une islamophobie et d’un mépris de classe aujourd’hui devenus structurels, et structurant de leur action.

Par Eliot Martello-Hillmeyer

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