Mickey 17. L’Insoumission.fr publie un nouvel article de sa rubrique « Nos murs ont des oreilles – Arts et mouvement des idées ». Son but est de porter attention à la place de l’imaginaire et de son influence en politique avec l’idée que se relier aux artistes et aux intellectuels est un atout pour penser le présent et regarder le futur.
Dans le dernier film de Bong Joon-Ho, Mickey n’a d’autre choix que de fuir la terre et de devenir remplaçable. C’est-à-dire tester les situations extrêmes et vitales de danger. Exposé à des morts à répétition. Et dupliqué dans une nouvelle version à chaque fois. Une occasion pour le cinéaste de traiter des questions humaines comme le rapport à la mort, à la mémoire et à l’amour. Mais aussi le transhumanisme. L’exploitation de l’homme par l’homme. Le fascisme. Difficile à croire mais Mickey 17 est une comédie où l’on rit beaucoup. Notre article.
« Comment je suis arrivé à Hollywood ? Par le train », John Ford
Cela fait six ans qu’on attendait un film de Bong Joon-Ho. Parasite, son film coréen au succès planétaire – palme d’or, oscars… – lui avait ouvert toutes les portes. Son réalisateur en a profité pour prendre l’argent d’Hollywood. Ses stars dont Robert Pattinson de Batman, Mark Ruffalo de Deadpool et Wolverine et Anamaria Vartolomei toute droit sortie du Comte de Monte-Cristo. Pris aussi les décors, les studios, les effets spéciaux… Pour faire son film.
Contre Hollywood et ses codes. Jusqu’à imposer son final-cut. Contre la Warner qui avait déjà réalisé un montage alternatif plus commercial et politiquement correct. L’américanisation de Bong Joon-Ho n’a pas été consommée. Il en résulte un film pas conformiste du tout. Un peu chaotique et bordélique. Contre l’exploitation, la loi de l’argent et le fascisme.
« Fais voir tes pièces d’identité », Franz Kafka, L’Amérique
1999, Bong Joon-Ho pense à son prochain film. Il y a six ans des sénateurs démocrates américains lançaient une première procédure de destitution de Donald Trump lors de son premier mandat. Notre-Dame brûlait. Elon Musk préparait son mariage avec l’actrice britannique Tallulah Riley et se préparait à soutenir Joe Biden. Le télescope Event Horizon prenait la première photographie du trou noir M87. 2022, premier coup de manivelle pour Mickey 17. Élections de mi-mandat aux USA. Trump prend la majorité à la chambre des représentants. Les démocrates conservent le Sénat. Joe Biden s’en sort bien. La Russie envahit l’Ukraine. Bong Joon-Ho se saisit d’un roman de science-fiction d’Edward Ashton.
Mickey-7 d’Ashton prend + 10. Pour devenir un film où un homme politique part coloniser une planète. Un film dans lequel la science sert le sacrifice du travailleur sur l’autel de la rentabilité et du profit. Un film où les gestes xénophobes ouvrent la possibilité d’une guerre. Prémonition tentante en période pré-électorale américaine. Ratée en partie car Trump est élu. Réussie malgré tout. La planète colonisée par le politicien deux fois battu dans le film a tout de notre moment présent. Jusqu’à l’oreille présidentielle victime de l’attentat. Humour noir et grand guignol garantis. En espérant que la vraie vie finisse aussi bien que le film.
« Le vieux monde se meurt. Le nouveau peine à apparaître. Dans ce clair-obscur naissent les monstres », Antonio Gramsci
Le film s’ouvre au moment où l’histoire de Mickey part mal. Faillite de son restaurant de macarons. Poursuivi par la pègre. Pas d’autres choix que de fuir vers la planète glaciaire Niflheim. Sous la férule d’un dictateur colon. Mickey soumis à la domination- non de Donald – de Kenneth Marshall. Partir comme chair à canon. Commando suicide. Rat de laboratoire. Suicidé de la communauté. Pas grave ?
Son identité est conservée dans un module. Un photocopieur le réimprime à la demande. 18 fois dans le film. L’occasion pour Robert Pattinson de jouer la nuance ou la grande différence d’un « modèle « à l’autre. Chaque personne est unique même s’il existe 18 multiples successifs. Imbécile ou héroïque. Angoissé ou sûr de lui. Naïf ou lucide. Burlesque ou tragique. 18 occasions pour l’acteur Robert Pattinson de jouer toute la palette de son talent.
Mickey n’est pas un individu isolé. Il est l’archétype du travailleur sacrifié sur l’autel de la communauté. Du profit. Du bon plaisir du dictateur hybride – mi Trump, mi Musk. Et de ses fidèles aliénés. Son corps est presque le symbole d’un cannibalisme moral expiatoire. Chair rompue et reconstituée. Objet sexuel aussi par ses fourmillantes facettes. Jusqu’à la coexistence accidentelle des numéros 17 et 18. Hilarante proximité des multiples. Plan à 2, à 3 à 4… Comment cohabiter avec soi-même ?
Comme dans tous ses films précédents, le réalisateur esquisse des pistes qu’il délaisse. Plaisir de s’y laisser prendre. Et des séquences où le registre change. Mélange des genres. Le dernier épisode sur la planète Nilfheim (le royaume des Brumes des Nibelhungen de Richard Wagner) voit surgir des êtres monstrueux qu’on croirait sortis de Dune de Villeneuve. Batailles homériques à la clef. Occasion d’aborder le sujet du rapport entre vivants et de l’autre. Parabole du racisme systémique dont on besoin les puissants pour asseoir leur domination. Happy end final. On aimerait que la vie copie la fiction.
« Pessimisme de la raison, optimisme de la volonté », Antonio Gramsci
Selon le cinéaste, Mickey 17 est un film politique malgré lui. On en doute tant les coïncidences avec notre réel sont nombreuses. Et puis, s’il nous a semblé que Parasite faisait écho à une réflexion de Karl Marx : « Le capitalisme […] n’est que le capital personnifié. Son âme est l’âme du capital.
Mais le capital n’a qu’une seule force motrice, celle de se valoriser, de créer de la plus-value, de faire en sorte que sa partie intégrante, les moyens de production, absorbe la plus grande quantité possible de travail excédentaire. Le capital est un travail mort qui, à la manière d’un vampire, ne vit qu’en suçant le travail vivant, et vit d’autant plus qu’il suce plus de travail », Mickey 17 en serait le prolongement comique.
À la manière dont Gramsci : « La phase actuelle de la lutte de classe en Italie est la phase qui prévoit : ou la conquête du pouvoir politique par le prolétariat révolutionnaire […] ; ou une terrible réaction de la classe propriétaire et de la caste gouvernementale. Aucune violence ne sera négligée pour soumettre le prolétariat à un travail servile : on cherchera à briser inexorablement les organismes de lutte politique de classe et à incorporer les organismes de résistance dans les engrenages de l’État bourgeois ».
« La fable est la sœur aînée de l’histoire », Voltaire
Peut-être notre temps a-t-il besoin de fables ? Mickey-17 s’inscrit dans la lignée filmique des paraboles dystopiques où la comédie est le premier degré d’une invitation à ressentir. Et peut-être penser. Avec, d’un côté, la résistance de l’humanité à la société de contrôle qu’on trouve dans Brazil de Terry Gilliams. De l’autre, la satire mordante de l’ennemi qu’on trouve dans Sans Filtre de Ruben Ostlund.
Outrance burlesque écolo-marxiste. Certains disent que Mickey 17 n’est pas le meilleur film de son réalisateur. La finesse du trait n’a de toute façon jamais été sa tasse de thé. Bong Joon-Ho lui préfère la rigueur loufoque immodérée. Bouffonnerie kitch à laquelle un Robert Pattinson habité offre, par la composition de son personnage, une poésie bienfaisante. Aucune raison donc, dans des temps stressants, d’avaler une bouffée de rires.
Par Laurent Klajnbaum