Cable Street

La bataille de Cable Street : Une histoire méconnue qui résonne avec les luttes antifascistes d’aujourd’hui

L’Insoumission publie un nouvel article de sa rubrique « Nos luttes ont des histoires ». Son but est de porter attention aux processus historiques, analyser et connaitre les faits pour comprendre l’influence des évènements sur notre présent et notre futur.

Pour ce nouvel article, l’Insoumission vous parle de la bataille de Cable Street. En 2024, alors que des manifestations antifascistes se sont multipliées dans plusieurs villes du Royaume-Uni pour contrer une résurgence inquiétante de l’extrême droite et les attaques contre les citoyens de confession musulmanes, un épisode du passé peut permettre d’éclairer les évènements récents.

L’histoire de la bataille de Cable Street, un affrontement qui a marqué l’histoire sociale britannique et demeure une source d’inspiration pour celles et ceux qui, encore aujourd’hui, luttent contre le poison de la division raciste. Notre article.

Londres en 1936 : un terreau favorable aux tensions sociales

Pour comprendre ce qui s’est passé ce jour-là, il faut revenir dans l’East End de Londres, en 1936. Cette époque est marquée par une profonde crise sociale et économique. L’East End, quartier ouvrier dense et multiculturel, est en proie à la pauvreté et au chômage de masse. Les logements surpeuplés sont souvent insalubres et les inégalités sociales, exacerbées par la Grande Dépression, nourrissent une colère sourde parmi les classes populaires. Dans ce climat de désillusion, l’extrême-droite trouve un terreau fertile pour propager ses discours racistes et nationalistes.

Le Parti de l’Union des Fascistes (« British Union of Fascists »), dirigé par Oswald Mosley, s’impose alors comme l’un des principaux mouvements fascistes britanniques, comptant près de 50 000 adhérents. Clairement inspirés par ses équivalents allemands et italiens, provocateurs, les « chemises noires » (« Blackshirts », l’équivalent d’un service d’ordre, ou plutôt d’une milice paramilitaire violente) de Mosley organisent des rassemblements et des marches dans les quartiers où vivent de nombreuses communautés juives et ouvrières, cherchant à attiser les tensions ethniques et sociales.

4 octobre 1936 : L’affrontement inattendu

Le 4 octobre, Mosley et ses partisans avaient prévu de traverser l’East End en force, escortés par leurs « blackshirts », vêtus de leur uniforme noir. Leur itinéraire passait délibérément par une zone à forte concentration de personnes juives, une provocation claire, destinée à intimider. Mais ce que Mosley n’avait pas prévu, c’était l’ampleur de la résistance qui allait se lever contre lui.

Ce jour-là, une alliance hétéroclite du peuple se forma pour lui faire barrage. Juifs, communistes, syndicalistes, dockers irlandais et membres du parti travailliste (Labour) se rencontrent et décident d’unir leurs forces pour bloquer la marche.

Le gouvernement britannique, quant à lui, sourd aux appels de la population inquiète, refuse d’interdire cette marche. Invoquant sans doute la liberté d’expression… mais cela n’a pas découragé les habitants du quartier de Cable Street : c’est ainsi que plus de 250 000 personnes descendirent dans la rue pour s’opposer physiquement aux fascistes et aux policiers venus les défendre. Une démonstration impressionnante d’auto-organisation populaire.

Une lutte acharnée dans les rues

Les rues de l’East End se transformèrent en un véritable champ de bataille. Barricades improvisées, mobiliers et poubelles retournées, tout ce qui pouvait servir à bloquer le passage fut utilisé par les habitant·es pour empêcher les fascistes de progresser. La police, initialement mobilisée pour protéger la marche fasciste, se trouva rapidement débordée face à la résistance farouche des manifestant·es, certains habitants allant parfois jusqu’à vider le contenu de leurs toilettes sur les forces de l’ordre depuis leurs fenêtres !

Les affrontements furent violents, mais la détermination de ceux qui défendaient leur quartier et leurs idéaux furent plus forts. Au terme de cette journée, Mosley et ses partisans furent contraints de battre en retraite, leur marche avortée, dans un échec humiliant.
La lutte contre les Blackshirts de Mosley ne se limitait pas à un contexte purement britannique.

Quelques mois plus tôt, la guerre civile avait éclaté en Espagne, opposant les Républicains aux Nationalistes soutenus par Franco, Hitler et Mussolini. À Cable Street, le slogan des Républicains espagnols, « No Pasarán » (Ils ne passeront pas), fut adopté par les manifestants, en écho à la bataille contre le fascisme qui se déroulait simultanément sur le continent européen. Comme un écho concret de la lutte pour l’internationalisme.

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La bataille de Cable Street, une leçon pour aujourd’hui

La Bataille de Cable Street n’a pas seulement marqué l’histoire politique britannique. Elle a aussi poussé le gouvernement à adopter le Public Order Act de 1936, interdisant le port d’uniformes politiques en public. Mais au-delà de cette loi, l’événement a laissé une empreinte profonde dans la mémoire collective : ce jour-là, les fascistes ne sont littéralement pas « passés », et cela a joué un rôle clé dans l’érosion du mouvement fasciste en Grande-Bretagne qui n’a pas par la suite connu de mouvement fasciste organisé puissant pendant des décennies. C’est le résultat direct de l’auto-organisation populaire qui a permis de terrasser physiquement le fascisme politique dans ce pays.

Aujourd’hui, en 2024, alors que les mouvements antifascistes continuent de se dresser face aux attaques contre les minorités et à la montée des discours de haine, l’esprit de Cable Street reste vivant. Cet épisode est resté une référence pour les militants que notre député Raphaël Arnault a pu rencontrer lors de son voyage effectué pour les soutenir. L’histoire de cette journée rappelle que la solidarité et l’unité peuvent triompher de l’oppression, et offre une source d’inspiration précieuse pour les luttes contemporaines.

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Une fresque pour ne pas oublier

À Londres, une fresque monumentale, inaugurée en 1983, peut aujourd’hui être vue à Cable Street même, pour commémorer cet affrontement historique. Inspirée par les grands muralistes mexicains comme Diego Rivera, cette œuvre rappelle avec force ce que le peuple uni peut accomplir face à ceux qui cherchent à le diviser.

Restaurée en 2011, elle demeure un témoignage vibrant de cette résistance populaire et de la capacité du peuple à s’unir pour défendre les intérêts de la classe ouvrière et les idéaux d’égalité et de solidarité.

Par Clément Turbelin