L’information n’aura échappé à personne : le fondateur fasciste du Front National, Jean-Marie Le Pen, est mort le 7 janvier 2025. Très rapidement, les principales chaînes d’information en continu se sont détournées de l’hommage aux victimes des attentats du 7 janvier 2015 pour se précipiter sur la mort de Jean-Marie Le Pen. Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elles se sont montrées d’une étrange sobriété. Complices de la dédiabolisation.
Tout s’est passé et se passe comme si, en l’espace de quelques jours, la mort avait effacé les faits, l’histoire de Jean-Marie Le Pen, antisémite, raciste, misogyne, homophobe, tortionnaire en Algérie française. Retour sur une semaine de flagorneries et de bienveillance médiatique. Notre article.
Jean-Marie Le Pen : « Une grande figure de la vie politique française »
Le premier narratif qui s’est spontanément imposé est celui du « quoi qu’on en pense ». En effet, quoique l’on ait pu penser de Jean-Marie Le Pen et de ses 25 condamnations – incluant apologie de crimes de guerre, incitations à la haine raciale, contestation de crimes contre l’humanité –, il semblait admis dans le périmètre médiatique de souligner que celui qui a diffusé une rhétorique xénophobe partout en France demeure, quoi qu’il en soit, une figure marquante de la vie politique française.
Pour alimenter ce récit purement idéologique, les chefferies éditoriales n’ont pas tardé à sauter sur l’occasion en invitant, en l’espace de quelques minutes, toute une pléiade de proches, ou ex-proches, de Jean-Marie Le Pen, pour la plupart affiliés au Rassemblement National ou à Reconquête : Robert Ménard, Gilbert Collard, Louis Aliot, Bruno Gollnisch, entre autres.
Mais il était parfois compliqué de distinguer la parole de ses anciens compagnons de route celle d’un éditocrate de CNEWS. Ainsi de Pascal Praud qui, dans son édito de mercredi dernier sur CNEWS/Europe 1, s’est fendu d’un vibrant discours, de ceux qu’aurait très bien pu tenir Jean-Marie Le Pen à qui il rend hommage.
Passant très rapidement sur les euphémisées « déclarations scandaleuses » de Jean-Marie Le Pen, Pascal Praud a loué les « combats » et l’idéologie du fondateur du RN, dont il partage sans aucun doute la plus grande partie : “il est le seul […] à avoir perçu le danger de l’islam”, “un homme politique qui utilisait l’imparfait du subjonctif, citait Corneille et possédait une connaissance en profondeur de la France et son histoire”.
À elles seules, ces deux minutes résument le récit qui s’est progressivement imposé au sein des médias dominants. Aujourd’hui, dans la bouche des éditocrates d’extrême droite, ça n’est plus l’islamisme le problème, c’est l’Islam comme religion. Dans cette logique, donc, quel doit être le prochain danger tout désigné par CNEWS ? Les musulmans eux-mêmes ?
Les médias non-bollorisés pataugent quant à eux dans une dépolitisation du personnage de Jean-Marie Le Pen. TF1 évoque ses nombreux « dérapages », à propos du « point de détail » ou de « l’inégalité des races », comme s’il n’avait pas fait exprès d’être raciste et antisémite. Dans le même reportage pourtant, la chaîne interroge une journaliste qui confirme que ces « sorties de route » étaient en réalité tout à fait maîtrisées et faisaient partie de la stratégie de Jean-Marie Le Pen.
La Une de Paris Match, récemment passé des mains de Bolloré à celles de Bernard Arnault, est quant à elle un cas d’école sur la dédiabolisation de l’extrême-droite, de ses représentants et de ses idées. On y voit ainsi le père Le Pen, visage serein, sous-titré « Une histoire française ». La presse de droite et d’extrême droite dépeint aujourd’hui un homme politique de premier plan, avec quelques casseroles, mais sans plus.
« Dérapages » racistes, « plaisanteries » antisémites et « provocations » islamophobes
Un autre récit médiatique s’est imposé : les propos racistes, antisémites, homophobes, islamophobes de Jean-Marie Le Pen ont été réduits à de simples dérapages, polémiques ou provocations. Exit les multiples condamnations judiciaires et les vagues de mobilisations populaires qu’avaient suscité ses déclarations empreintes de haine. On a préféré décrire ces sorties comme des écarts involontaires, des paroles prononcées sans réelle intention – et ce, en dépit du fait que le principal intéressé assumait pleinement la teneur de ses propos.
Les actes de torture de Jean-Marie Le Pen en Algérie miraculeusement gommés
Une autre constante dans le traitement médiatique de la mort de Jean-Marie Le Pen a résidé dans l’absence presque totale de mentions des actes de torture dont il s’est rendu coupable en Algérie, actes pourtant établis. À ce titre, le livre de l’historien Fabrice Riceputi (Le Pen et la torture, 2023) est le dernier d’une longue série de documents, articles, ouvrages, qui démontrent le passé criminel du fondateur du FN. Pourtant, lorsque ces faits odieux furent évoqués, ce ne fut qu’à l’initiative de personnalités de gauche invitées – trop rarement – sur les plateaux de télévision ou intervenant en duplex.
Pour aller plus loin : Mort de Jean-Marie Le Pen : retour du RN à ses sources nazies
Plutôt que de revenir sur ces rappels historiques fondés, les chaînes d’information en continu ont choisi de diffuser en boucle certaines de ses « plaisanteries », comme cet épisode survenu lors de la campagne législative de 1997, où Jean-Marie Le Pen avait violemment plaqué contre un mur et agressé la maire de Mantes-la-Ville, un acte lui ayant valu une condamnation à un an d’inéligibilité et une amende de 8 000 francs.
« Pas à la cheville de Mélenchon »
Une journée sans invectiver et calomnier la France insoumise et Jean-Luc Mélenchon est une journée perdue pour les chefferies éditoriales. Ne ratant aucune occasion pour insulter et discréditer les insoumises et les insoumis, les habitués des plateaux se sont succédé pour établir la comparaison entre « l’antisémitisme d’hier » et « l’antisémitisme d’aujourd’hui ».
L’antisémitisme d’aujourd’hui étant, selon eux, porté par « l’extrême gauche » à des « fins électorales » (une accusation motivée par des considérations racistes sous-entendant de manière à peine dissimulée que les musulmans vivant en France seraient, en tant que groupe, unanimement antisémites).
Dans cette campagne médiatique dirigée contre La France insoumise, l’on a également dû subir une énième caricature du dessinateur réactionnaire Plantu, parachevant sa déchéance morale, associant Jean-Luc Mélenchon à l’héritage d’un homme condamné à maintes reprises pour racisme, incitation à la haine raciale et négation de crimes contre l’humanité.
D’autres sont même allés plus loin dans l’ignominie. Si Plantu et ses amis du Printemps Républicain et du journal Franc-Tireur ont tracé un trait d’égalité entre Jean-Luc Mélenchon et un tortionnaire raciste multirécidiviste, leur aile droite, toute honte bue, a quasiment érigé Jean-Marie Le Pen en un antiraciste conséquent.
Ainsi de Gilles-William Goldnadel, toujours présent pour élever le débat, qui déclare, sans bien entendu être contredit sur le plateau de Vincent Bolloré, que « l’éventuel » antisémitisme de Jean-Marie Le Pen n’arrive pas à la cheville de celui de Jean-Luc Mélenchon. L’argument mobilisé pour soutenir cette calomnie ? Le Pen agiterait l’antisémitisme « d’hier » (on n’en saura pas plus) et Mélenchon, celui « d’aujourd’hui » (on n’en saura toujours pas plus).
« Durafour crématoire », « une autre fournée » en parlant de Patrick Bruel, la qualification des chambres à gaz comme « point de détail » de l’Histoire, autant de propos tenus par Jean-Marie Le Pen qui sont, aux yeux de Goldnadel, moins graves que la dénonciation d’un génocide se perpétrant sous nos yeux.
Les médias ont offert à Jean-Marie Le Pen la plus belle mort qui soit
Les éditocrates de plateau, accompagnés d’une grande partie du spectre politique, ont en réalité offert à Jean-Marie Le Pen la plus belle mort qui soit. Les médias sont progressivement tous repris en main par des milliardaires d’extrême-droite qui imposent leurs thématiques. 124 députés d’extrême droite ont été élus à l’Assemblée Nationale, notamment du fait des nombreux refus des macronistes de se désister en faveur d’un candidat du Nouveau Front Populaire.
Les premiers ministres successifs passent coup de fil sur coup de fil au RN pour s’assurer de son soutien. Le fond de l’air médiatico-politique s’assombrit de jour en jour, et le traitement médiatique de la mort de Jean-Marie Le Pen, hier pestiféré, aujourd’hui défendu, en est un témoin frappant.
Par Adrien Pourageaud