bolloré bardella livre

La machine éditoriale de Bolloré au service de Bardella

Ce que je cherche, voilà le titre du futur livre écrit par… Jordan Bardella, président du Rassemblement National. Si on était de mauvais esprit, on pourrait lui suggérer de chercher son bureau au Parlement Européen, il semble avoir du mal à le trouver. Au lieu de cela, il « revient sur son parcours, ses origines et son amour pour la France », selon le résumé du livre. Le même résumé présente un jeune homme « entré en politique à l’âge de 16 ans ».

Il rejoint le Front National en 2012, alors que le FN a une réputation, encore justifiée, de parti raciste. Au service de cette autobiographie, le milliardaire d’extrême droite Vincent Bolloré met en branle tout son arsenal médiatique, que l’on connaît bien, mais aussi sa récente acquisition : l’éditeur Fayard.

La publication le 9 novembre 2024 de cette autobiographie a mis en lumière la manière avec laquelle Bolloré et ses larbins ont opéré une véritable métamorphose politique de la maison d’édition. Après avoir lancé Zemmour en 2021-2022, Bolloré s’assure cette fois une proximité avec le clan Le Pen. Il lance avec fracas une campagne de publicité massive pour le livre du neveu par alliance de Marine Le Pen : toute la bollosphère se met en mouvement au service du RN, mais aussi une partie du reste du monde médiatique. Notre article.

Jordan Bardella ou l’Itinéraire d’un enfant gâté

Bien sûr, dans son livre, Jordan Bardella va nous vendre l’histoire qu’il répète depuis plusieurs années. Celui d’un enfant issu d’un milieu modeste de Seint-Saint-Denis, élevé par une mère célibataire, issu d’une famille d’origine italienne qui a su s’intégrer, contrairement aux habitants de son quartier d’origine, etc.

Tout cela est en partie vrai, mais largement déformé. Si Bardella a en partie été élevé par sa mère, ATSEM en école maternelle, un métier précaire, son père est en revanche chef d’entreprise bien plus aisé. Ainsi, le jeune Jordan passe sa scolarité dans des écoles privées catholiques, se voit offrir une voiture pour ses 18 ans, et n’a jamais connu l’angoisse du frigo ou du compte en banque vide.

Dans les années 2010, il commence à militer au sein du Front National. Un excellent récit de son ascension est disponible dans le livre Extrême droite, nouvelle génération de M.Magal et Nicolas Massol (éditions Denoël). Pour résumer, lorsqu’il commence sans conviction une licence de géographie à Paris (qu’il ne finira pas), Bardella joue à l’homme politique.

Il fait partie de cette catégorie d’étudiants, toujours habillé en costume-cravate, déguisé en notable que personne ne connaît (pour le moment). Autour de 2014, Bardella commence à gravir les échelons du FN : responsable de section, candidats à diverses élections, conseiller régional… jusqu’à aujourd’hui, député européen et président du parti.

Le résumé du livre évoque la « méritocratie » à laquelle Bardella semble croire dur comme fer. D’un certain point de vue cela n’est pas faux. Mais sans dire quelle méritocratie : Bardella n’a jamais travaillé hors de la politique. Assistant parlementaire, puis élu professionnel, il est grassement rémunéré depuis des années à ne pas faire grand-chose.

En tant que député européen, son bilan est proche du zéro absolu, et il se retrouve devant les tribunaux, mêlé à une affaire d’emplois fictifs du RN : même quand il était assistant, il ne faisait pas grand-chose. Il est en revanche passé maître dans l’art de trahir ses mentors au bon moment, tout en restant fidèle à la main qui le nourrit, celle du clan Le Pen.

Opération place nette chez Fayard

Le géant de l’édition a été racheté par Vincent Bolloré, patron d’industrie et de presse d’extrême droite, en 2022. En mars dernier, sa PDG Isabelle Saporta est remplacée, malgré une relative servilité à l’égard du maître des lieux. Depuis mars dernier, c’est Lise Boëll qui est aux manettes de la maison d’édition, et opère depuis un intense travail de propagande. Très vite, celle qui a longtemps été l’éditrice d’Eric Zemmour (ça ne s’invente pas), redécore les locaux à sa manière. Exemple parlant, des téléviseurs sont installés, branchés toute la journée sur … Cnews !

Un article de Libération décrit l’ambiance au sein de l’entreprise, surtout depuis l’annonce du livre de Bardella : les employés sont partagés entre stupéfaction, gêne et colère. D’un autre côté, quand Boëll est devenue PDG de Fayard, plusieurs auteurs, comme l’économiste Thomas Porcher, ont quitté la maison d’édition. La pluralité d’opinions promise par Boëll n’empêche bizarrement pas le turn-over et la droitisation de l’édition…

Mais le moins que l’on puisse dire est que Bolloré met les moyens pour la diffusion du futur prix Goncourt. Près de 155 000 exemplaires vont être imprimés. Un tirage impressionnant, comparé à d’autres livres politiques.

Pour que ces exemplaires soient vendus, une campagne de publicité massive va être déployée dans les médias Bolloré : Europe 1, Le Journal du Dimanche (JDD), le nouveau magazine JDNews, et évidemment Cnews. Des affiches promotionnelles seront placardées dans 110 gares par Fayard. Petit hic : la SNCF ne savait pas quel livre serait affiché dans ses gares avant les révélations de Libération. Alors que les salariés et les syndicats sont scandalisés et demandent que les affiches ne soient pas collées, la direction de la SNCF souffle le chaud et le froid.

Pour aller plus loin : Bolloré et Bardella veulent faire leur pub à la SNCF

Fayard : l’arbre qui cache la forêt

Pour rédiger son livre, Bardella a reçu de l’aide de Fayard. On le comprend : remplir 300 pages en racontant la vie de quelqu’un qui n’a pas fait grand-chose est difficile. Et puis, son mandat de député européen l’occupe tellement… Toujours selon Libération, c’est Nicolas Diat qui a aidé le président du RN. Diat est aussi l’éditeur de Pierre et Philippe de Villiers, ce dernier étant le patron du Puy du fou, soutien de Zemmour en 2022, connu pour ses idées réactionnaires, homophobes et anti-avortement.

Mais une autre aide apportée à Bardella a attiré l’attention en avril 2024. Le chroniqueur de France Info Jean-François Achili a en effet assisté Bardella dans sa vocation littéraire, et la direction de France Info n’apprécie pas du tout. Achili est licencié pour faute grave, avant d’être recruté par BFM TV et Sud Radio (autre média de droite dure). Ce cas est éloquent : les médias d’extrême droite ne sont plus les seuls à travailler et à copiner avec le RN. Le petit monde éditorialiste, habitué à lécher les bottes du pouvoir, sent le vent tourner et est persuadé de voir l’extrême droite prendre le pouvoir d’ici à quelques mois.

De la même manière, chez Fayard, Boëll a promu au poste de directeur de la communication un ancien conseiller de… Marlène Schiappa. En d’autres termes, l’extrême centre, dans les cabinets ministériels comme sur les plateaux télés, retourne sa veste et se recycle à l’extrême droite. Ultime démonstration à la SNCF.

Alors que la direction louvoie, ne donne pas de décision sur les affiches de Fayard, la réaction syndicale tranche avec celle des cadres. Ainsi, SUD Rail refuse catégoriquement de « faire campagne […] pour l’extrême droite ». Les prises de position des syndicats n’ont pas du tout plu à Bardella, qui a dénoncé les vilains syndicats « d’extrême gauche » : « c’est quoi la prochaine étape ? Ils vont brûler mes livres ? ».

Les députés de la France insoumise Thomas Portes et Bérenger Cernon, cheminots, ont d’ailleurs rappelé que « 2220 cheminots sont morts en prison, déportés, exécutés sous le régime de Vichy et que plus de 7 500 sont morts sous les balles du régime nazi », et « qu’au moment où les cheminots lançaient la grève insurrectionnelle pour libérer Paris, les fondateurs du Rassemblement National participaient à la collaboration ».

Avant d’écrire un livre, Jordan Bardella aurait dû en lire un ou deux. Il aurait vite vu que les brûleurs de livre se sont souvent trouvés de son bord politique au cours de l’Histoire.

Par Alexis Poyard