Michelin

« C’est le temps du combat » – Entretien avec Bastien You, délégué CGT de l’usine Michelin de Cholet

Michelin. Depuis des mois, les salariés des usines Michelin à Vannes et Cholet sont en grève contre les fermetures ordonnées par une Direction toujours en quête de plus de profits. Après avoir touché des centaines de millions d’euros d’aides publiques et distribué 1,4 milliard d’euros de dividendes à ses actionnaires en 2023, le groupe met à la porte 1600 salariés, prévenu par voie de presse ou en quelques minutes par la Direction.

Pour les salariés interrogés par l’Insoumission sur les piquets de grève, la nomination du nouveau Gouvernement de macronistes ne change rien. « On sait déjà qu’ils vont continuer la même politique qui fait fermer nos usines. Macron se fout de nos vies et de nos emplois, qu’il dégage ! », confiait Sara au micro de l’Insoumission quelques jours après la nomination de François Bayrou.

L’Insoumission a aussi rencontré Bastien You, délégué CGT de l’usine depuis mars 2023, pour qu’il nous explique les dessous de cette « restructuration » et porte la voix de ceux qui luttent pour leur dignité et leurs droits. Il est élu membre du comité de lutte, depuis le 18 novembre 2024, et son mandat est renouvelé à chaque assemblée générale depuis cette date. Notre entretien.

« C’est la mobilisation des salariés qui sera déterminante pour satisfaire les revendications » – Bastien You, délégué CGT de l’usine Michelin à Cholet

Quel est l’état de la mobilisation, aujourd’hui ?

Il y a eu des assemblées générales tous les jours pendant le blocage de l’usine, et depuis le retour au travail, les assemblées générales ont lieu 2 fois par semaine. L’usine est actuellement sur le point de fermer en raison des vacances de Noël. Les négociations ont commencé, et la mobilisation s’accentue les jours de négociations.

Depuis le début, 200 salariés se mobilisent sur 950. Les ouvriers sont, naturellement, les plus mobilisés. MICHELIN a décidé de fermer l’usine dans tous les cas, ce qui ne passe pas pour les collègues, notamment ceux qui sont en CDI.

Quant aux conditions de licenciements, elles sont, en l’état, inacceptables, car il est proposé à chaque salarié 35 000€ brut, ajouté de 500€ par année d’ancienneté. Or, aucun salarié n’en est satisfait, en particulier dans un groupe qui fait 2 milliards € de profits chaque année. En 2024, les actionnaires se sont partagés 900 millions d’€, et le groupe a dépensé 500 millions d’€ en rachat d’actions.

Nous revendiquons 120 000€ net, ajouté de 2 500€ par année d’ancienneté. Des sommes que le groupe a largement les moyens d’envisager. Les salariés sont dans l’attente d’en savoir plus sur l’avancée des négociations. Mais ils savent que c’est le rapport de force qui sera déterminant, malgré les pressions et tentatives de division organisées par Michelin.

Pour aller plus loin : Reportage – À Cholet, la colère des salariés de Michelin face à la fermeture annoncée

Le piquet de grève se tient depuis plusieurs semaines, comment s’organise la solidarité entre salariés, et avec les habitants ?

Nous avons reçu des réseaux militants, notamment des cantines populaires comme « le plat de résistance », ou encore le « RAARE », qui est une cantine militante angevine. On a reçu, également des militants des soulèvements de la Terre de Rennes, et de la confédération paysanne. De nombreux militants syndicaux de Thalès, des cheminots, des pompiers, sont aussi venu prêter assistance. Des commerçants et des supermarchés, notamment le CARREFOUR de Cholet, ont proposé des invendus.

La mairie a également apporté un barnum et des toilettes de chantiers. Et des particuliers sont venu déposer des pneus et des palettes pour nous aider à nous réchauffer. Ce genre de soutien réchauffe les cœurs, et rappelle que ce n’est pas que le problème des salariés, c’est aussi toute une région qui est sinistrée, car les commerçants vont perdre des consommateurs, les collectivités vont perdre des revenus. Sans parler des conséquences pour les familles.

As-tu une visibilité sur la suite du mouvement ?

Difficile à dire à la veille des vacances, sachant les négociations vont durer jusqu’à fin mars 2025. Il faut continuer à se mobiliser et à maintenir un rapport de force exigeant. Ce qui compte, c’est qu’on pose un problème politique à MICHELIN et que la société civile, les politiques, les collectivités, les commerçants mettent la pression sur les dirigeants, car personne ne peut se sentir à l’abri des conséquences de leurs choix capitalistiques.

Avez-vous déjà rencontré des dirigeants politiques ?

Oui, Manuel Bompard, Philippe Poutou, Nathalie Arthaud, et d’autres députés et sénateurs sont passé témoigner leur soutien. Tous les soutiens sont bienvenus, car ça fait parler de nous, et ça met la pression sur les dirigeants de Michelin. Il n’en demeure pas moins que c’est la mobilisation des salariés qui sera déterminante pour satisfaire les revendications.

Est-ce que des personnalités du monde syndical, aguerris à ces types de combats, ont pu apporter leur expérience ?

Pour les négociations, depuis le début, on prend les conseils et les idées, mais la direction refuse que des personnes n’appartenant pas à l’entreprise, ou que des membres du comité de lutte participent à ces négociations. L’accord de méthode qui le prévoit a été signé par la CFE CGC et la CFDT, mais pas par SUD MICHELIN, ni la CGT. Les négociations ne peuvent être conduites qu’avec 5 membres par organisation syndicale représentative.

Le plan « social » concerne les deux usines de CHOLET et VANNES, et donc la représentativité se fait au niveau du groupe, ce qui permet à la CFE-CGC de participer à ces négociations, alors qu’elle n’a pas d’élus à CHOLET. Tout est fait pour éloigner les salariés des discussions.

Comment vous pouvez contourner ces contraintes ?

On va chercher à s’inviter d’une manière ou d’une autre dans ces négociations, avec des actions qui restent à déterminer, puisque le mouvement ne fait que commencer. Il reste à convaincre l’ensemble des salariés de se mobiliser, surtout quand on observe que les dirigeants ont le soutien des gouvernements qui se sont succédé depuis 40 ans.

Alors, il y a une forme de résignation qui s’est installée, mais ça peut changer très vite, en fonction du comportement patronal. On prévoit de s’adresser aussi aux travailleurs des autres entreprises, car les plans sociaux se multiplient partout en France. La CGT a estimé que en200 000 à 300 000 emplois sont en danger d’ici fin 2025.

Que penses-tu des mesures proposées par LFI, par exemple contre les licenciements boursiers ?

Elles vont dans le bon sens mais il ne faut pas qu’interdire les licenciements boursiers, il faut interdire tous les licenciements, Et pas juste renationaliser les fleurons de l’industrie française, mais les exproprier. Par exemple, Alma DUFOUR proposait sur Mediapart l’interdiction des licenciements que dans les filières stratégiques, mais quand il s’agit d’autres filières, on parle aussi de travailleurs, de familles, qui ne demandent qu’à vivre de leur travail

Propos recueillis par Teddy Francisot

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Les Crayons de L’insoumission, par Xab / La Plume Rieuse.