Festival d'Avignon Larzac

L’insoumission au festival d’Avignon – Larzac, par Philippe Durand

« Larzac » au Festival d’Avignon. L’Insoumission.fr publie un nouvel article de sa rubrique « Nos murs ont des oreilles – Arts et mouvement des idées ». Son but est de porter attention à la place de l’imaginaire et de son influence en politique, avec l’idée que se relier aux artistes et aux intellectuels est un atout pour penser le présent et regarder le futur. En ce mois de juillet 2024, L’insoumission est en direct du festival d’Avignon.

« Larzac » parle d’une expérience concrète et humaine. « Larzac », c’est l’histoire du plateau après la victoire. Dès 1971, l’État achète des terres agricoles pour étendre le camp militaire créé en 1902. Après dix ans de luttes locales et nationales, l’État renonce à son projet et concède l’autogestion des terres à la Société des Terres du Larzac.

La pièce raconte une utopie poétique et réalisée. Au travers des voix de celles et ceux qui y vivent. Philippe Durand invente une façon de croiser théâtre et politique. Et il le fait politiquement. Larzac se joue au Festival d’Avignon à 18 heures 45, au Théâtre des Halles, jusqu’au 21 juillet. Notre article.

Parole de Larzacois : « On nous vole nos mots. Tu ouvres la Libération ou le Monde et t’as d’la publicité de Carrefour qui reprend le langage des paysans (…) C’est-à-dire que tu t’fais même voler ça ! »

Philippe Durand refuse l’accolement de qualificatifs à son théâtre. On ne dira donc pas qu’il est documentaire. Et on verra pourquoi. Philippe Durand a de premières raisons. Il a joué « Pylade » de Pasolini mis en scène par Arnaud Meunier. « Iphigénie Hôtel » de et par Michel Vinaver. Entre autres…. Il considère son travail de création d’un rôle équivalent pour un noble antique, un bourgeois du XIXe, un ouvrier des Fralibs ou un paysan du Larzac. Pas de place pour le mépris de classe dans la construction du personnage.

Pas de mépris pour la langue non plus. Le texte que Philippe Durand travaille n’est ni Shakespeare. Ni Hugo. Ni Malone. Mais la langue brute des habitants du Larzac. Recueillie lors d’interviews Avec sa propre poétique. Sa propre force. Faite d’insistances. D’expressions locales. De répétitions. De figures de style ; paraboles, métaphores, anaphores, hyperboles… De mots bouffés ou étendus. D’accents pointus… Populaires ou littéraires, les langues ont leur grammaire. Leur noblesse. La langue est une âme.

« Non, non ! La gérance ça me pompe, mais c’est absolument génial. (…) J’adore comment on n’est pas d’accord. Et comment on a envie de l’être. »

Parole de Larzacois


Philippe Durand se présente face public, niché dans l’architecture d’une petite chapelle. Assis à une table patinée par le temps. Les comptes de l’exploitation agricole ? Les devoirs de générations d’enfants ? Les coups à boire ?.. Un cahier feuilleté. Il organise le défilé d’une dizaine d’acteurs de la Société Civile des Terres du Larzac. Le paysan qui en rêvait. L’homme de théâtre qui rejoint le plateau. L’animatrice de la SCTL (Société Civile Terres du Larzac, ndlr). L’exploitant non-militant. L’agriculteur qui anticipe sa retraite…. Hauts en couleurs. Juste à la voix. À la main. Quelques mouvements légers du corps et du visage. Pas de costumes. Besoin de presque rien pour que chacun apparaisse dans sa singularité. Et que le nombre fasse peuple.

« Larzac », c’est l’histoire du plateau après la victoire. Dès 1971, l’État achète des terres agricoles pour étendre le camp militaire créé en 1902. Après dix ans de luttes locales et nationales, l’état renonce à son projet et concède l’autogestion des terres à la Société des Terres du Larzac. Que se passe-t-il après la victoire ? On connaît l’Empire et la Restauration après la Révolution de 1789. On connaît l’inflation à deux chiffres pour rattraper l’augmentation du SMIG de 37 % arrachée par les luttes ouvrières de Mai 68. Doit-on toujours payer ses victoires ?

Les enjeux politiques ne sont pas par nature secs. Le théâtre les a longtemps mis en son cœur. Le sens de la démocratie chez les tragiques grecs. Le rapport au pouvoir chez Shakespeare. Le bouleversement de l’ordre établi avec Beaumarchais et son « Mariage de Figaro ». Les travers de la construction du socialisme chez Nikolaï Erdman. Sans se confondre avec les contenus idéologiques, par le travail de la forme, avec la force de l’imaginaire des artistes, le théâtre peut être un lieu d’exploration de l’histoire. Du présent. Un lieu d’où on prend la parole, pense, ressent, construit, se projette. C’est dans cette lignée que s’inscrit le travail de Philippe Durand.

« Larzac » parle d’utopie. D’une société débarrassée de la propriété foncière. Remplacée par l’usage. Certains abordent cet enjeu par la farce comme Dario Fo dans « Faut pas payer » ? D’autres par l’anticipation littéraire utopique comme Etienne Cabet avec « Voyage en Icarie ». C’est aussi une question théorique qui jalonne l’histoire philosophique et politique.

Pour Marx « L’économie politique cherche, en principe, à entretenir une confusion des plus commodes entre deux genres de propriété privée bien distincts, la propriété privée fondée sur le travail personnel, et la propriété privée fondée sur le travail d’autrui, oubliant, à dessein, que celle-ci non seulement forme l’antithèse de celle-là, mais qu’elle ne croît que sur sa tombe (…) la propriété privée est le produit, le résultat, la conséquence nécessaire du travail aliéné ».

Plus loin dans Le Capital, il définit la valeur d’usage : « Le terme valeur d’usage désigne un corps, ni un besoin, ni une fonction. L’utilité d’une chose fait de cette chose une valeur d’usage. Cette utilité n’a rien de vague ni d’indécis. Déterminée par les propriétés du corps, elle n’existe pas sans lui. ».

Philippe Durand a une approche de cette question concrète. Au travers de la pratique. De l’expérience. Au prisme de la vie d’habitants des 7 808 hectares. 11 communes. 58 fermes. 24 maisons non-agricoles. Débarrassés de la spéculation foncière et de la propriété. De 1985 jusqu’à la fin du dernier bail emphytéotique signé avec l’État jusqu’en 2083. Une aventure pérenne d’autogestion et d’agriculture paysanne. Le franchissement collectif et individuel des difficultés.

Le succès contre les faux truismes de toutes sortes comme « On ne convainc pas des paysans à s’entendre quand il s’agit de terres ». La formation et l’émancipation par l’expérience et la relation à l’autre dans un collectif. Le rapport avec les voisins hors SCTL. Le passage non-obligatoire au militantisme…. Une pleine réussite dans un grand silence médiatique. Un des acteurs parle : « Rien ne sera plus comme avant. Les habitudes, les savoirs nés de l’expérience de la lutte sont à présent solidement ancrés sur le plateau. Se réunir, discuter, réfléchir ensemble, et, surtout, prendre directement les choses en mains, sont devenus des réflexes naturels. »

« Non, non ! La gérance ça me pompe mais c’est absolument génial. (…) J’adore comment on n’est pas d’accord. Et comment on a envie de l’être. »

Parole de Larzacois

Le récit formé par Philippe Durand n’est pas simplement une histoire à part. C’est une évocation des possibles à saisir pour transformer le monde. Dès le local. Pour le propager et l’étendre. Sans généralisation uniforme. Pour saisir toutes les particularités qui rendent une situation, un paysage, un endroit… irréductibles à un autre. C’est le contenu des derniers témoignages de « Larzac ».

Des Larzac – c’est-à-dire des expériences locales porteuses d’alternatives au libéralisme – il en existe beaucoup. Le collectif Changer de cap en recense dans tous les domaines. Elles sont le pilier, avec le mouvement social et citoyen, avec le vote et la loi, de la transformation de la société. Les centres en montagne contre la tuberculose, les colonies de vacances, ont donné le goût de l’ailleurs. Et les congés payés ont été conquis. La santé gratuite, la Sécu ont pu être pensées et construites après les expériences des dispensaires. Ceux des institutions religieuses comme ceux des mairies rouges.

« Agis en ton lieu. Pense avec le monde », disait Edouard Glissant. « Larzac » n’est donc pas du théâtre documentaire, mais un creuset de l’imaginaire pour penser l’avenir. En tournée en 2024 et 2025 dans toute la France

Par Laurent Klajnbaum