Répression en Martinique. Présente en Martinique depuis plusieurs semaines, la CRS8 a commencé sa sale besogne ce lundi. Cette « unité va-t-en-guerre » – c’est ainsi que l’ont qualifié des préfets qui ont assisté et critiqué sa violence inouïe – a interpellé une dizaine de manifestants martiniquais mobilisés contre la vie chère. Parmi les interpellés, l’un des meneurs de la mobilisation, Rodrigue Petitot, dit « Le R », dont nous avions déjà parlé dans nos colonnes le 2 septembre lorsqu’il était placé en garde à vue dans une première vague de répression coloniale.
En cause : depuis plus d’un mois, un vent de révolte populaire souffle sur la Martinique. Les prix exorbitants qui y règnent prennent les familles à la gorge. Quinze ans après la grande grève de 2009 contre la vie chère dans les Antilles, les prix alimentaires restent 40 % plus élevés en Martinique que dans le reste de la France. Du papier toilette à 12 euros, le paquet de 500 g de fromage râpé à 6,19 euros, le paquet de mâche à 4,99 euros, voici un panel des prix mirobolants qui s’affichent tous les jours sur tous les tickets de caisse des Martiniquais.
Réponse du pouvoir ? L’envoi de la CRS 8 connu pour avoir déjà tiré à balles réelles à Mayotte. Depuis 1959, et l’assassinat par les forces de l’ordre de deux martiniquais, jamais les CRS n’avaient été renvoyés sur l’île. Notre article.
La CRS 8, le pire du maintien de l’ordre à la française
Face à la contestation sociale, Retailleau envoie une compagnie de CRS, la 8ᵉ (la « CRS 8 »). Interdire des manifestations et des attroupements n’a pas suffi, le temps est venu de cogner davantage. Il faut dire que le rôle de cette compagnie est flou : à sa création en 2021, le ministère de l’Intérieur annonçait que son but prioritaire était le « maintien de l’ordre », et la « lutte contre les violences urbaines », ainsi que le « renfort aux autres » branches de la police nationale. Même si la lutte contre les violences urbaines est censée être le principal rôle de la CRS 8, le flou persiste sur le « renfort » apporté aux autres forces de police.
Ainsi, France 3 décrit une compagnie également spécialisée dans la lutte contre les stupéfiants, sans que cela soit spécifié sur le site du ministère. Plus que d’une unité au rôle spécifique, cela ressemble davantage à un couteau suisse opérationnel et de communication des ministres Darmanin puis Retailleau. Ce modèle a été aussi décliné dans quatre nouvelles compagnies : rapidité de déploiement, formation au maintien de l’ordre en situation d’émeute et capacité de projection.
Pour aller plus loin : « Je suis consterné » – Retailleau parle comme l’extrême droite, la macronie se craquelle
Le fer de lance de la répression française dans les anciennes colonies, une première fois depuis 65 ans en Martinique
L’historique de la CRS 8 est déjà chargée : elle a déjà été déployée à Mayotte en 2023. Sa mission assumée était alors d’expulser les réfugiés sur l’île, territoire le plus pauvre de la République, et de raser leurs bidonvilles, par la force si nécessaire. Là encore, leur mission a évolué en fonction des lubies du gouvernement : on passe de contrer des violences urbaines à brutaliser et à déloger des réfugiés dans la jungle de Mayotte. Le vocabulaire employé ne trompe pas : ces réfugiés sont qualifiés « d’ennemis » par les agents de la CRS 8. Cette opération, nommée Wuambushu, a permis de vérifier la violence du dispositif déployé par la CRS 8.
Comme dans l’Hexagone au même moment (lors des manifestations contre la réforme des retraites), la CRS 8 a utilisé des LBD, des grenades de désencerclement… Mais à Mayotte, les CRS ont aussi utilisé des balles réelles, comme l’a dévoilé Le Monde. Elles n’ont heureusement fait aucune victime, ayant été tirée au niveau des pieds. Mais on voit bien la force de l’appareil répressif déployé pour déloger des réfugiés : l’élite des CRS formées à la lutte contre les violences urbaines, prêtes à tirer à balles réelles. À quand le premier mort ?
La France Insoumise avait déjà dénoncé le processus hérité de la période coloniale, elle avait appelé à une sortie politique de la crise à Mayotte sur le logement, l’accès à l’eau… Rien de tout cela n’a été écouté. Cette année encore, en Nouvelle-Calédonie/Kanaky, l’injuste réforme constitutionnelle voulue par Macron a mis le feu à l’île. Les Insoumis ont encore une fois appelé à une solution politique, mais la macronie a répliqué par la répression brutale, meurtrière et sourde aux revendications populaires des Kanaks. Et maintenant que la Martinique se soulève, Retailleau s’inscrit dans la continuité de son prédécesseur en envoyant des CRS sur l’île, une première depuis 60 ans.
Car la dernière fois que des CRS ont été envoyés en Martinique, le souvenir laissé marque encore l’île et ses habitants. Les émeutes de 1959, provoquées par des CRS, ont causé 3 morts de la main des policiers et des gendarmes. Les CRS ont quitté l’île l’année suivante, pour ne plus revenir… avant 2024.
Autant dire que ce retour ne passe pas du tout auprès des habitants de l’île, qui d’une part perçoivent bien l’enjeu colonial et les souvenirs encore vifs du dernier passage des CRS, et qui d’autre part ont pu voir les méthodes de la CRS 8 à Mayotte et dans l’Hexagone. On comprend pourquoi l’arrivée de cette compagnie, connue pour tirer à balles réelles au besoin, loin de calmer les tensions, les aggrave.
Deux enjeux, deux tensions, causent les protestations en Martinique et leur brutale répression. Des inégalités de richesse très violentes traversent l’île et sa population : près d’un Martiniquais sur trois vit sous le seuil de pauvreté, tandis que les plus riches se gavent encore plus que dans l’Hexagone. En Outre-mer, c’est la lutte des classes qui apparaît nue, exacerbée dans toute sa violence et sa brutalité.
L’enjeu de classes s’articule avec celui de la colonisation : la Martinique est sous domination française depuis 1635, et l’égalité (en droits) entre Martiniquais et Hexagonaux n’a été reconnue qu’en… 1996. Une odeur de colonialisme flotte dans l’air martiniquais, malgré les « belles heures » de la colonisation qu’a évoqué Bruno Retailleau. Néanmoins, elles n’ont été belles que pour les colons, comme elles sont aujourd’hui belles pour la bourgeoisie locale (qui comme par hasard descend souvent des mêmes colons).
Et face à ces deux tensions (de classe et coloniale), que fait l’État ? L’État bourgeois et colonial réprime durement. Il n’a pas vocation ni intérêt à mettre en œuvre une politique sociale, il ne cherche pas la paix, mais l’ordre (revoir le discours de Retailleau place Beauvau), au profit de la bourgeoisie locale et nationale. Face aux contestations toujours croissantes, l’État bourgeois se mue en État policier : l’appareil répressif se renforce et s’expérimente d’abord en Outre-mer avant de s’appliquer dans l’Hexagone. Reste à voir si matraquer les populations peut éternellement fonctionner : la montagne Pelée commence à s’agiter, mais la colère sociale a déjà commencé à réveiller un autre volcan.
Par Alexis Poyard