Data centers et intelligence artificielle. 35 sites mis à disposition pour la construction de centres de données, construction d’un gigantesque data center franco-émirati, 109 milliards d’investissements privés et publics pour l’intelligence artificielle… Les engagements du sommet IA s’inscrivent dans une politique désastreuse en termes sociaux, écologiques et économiques. A l’occasion de ce sommet, le chef de l’État compte aussi poursuivre sa « colonisation numérique » (Jean-Luc Mélenchon) en ne faisant rien face à l’influence grandissante des GAFAM alors que des alternatives souveraines sont possibles, via la construction d’une infrastructure numérique publique.
L’Insoumission vous explique en quoi l’arrivée des data centers (en plus des 150 déjà présents sur le territoire français) signe la destruction de l’environnement et de notre système énergétique. Notre article.
La continuité d’une politique macroniste de dérégulation
L’arrivée massive des data centers en France est d’abord le produit d’une politique macroniste de libéralisation sur la fiscalité des centres de données. Alors que les ménages français paient environ 32 euros du mégawattheure (MWh) par le biais de la taxe intérieure sur la consommation finale d’électricité (TICFE), que les entreprises françaises ont une réduction à 22,5 €/MW/h, les data centers bénéficient quant à eux d’un taux de 12 €/MWh depuis 2019.
Résultat : la France est devenue un eldorado pour les géants de l’industrie numérique (Amazon, Equinix, Google, Microsoft, OVH, …), qui y font fleurir leurs centres de données, toujours plus grands. Dans une tribune publiée dimanche 9 février, Jean-Luc Mélenchon revient sur cette forme de colonisation numérique : « Macron a annoncé «mettre à disposition» 35 sites en France pour construire des data centers, ces centres où sont stockées des données numériques. En faisant cela, il va renforcer les acteurs déjà dominants. Les branches du cloud d’Amazon et de Microsoft vont se renforcer en capacités de stockages, et donc en quantités de données qu’ils contrôlent et donc en nouveaux services numériques développés par ces entreprises. Un cercle vicieux qu’il faut briser. »
En effet, l’électrification dense dont certaines régions font l’objet, la densité d’activités tertiaires, les coûts de raccordement jugés acceptables, le foncier disponible à l’implantation de ces entrepôts attire les géants numériques, véritables vautours financés par les fonds d’investissement privés (Éclairage, Les data centers (centres de stockage de données), Mission régionale d’Autorité environnementale d’Île-de-France, 2023.)
Plus encore, la France est attractive pour des raisons concurrentielles : les entreprises peuvent réserver auprès de RTE des disponibilités afin d’empêcher un concurrent de disposer de la ressource énergétique sans qu’il doive réaliser des travaux d’infrastructure de transport et de distribution d’électricité. Une fois ce constat donné, pourquoi l’installation exponentielle de ces entrepôts est-elle un désastre multifactoriel ?
Pour aller plus loin : « Emmanuel Macron transforme la France en colonie numérique » – Tribune de Jean-Luc Mélenchon
La souveraineté énergétique de la France est menacée
Le numérique constitue 2,5 % des émissions de gaz à effet de serre françaises par an en 2020. Les data centers sont alors responsables de 16 % de cette empreinte carbone. Selon une étude Ademe-Arcep, si aucune mesure de sobriété numérique n’est mise en place (et le contraire est prôné par le Gouvernement français aujourd’hui), l’empreinte carbone du numérique pourrait tripler en 2050 par rapport à 2020.
Le rapport Ademe-Arcep explique même que dans le cas d’un scénario visant à intensifier le recours au numérique (encore la politique menée aujourd’hui), les centres de données pourraient alors « représenter la part majoritaire de la consommation électrique à horizon 2050 ! Ainsi, 52% de la consommation électrique totale en 2050 pourrait n’être dévolue qu’à l’alimentation de ces entrepôts » (Évaluation de l’impact environnemental du numérique en France, ADEME – ARCEP, mars 2023), sans parler de la pression très importante sur les métaux et minéraux induite par ce développement.
À l’occasion du sommet sur l’IA, l’Élysée a promis 35 nouveaux sites français « prêts à l’emploi » (Cyril Petit, Yves-Marie Robin, « “Innover”, “accélérer” et “ne pas avoir peur”: Emmanuel Macron détaille sa stratégie pour l’IA », Ouest-France, 7 février 2025), sur lesquels pourront être installés des data centers. La pression de ces sites serait alors maximale sur le reste de la consommation énergétique du pays. Sans oublier que tout ce qui sera stocké en France par des entreprises américaines, sera accessible et utilisable aux USA du fait des lois d’extra-territorialité de ce pays.
En Irlande, les data centers représentent déjà 21 % de la consommation électrique du pays (5 % seulement en 2015) (Clémence Pénard, « Intelligence artificielle : la construction de data centers en Irlande met à rude épreuve le réseau électrique du pays », Franceinfo, 10 février 2025.), un développement poussé par le régime fiscal avantageux que propose le pays.
Dublin manque cruellement d’énergie pour le développement de nouveaux centres de données, et le risque de coupures d’électricité devient de plus en plus important pour la population. En 2019, Amsterdam avait prononcé un moratoire d’un an sur la construction de tout nouveau data center dit « hyperscale » (les plus grands du marché). Ainsi, l’arrivée de 35 nouveaux sites sur le marché français serait une menace extrêmement importante pour la souveraineté énergétique du pays, mais également pour l’approvisionnement de la population sur tout le territoire.
Au gré des sécheresses de plus en plus importantes, l’apport en eau des centrales nucléaires françaises afin de les refroidir tend à se réduire chaque année. Les politiques publiques doivent être guidées par un objectif de sobriété, au risque de faire défaillir tout le système électrique français.
Un danger exponentiel pour l’environnement et les populations
La production d’électricité n’est pas amenée à augmenter significativement pour suivre le développement tous azimuts de ces énormes consommateurs d’énergie. Les pannes de ces entrepôts risquent donc d’être plus fréquentes. Bien qu’elles soient encore rares, elles arrivent. Et lorsque le réseau coupe, ce sont les groupes électrogènes qui prennent le relais. Ainsi, en novembre 2020, le data center des Ulis tombe en panne pendant 270 heures, et ses groupes électrogènes ont alors pris le relais, relâchant des émissions de CO2 qui n’ont pu être calculées.
Quel serait l’impact sur la santé et l’environnement si le plus grand data center de France, le Paris Digital Park de la Courneuve, connaissait une panne alors qu’il se trouve au milieu des habitats précaires de Seine-Saint-Denis, près du périphérique, et que ses 80 cheminées crachaient le CO2 qu’elles consomment après 72 heures en autonomie ? Au sommet IA, les questions sociales et environnementales seront absentes des débats. Au-delà de ça, l’impact environnemental n’est pas compensé par les retombées pour les riverains en termes de création d’emplois.
France Nature Environnement Île-de-France alertait déjà en 2019 : « ces fermes de serveurs installées “au milieu des champs” emploient peu, alors qu’elles occupent un foncier important. On estime que les data centers fournissent en moyenne un emploi temps plein pour 10 000m² contre une cinquantaine d’emplois temps plein, en moyenne, pour la même surface occupée par d’autres secteurs d’activités ». La Caisse des dépôts, à son tour, s’inquiétait en 2020 de la concentration des centres dans les territoires par « une pression foncière et environnementale croissante […], aggravant leurs fragilités face notamment aux manifestations climatiques extrêmes actuelles et à venir ».
Enfin, Emmanuel Macron a appelé à ce que les procédures de délivrance des permis de construire pour ces infrastructures soient « simplifiées », « comme pour Notre-Dame ». Derrière cette expression, ce sont les normes environnementales et sociales qui seront encore une fois bafouées par le Gouvernement français.
Le peuple français devra payer la facture
Si les investissements de ces sites proviennent de l’État et en grande majorité de groupes privés comme le fonds d’investissement émirati MGX, Amazon, ou encore le fonds d’investissement canadien Brookfield, les infrastructures de transport et de production d’électricité françaises sont bien publiques (RTE appartient à 50,1 % à EDF, dont l’État est actionnaire unique).
Face à la pression sur les infrastructures électriques (lignes hautes tensions, générateurs, centrales nucléaires, transformateurs, etc.), les taxes sur l’électricité risquent d’augmenter dans les prochaines années, à mesure que les centres de données en consomment de manière exponentielle. Ces coûts sont aujourd’hui en grande partie supportés par les citoyens français. Le fort développement de l’industrie numérique fera augmenter mathématiquement la facture de la défaillance des systèmes électriques pour des millions de Français.
Face au numérique au service des monopoles et de l’argent, une seule solution : la sobriété
Le programme de la France Insoumise, L’avenir en commun prône la sobriété numérique, au service de la bifurcation écologique. Face à l’arrivée tous azimuts des centres de données, LFI préconise de planifier l’aménagement de ceux-ci afin de garantir la réutilisation systématique de la chaleur générée par leur fonctionnement, et de garantir un objectif zéro artificialisation nette du territoire.
La France Insoumise souhaite également créer une mission nationale de maîtrise de l’intelligence artificielle, associant chercheur•ses en IA et en sciences humaines et sociales, les associations de défense des libertés, les expert•es afin d’instruire et de conseiller la décision publique. Enfin, L’avenir en commun comprend des mesures de lutte contre la pollution et la surconsommation numériques ainsi que de réparation et de réemploi des serveurs, ce qui n’est pas le cas dans les data centers aujourd’hui.
Crédits photo : « Master Artificial intelligence and visual computing École polytechnique », École Polytechnique, Flickr, CC BY-SA 2.0, pas de modifications apportées.