« C’est l’histoire d’une trêve que j’avais demandée… » chantaient les Poppys en 1971. Ces deux dernières semaines – et à n’en pas douter les suivantes – l’espace médiatique, les festivités et nombre de discussions quotidiennes ont été saturées par un sujet : les Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024. Une pause, une trêve au milieu des bombes, de la crise politique et de l’inflation.
Comment aurait-il pu en être autrement ? Cent ans après les derniers jeux d’été en France, avec une communication réglée comme du papier à musique et dans une période où bon nombre de Français ont besoin de se changer les idées, il est bien normal que des millions de personnes cherchent dans ce grand événement un exutoire et l’occasion de passer des moments estivaux agréables.
Car le moins que l’on puisse dire, c’est que l’engouement pour ces jeux a été réel et a bien largement dépassé les couches favorisées et parisiennes de la population : fan zones remplies, audiences télé au sommet, stades à l’ambiance survoltée. Mais ce tableau idyllique ne saurait masquer une série de fiascos dont les organisateurs seront comptables quand la fête sera finie.
Un fiasco géopolitique
D’un point de vue géopolitique, le C.I.O. se fait le chantre de l’amitié entre les peuples et de l’universalité par le sport. Tant de principes qui seraient louables si ledit C.I.O. n’avait interdit aux athlètes russes de participer en tant que tels, pendant que les athlètes israéliens le peuvent, alors même que plusieurs d’entre eux servent dans l’armée génocidaire de Tsahal. Des voix se sont élevées contre ce « deux poids deux mesures », à l’instar des députés L.F.I. Thomas PORTES et Aymeric CARON, mais elles furent peu nombreuses. A l’époque de l’apartheid en Afrique du Sud, les athlètes sud-africains avaient concouru sous bannière neutre, marquant une condamnation du colonialisme. Il n’en reste rien aujourd’hui.
Poussant la provocation à son paroxysme, Thomas BACH, président du C.I.O., a déclaré lors de la cérémonie d’ouverture qu’ « au sein du Mouvement Olympique, nous sommes tous égaux. Il n’y a pas de Sud global ou de Nord global ».
Quel affront, alors que les Pays-Bas, la Nouvelle-Zélande, et l’Australie comptent respectivement 294 athlètes pour 18 millions d’habitants, 195 athlètes pour 5 millions d’habitants et 460 athlètes pour 26 millions d’habitants, tandis que l’Inde, le Pakistan et l’Indonésie en comptent 117 pour 1,4 milliard d’habitants, 7 pour 220 millions d’habitants et 29 pour 270 millions d’habitants.
Comment ne pas voir l’énorme déséquilibre entre Nord et Sud, que l’on retrouve à plus forte raison sur le tableau des médailles ? Si les Jeux Olympiques ne représentent pas la réalité des équilibres de population, ils traduisent fidèlement les rapports entre les puissances impérialistes et le reste du monde.
Un fiasco social
Dans la droite ligne de la politique des derniers gouvernements successifs, la macronie a oeuvré dans la brutalité absolue quant à la préparation et au déroulement de ces Jeux. Quoiqu’il en coûte, pourrait-on dire, tout devait être parfait. Et le coût, le voici.
Ironie du sort, le ticket de métro pendant les Jeux, passé à 4€, coûte plus cher que la fabrication des médailles de bronze délivrées aux athlètes (3,58€), de quoi marchander s’il y a trop de queue aux automates ! Le titre reviendra-t-il à son prix normal ? C’est l’occasion ou jamais : pourront-ils s’empêcher de tenter le braquage ?
Improductifs pendant l’été, il n’était pas question de laisser leur logement CROUS aux étudiants franciliens. Surtout si on peut le louer au prix fort ; il n’y a pas de petit profit. A ce propos, la ministre des Sports Amélie OUDEA-CASTERA disait « Les étudiants seront fiers de se dire qu’ils peuvent prêter leur logement pendant deux petits mois d’été ». Les délogés récupéreront-ils leur chambre à la rentrée ?
En somme, un véritable branle-bas de combat pour un événement reposant sur la mobilisation de 40.000 volontaires, comprenez bénévoles.
Un fiasco politique
Comme si je vous disais que quelques semaines avant, face à une défaite électorale historique aux élections européennes, dont il avait fait un enjeu national, le président de la République Emmanuel Macron avait décidé de dissoudre l’Assemblée Nationale. Que face à cette élection organisée dans des conditions déplorables, en un temps à peine suffisant pour que les différentes forces politiques du pays se réunissent, s’organisent, fassent campagne, le Nouveau Front Populaire (N.F.P.) l’a emporté, à rebours de toutes les prédictions sondagières.
Comme si je vous disais que ce même N.F.P. s’est accordé sur un nom de Première Ministre : Lucie CASTETS. Et qu’il est d’usage dans tous les régimes parlementaires de nommer à ce poste la personne proposée par la coalition arrivée en tête.
Comme si je vous disais que les ministres démissionnaires (et le premier d’entre eux, Gabriel Attal) sont toujours ministres, prennent toujours des décrets, perçoivent toujours des indemnités.
Comme si je vous disais qu’ils ont, par leurs 17 voix, réélu Yaël BRAUN-PIVET à la présidence de l’Assemblée Nationale, au mépris de l’article 23 de la Constitution.
Comme si je vous disais qu’à Versailles, à la fin juillet, Emmanuel MACRON a rencontré le grand patronat et lui a promis la poursuite des contre-réformes assénées depuis 7 ans.
Comme si je vous disais que la presse relaie tous les mots d’ordre gouvernementaux et prépare une rentrée politique où les perdants s’annoncent gagnants.
Comme si je vous disais que, comme pour la victoire du NON au référendum de 2005 sur le T.C.E., la bourgeoisie contourne le vote quand elle n’est pas d’accord avec le résultat.
Comme si je vous disais que nous basculons dans un régime d’exception, comme le signalent plusieurs professeurs de droit public dans le journal Libération.
De quoi la trêve politique est-elle le nom ?
Puisqu’il n’y a pas de trêve sociale, comme l’ont montré les femmes de ménage de l’hôtel Radisson Blu à Marseille, qui ont obtenu satisfaction de leurs revendications après deux mois de grève : primes, treizième mois, augmentations salariales.
Puisqu’il n’y a pas de trêve dans la répression, lesdites femmes de chambre étant convoquées par la police dans un cas classique de criminalisation de leur action syndicale.
Puisqu’il n’y a pas de trêve dans les conflits mondiaux, en Palestine comme ailleurs :
Alors de quoi la trêve olympique est-elle le nom ? Elle est le nom de cette partie de la bourgeoisie pour qui tout est bon à prendre pour avancer son agenda. Et cet agenda, on le connaît bien : destruction des services publics, gel des salaires et des pensions, et désormais, dans de plus en plus de pays, régime d’exception et tentation fasciste.
Les tenants de ce régime d’exception permanent, qui transforme le provisoire en définitif, vont être nombreux dans les prochaines semaines à faire le voeu pieux que cet après-J.O. fasse disparaître de l’esprit des gens la dure réalité de leurs factures, leurs conditions de travail, le silence dans lequel on les emmure.
Ainsi, « on se voyait comme un peuple d’irréductibles râleurs, on s’est réveillés dans un pays de supporters déchaînés qui ne veulent plus s’arrêter de chanter » s’emballe Tony Estanguet, responsable du comité d’organisation des J.O.P..
Plus encore, « les femmes et les hommes politiques devraient s’inspirer des valeurs de l’olympisme pour les mois qui viennent et cesser d’opposer les Français les uns aux autres » prône Mathieu LEEFVRE, député Renaissance. Le décor est posé.
Oui, « c’est l’histoire d’une trêve que j’avais demandée… » chantaient les Poppys en 1971 ; avant de marteler : « Non, non, rien n’a changé. Tout, tout a continué. »
Clément Leblond