Quinze ans après la grande grève de 2009 contre la vie chère dans les Antilles, les prix alimentaires restent 40 % plus élevés en Martinique que dans le reste de la France. Du papier toilette à 12 euros, le paquet de 500 g de fromage râpé à 6,19 euros, le paquet de mâche à 4,99 euros, voici un panel des prix mirobolants qui s’affichent tous les jours sur tous les tickets de caisse des Martiniquais.
Depuis 2009, rien n’a changé. Ce 1ᵉʳ septembre 2024, après des mois de hausse de prix records, des manifestations monstres se sont déroulés partout en Martinique. Elles ont créé un puissant rapport de force. Les écarts de prix vont-ils enfin être abolis ? Le blocage des prix sera-t-il décrété ? C’est l’espoir d’Ethan, interrogé par l’Insoumission : « J’ai voté pour le Nouveau Front Populaire car ils veulent bloquer les prix. Pourquoi Macron n’accepte pas d’avoir perdu ? Il faut qu’il dégage pour qu’on ait enfin des prix bloqués ici. »
Les négociations en cours sont scrutées avec vigilance par les Martiniquais mobilisés. En parallèle, le Gouvernement a déployé ses brigades de la mort, la CRS8, une « unité va-t-en-guerre » dont les méthodes sont dénoncées par les préfets eux-mêmes et qui est déjà sous le coup d’une enquête judiciaire pour violences. Notre article.
Crise du pouvoir d’achat en Martinique : un problème de longue date
Depuis bientôt un mois, le mécontentement des Martiniquais gronde face à la hausse exorbitante des prix des produits de la grande distribution, 40 % plus élevé pour l’alimentaire par rapport aux prix en France métropolitaine selon l’Insee. Pour exemple, un pack de 6 bouteilles d’eau minérale Courmayer coûte 2,47 euros en métropole contre 7,45 euros en Martinique, soit environ 201 % plus cher.
Encore mieux, le pain de mie Épi d’Or vendu à 1,46 euro dans l’Hexagone, coûte 684 % plus cher sur l’île, soit 11,45 euros, plus de 10 euros pour un paquet de pain de mie. Depuis des années, les prix augmentent de plus en plus dans les DROM-COM. Les dirigeants justifient cette injustice par des taxes d’importations, mais refuse de prendre à bras-le-corps ce sujet et de satisfaire aux revendications des syndicats.
Des descendants de colons soutenus par la macronie
Les Martiniquais pointent du doigt ceux qu’ils appellent les « Békés », ce sont eux qui détiennent la majorité des enseignes de grande distribution sur l’île et bien sûr, ce sont les héritiers d’anciennes familles de colons. Ces colons des temps modernes tiennent l’économie de l’île dans leur main et agissent librement, en toute impunité, avec le soutien depuis des années d’Emmanuel Macron, amis des grands patrons, et de ses gouvernements successifs.
Mais les Martiniquais ne peuvent plus, et refusent d’endurer ce mépris social et ce coût insupportable de la vie. Ils ne supportent plus, à juste titre, cette gestion coloniale de leur vie en 2024, puisqu’une minorité de riches héritiers blancs détiennent les enseignes alimentaires incontournables de l’île et contrôlent ainsi le pouvoir d’achat de tous les insulaires.
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Un mouvement social qui fait trembler les autorités
L’alimentation, relevant pourtant des biens de première nécessité, est devenue un produit de luxe. Les Martiniquais, ne pouvant décemment plus se nourrir, ont décidé de manifester afin d’exprimer leur colère et surtout de faire entendre leur voix, comme un appel à l’aide, ou plutôt à la justice sociale et à l’égalité avec la métropole.
En réponse à ce mouvement social, les autorités locales font le choix de la répression. Le préfet de Martinique a décidé d’interdire toute manifestation, de mettre un couvre-feu depuis le 18 septembre et d’envoyer les CRS dans certaine zone de l’île. Pour rappel, la dernière fois que des CRS ont été envoyés en Martinique, c’était lors des grandes émeutes populaires de 1959 et trois jeunes Martiniquais avaient été tués.
Face à l’appel à l’aide des Ultramarins, les autorités locales préfèrent essayer d’étouffer la crise sociale, engendrée par la Macronie et sa complaisance avec les grands patrons. Certains ont laissé exprimer leur colère plus violemment afin de se faire enfin entendre et de faire bouger les hauts décisionnaires confortablement installés à Paris. Mais la grande majorité a manifesté calmement et pacifiquement, parfois même festivement afin de défendre leur pouvoir d’achat et leur identité créole.
L’un des leaders, Rodrigue Petitot, président du « rassemblement pour la protection des peuples et des ressources afro-caribéens (RPPRAC), surnommé « le R », communique en direct sur Tiktok. Cette nouvelle forme de communication assez surprenante et inédite permet de toucher un maximum de personnes en temps réel. Il a appelé, entre autres, les chauffeurs de taxi et les routiers à bloquer les routes et prendre part activement au soulèvement, en prônant la non-violence.
De nombreux membres de La France Insoumise et du Nouveau Front Populaire (LFI-NFP) ont pris la parole pour soutenir les Martiniquais, dont la députée Clémence Guetté, qui a réagi sur Twitter, afin de réclamer que l’État respecte et entende enfin les revendications des Ultra-marins : « Un blocage des prix et un alignement de ces derniers sur ceux de l’Hexagone. »
Une colère qui gronde toujours
Suite au couvre-feu, à la présence multiple des forces de l’ordre et à l’interdiction de manifester, les mouvements populaires ont diminué. La RPPRAC a appelé à une désobéissance citoyenne pour que les habitants continuent de défiler dans les rues et de s’exprimer, de manière pacifique. Mais le problème de l’ultra-inflation est toujours d’actualité et la colère des habitants toujours présente. Le préfet de l’île assure qu’il va continuer le travail de réflexion afin de trouver une solution et d’apaiser les tensions.
Suite au mouvement social, la collectivité territoriale de Martinique (CTM) a annoncé que la taxe sur les biens importés allait être supprimée pour des milliers de produits de première nécessité. Les autorités ne font pas de cadeaux aux Ultramarins, puisque cette suppression sur les produits de première nécessité sera compensée par une taxe sur les produits dits « premium ». Loin d’être une victoire, c’est un premier pas pour les Martiniquais qui attendent plus qu’une suppression de taxe et aspirent à une vraie justice sociale, en toute équité avec la France métropolitaine.
Par Camille Oulès