Bernard Arnault, restos du cœur

L’empire médiatique de Bernard Arnault

Bernard Arnault pioche la carte Paris Match, il l’ajoute à sa main. Mardi 1er octobre, le patron de LVMH a officialisé le rachat du magazine hebdomadaire à son grand ami Vincent Bolloré, qu’il ‘remercie chaleureusement’ au passage. Pour la bagatelle de 120 millions d’euros, il offre donc un nouveau média à sa collection.

Du Parisien à Radio Classique, des Échos à Paris Match, Bernard Arnault possède et investit les médias depuis plus de 30 ans. Partout, il impose sa ligne idéologique ultra-bourgeoise et ultralibérale au service de son empire. Entre pressions sur les rédactions et éviction de journalistes, l’évadé fiscal Bernard Arnault ne recule devant rien. Et lorsque qu’il n’en est pas actionnaire ou qu’il ne les a pas déjà blacklisté, il fait du chantage à la publicité aux médias qui ne collent pas à son agenda.

La concentration des médias aux mains d’une poignée de milliardaires est un danger pour la liberté et la pluralité de la presse. L’information est un sujet d’intérêt général, pilier de la citoyenneté en République. En imposant des agendas au service de leurs propres intérêts idéologiques et matériels, les milliardaires menacent la démocratie toute entière. La lutte pour l’indépendance et contre la concentration des médias est donc un combat majeur de la France insoumise.

Pour y voir plus clair et pour savoir vraiment « qui possède quoi ? », l’Insoumission inaugure une nouvelle série sur les empires médiatiques des milliardaires français. Premier épisode : Bernard Arnault et LVMH. Notre article.

Le Monopoly médiatique de Bernard Arnault

Homme le plus riche de France, parasite parmi les parasites, on ne présente plus Bernard Arnault. Figure de la « réussite à la française », il est en fait un héritier passé maître en optimisation fiscale et autres montages offshore, profiteur de crise, meilleur ami des paradis fiscaux. Cité dans de nombreuses affaires d’évasion fiscale comme celle des « Paradise Papers », épinglé par la Cour des Comptes pour les dérives de ses activités philanthropiques, Bernard Arnault investit depuis plus 30 ans dans le secteur médiatique, se plaçant en bonne position parmi les 9 milliardaires détenant 90% des médias privés français.

Pour aller plus loin : Bernard Arnault, milliardaire magnat du luxe et des médias

Avant l’acquisition de Paris Match, le centimilliardaire achète son premier média en 1993, le journal de presse économique La Tribune. La même année, il fait l’acquisition du journal d’information financière et de conseil boursier Investir. Depuis, c’est le Monopoly pour Bernard Arnault. Il fait d’abord l’acquisition de Radio Classique en 1999, puis, à la faveur de la vente de La Tribune, il rachète Les Échos en 2007. En 2013, via sa participation au groupe du même nom, il acquiert des parts du journal L’Opinion qu’il détient aujourd’hui à hauteur de près de 25%.

En 2015, prise de choix, Bernard Arnault rachète le journal quotidien Le Parisien-Aujourd’hui en France, troisième quotidien papier le plus vendu du pays. Puis, en 2021, loin d’être rassasié, LVMH s’adjuge 40% du capital du groupe Perdriel auquel appartient notamment le journal Challenges, la revue l’Histoire, et le magazine Sciences et Avenir. Non exhaustive, cette liste des médias possédés ou investis par Bernard Arnault témoigne de la boulimie du magnat du luxe pour l’achat de titres de presse.

Pourtant, le secteur n’est pas économiquement rentable et les médias de Bernard Arnault n’y font pas exception. Mais alors, pourquoi un tel investissement ? Pour Bernard Arnault comme pour les autres la réponse est la même : l’influence idéologique et le service de ses intérêts.

Le Parisien : vaisseau-mère de l’empire médiatique et de l’entreprise idéologique de Bernard Arnault

« La plupart du temps, on nous dit : “Ça, on ne va pas faire”, sans forcément nous expliquer pourquoi. En clair, la politique, c’est de ne pas traiter ce qui concerne LVMH ». Tel est le témoignage d’un journaliste du Parisien auprès de Mediapart au sujet de l’influence du propriétaire sur les choix éditoriaux du journal et de son instrumentalisation comme vitrine des autres activités de Bernard Arnault.

Ainsi, Médiapart relate la promotion offerte en Une de l’édition du 28 mai 2024 à un projet de restructuration des Champs Élysée porté par un comité présidé par le Secrétaire général et directeur immobilier de LVMH. Bien-sûr, aucune mention n’est faite de cette double casquette, poussant la Société des journalistes (SDJ) du Parisien à déplorer que leur rédaction zélée les fasse passer pour des « obligés de l’actionnaire ».

La SDJ du Parisien n’en était alors pas à sa première protestation au sujet des attaques contre l’indépendance de la presse depuis l’arrivée de Bernard Arnault. Ainsi, en 2021, une partie des journalistes se mobilise contre un édito de leur directeur des rédactions minimisant les condamnations judiciaires de Nicolas Sarkozy.

Idem en 2022 lors de la déprogrammation d’une interview de Philipe Martinez, alors secrétaire général de la CGT. En mars 2023, le Syndicat National des Journalistes relaie un communiqué de sa section Le Parisien-Aujourd’hui en France dénonçant des « Unes partisanes et biaisées, notamment sur le traitement de la réforme des retraites ». En avril, une motion de défiance « face à la dérive éditoriale constatée du Parisien » était votée par les journalistes de la rédaction à 191 voix sur 226.

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Source : Acrimed.

La SDJ du Parisien, dénonçant une ligne éditoriale qui « semble aujourd’hui prendre pour boussole les convictions de notre actionnaire », rapporte par ailleurs les propos tenus auprès de ses représentants par le PDG du groupe Les Echos-Le parisien : « C’est l’actionnaire qui valide la ligne parce que s’il paye un journal qui n’a pas la ligne qu’il souhaite, il va arrêter de payer ». Explicite. Cette ligne, justement, est claire. En parfaite cohérence avec sa défense de la réforme des retraites et la dénonciation systématique des mouvements sociaux, le Parisien fait état d’une couverture systématiquement autoritariste des quartiers populaires invisibilisant les violences policières.

Par l’analyse de près de 334 couverture du journal entre octobre 2023 et septembre 2024, l’association Acrimed documente aussi l’invisibilisation de la Palestine par les Unes du journal. Dans le même temps, le Parisien publiait ce 1er octobre un article qui sera, sans aucun doute, sévèrement jugé par l’Histoire. Le journal titrait ainsi : « En Israël, la revanche du Phénix Netanyahou ».

Au total, Le Parisien n’est ni plus ni moins qu’une caisse de résonnance du pouvoir, organe d’une presse bourgeoise et ultralibérale au service idéologique et matériel d’un hyper milliardaire par ailleurs proche d’Emmanuel Macron. Les journalistes du quotidien ne manquent d’ailleurs pas de régulièrement contester la ligne pro-exécutif du journal.

Une ligne idéologique qui ne s’arrête pas au Parisien

Mais les ingérences et partis pris idéologiques de Bernard Arnault ne limitent bien sûr pas aux colonnes du Parisien. Ainsi, en mars 2023, la SDJ du journal Les Échos (soutenue par la SDJ du Parisien) déclare une grève des signatures pour protester contre la mise à l’écart du directeur de leur rédaction.

L’homme avait eu le malheur d’autoriser la publication d’une critique positive d’un livre d’Erik Orsenna égratignant l’image de Vincent Bolloré avec qui Bernard Arnault a l’habitude de négocier. Dans un ouvrage de 2012, le journaliste d’investigation Laurent Mauduit rapporte quant à lui les témoignage d’anciens directeurs de la rédaction du journal La Tribune faisant état de coups de téléphone directs de Bernard Arnault « pour que son journal soit plus docile dans le traitement de l’actualité qui concerne son propre groupe ».

Plus récemment, en juin 2024, le journal Challenges, détenu à 40% par Bernard Arnault, a vu le patron de LVMH ordonner un changement de Une sur laquelle il était censé figurer. En ce sens, un journaliste confie au journal d’investigation Streetpress qu’ « avec cette histoire de cover abandonnée, on s’assoit un peu sur notre indépendance », avant d’ajouter : « On demande que LVMH, en tant qu’actionnaire minoritaire, signe la charte d’indépendance du journal. Pour l’instant ça n’est pas le cas ».

Le chantage à la publicité : l’autre instrument d’influence de Bernard Arnault

Nous l’avons dit, le secteur médiatique est devenu un secteur très difficilement rentable d’un point de vue économique. C’est là l’une des raisons de la prise de pouvoir à la tête d’empires médiatiques de milliardaires initialement extérieurs au monde la presse, gavés d’un argent provenant d’autres secteurs industriels. Aussi, dans ce contexte de faible rentabilité économique, l’une des ressources principales des médias, y compris de ceux n’étant pas directement détenus ou contrôlés par des milliardaires avides d’influence idéologique, réside dans la publicité.

Or, rares sont les entreprises à pouvoir supporter la concurrence pour occuper les encarts publicitaires de titres régionaux ou nationaux de grande diffusion. Ainsi, l’influence des milliardaires sur le champ médiatique est non seulement directe par la concentration des titres, mais indirecte par le financement de ceux qu’ils ne détiennent pas.

Et à ce petit jeu-là, Bernard Arnault, l’un des hommes les plus riches de la planète, est un acteur qui compte, et il le sait. Le groupe LVMH constitue en effet l’un des principaux financeurs des médias en étant souvent l’un de leurs premiers annonceurs, représentant près de 30% des recettes publicitaires nationales. Dans ce cadre, en réponse à une enquête et une Une égratignant son image, Bernard Arnault n’a pas hésité à retirer ses publicités du Monde et de Libération en 2017 et 2012, causant des pertes de plusieurs centaines de milliers d’euros aux deux quotidiens. L’Obs et France TV ont également fait l’objet de chantage par le passé.

Mais au-delà du retrait de ses publicités et de ses armées de communicants, l’influence médiatique de LVMH par la publicité (comme celle de tous les autres milliardaires) est à trouver dans l’autocensure. À défaut de tresser des louanges à Bernard Arnault à longueur de journée (ce dont ne se privent par ailleurs pas certains sur les plateaux de télévision), nombreux sont les journalistes et directeurs de rédaction à y réfléchir à deux fois avant d’écrire un article pouvant nuire à l’image d’un homme nécessaire à la survie de leur média.

Ainsi, comme le rappelle Arrêt sur Images en 2023, la quasi-totalité des médias français ont l’habitude de s’abstenir de relayer des investigations menées à propos de Bernard Arnault, alors même qu’ils sont propices à le faire lorsque de même types d’enquête concernent d’autres personnes.

Les dangers de l’empire médiatique de Bernard Arnault

Il ne fait peut-être pas autant parler que celui de Vincent Bolloré, mais l’empire médiatique de Bernard Arnault est au moins aussi dangereux pour la démocratie. Il l’est d’abord « en soi » parce qu’il concentre un grand nombre de médias et nuit ce faisant à la pluralité de la presse – à toute fins utiles, l’on notera par ailleurs que Bernard Arnault est également le beau-père de Xavier Niel, l’un des autres milliardaires français qui détiennent 90% des médias privés. Il l’est ensuite du fait de son agenda bourgeois-ultralibéral allant de pair avec les ingérences directes ou indirectes de son propriétaire.

Schéma simplifié Arnault

Le cas de Bernard Arnault rappelle enfin l’importance de considérer la publicité comme instrument primordial de l’influence des milliardaires sur l’information et l’agenda médiatique. Par ailleurs dirigeants de grands groupes industriels, les milliardaires jouent souvent la carte tacite du chantage à la publicité lorsqu’ils ne « blacklistent » pas directement les titres de presse qui ne leurs conviennent pas, comme vient de le faire Bernard Arnault au sujet de plusieurs médias indépendants.

Pour aller plus loin : Concentration des médias dans les mains des milliardaires : la proposition de loi des insoumis

Si les journalistes de Paris Match se sont dit soulagés du départ de Vincent Bolloré, il y a peu à espérer pour un changement de cap dans l’idéologie fondamentale et la méthode qui sera insufflée au journal par Bernard Arnault. Il est lui aussi un milliardaire dont le parcours dans les médias parle pour lui-même. D’ailleurs, la première Une de Paris Match sauce Bernard Arnault est consacrée à nul autre que Philippe de Villiers, bouffon ultra-conservateur cramponné aux plateaux de Bolloré, soutien zélé d’Éric Zemmour. Aujourd’hui plus que jamais, une loi pour la pluralité et la déconcentration des médias est nécessaire. C’est la démocratie qui est en jeu.

Par Eliot