Coloniale. L’Insoumission.fr publie un nouvel article de sa rubrique « Nos murs ont des oreilles – Arts et mouvement des idées ». Son but est de porter attention à la place de l’imaginaire et de son influence en politique, avec l’idée que se relier aux artistes et aux intellectuels est un atout pour penser le présent et regarder le futur.
Présent au Festival d’Avignon, l’Insoumission publie son troisième article de cette série et vous parle de « France Empire ». Avec cette pièce, Nicolas Lambert met littéralement et scèniquement Marianne sur le divan pour examiner comment intime et collectif se lient dans le déni de l’histoire impériale et coloniale de la France. L’empire colonial occulté. Ses crimes. Tout au long du spectacle, l’auteur malaxe les mots et fait des connexions avec notre actualité : Mayotte, la Kanaky, la Palestine. A voir absolument – Théâtre Le 11 – du 2 au 21 JUILLET à 10h – Relâches les lundis 8 et 15. Notre article.
Ernest Renan – L’avenir de la science – 1848 – «La mort d’un Français est un événement dans le monde moral. Celle d’un Cosaque guère qu’un fait physiologique: une machine fonctionnait qui ne fonctionne plus. Quant à la mort d’un sauvage, pas plus considérable que le ressort d’une montre qui se casse».
Le théâtre documentaire est un continent caché du théâtre. Son grand ancêtre, Erwin Piscator met en scène à Berlin, à son retour d’exil, «L’instruction». Pièce écrite par Peter Weiss à partir de ses notes du procès des responsables du camps d’Auschwitz. Plus proche de nous : «Rwanda 94» du Groupov. A propos du génocide africain et de la responsabilité européenne. «Une tentative de réparation symbolique envers les morts à l’usage des vivants».
Et encore «Paris nous appartient» d’Olivier Coulon-Jablonka . Un essai de description des permanences et des mutations de la maîtrise de la bourgeoisie sur Paris. D’Haussmann à nos jours. A partir de «La vie parisienne» d’Offenbach et de documents sur la construction du Grand-Paris. Ou aussi «Antigone en Amazonie» de Milos Rau. Allégorie de la lutte et de la résistance avec l’activiste brésilienne Kay Sara dans le rôle titre et un chœur antique composé de survivants du pire massacre de la police militaire contre le Mouvement des Sans Terre en 1996. En «duplex» du Brésil.
Le théâtre documentaire est divers. Nicolas Lambert en est un représentant. Avec sa trilogie de «L’A-Démocratie », on a fait le tour des enjeux du pétrole, du nucléaire et de l’armement. De la collusion des intérêts économiques et de nos représentants politiques. Dans le tissage des discours, de verbatim des procès, des conférences de presse… on croisait Mitterrand, Sirven, Le Floch-Prigent, Roland Dumas, Nicolas Sarkozy… Reconnaissables aux manières jouées par l’acteur et à leur imitation vocale. Le montage des documents était au couteau. Le conte était captivant. Les révélations nombreuses. L’accusation implacable.
Pierre Larousse – Dictionnaire 1872 – «C’est en vain que quelques philanthropes ont essayé de prouver que l’espèce nègre est aussi intelligente que l’espèce blanche».
«France-Empire» est le début d’une nouvelle trilogie. «Le théâtre des opérations». La France va-t-en guerre. Contrairement à la précédente, le montage des textes, discours et documents s’immiscent et découlent de l’intime du personnage/comédien. De l’enfant qu’il a été au père d’aujourd’hui. Histoire de montrer comment le pouvoir fabrique un citoyen conforme. Et à trous de mémoire. Maintenant comme hier. Et comment s’en libérer. Nicolas Lambert embarque le spectateur. Et, dans ce chemin, nous accorde le temps de rire, de penser, de nous émouvoir, de nous interroger, de comprendre… On se souvient inévitablement. Anecdotes, discussions, lectures et faits, la mémoire remonte.
Avec «France Empire», Nicolas Lambert met littéralement et scéniquement Marianne sur le divan. Examiner comment intime et collectif se lient dans le déni de l’histoire impériale et coloniale de la France. Aller fouiller l’ombre et l’inconscient collectif. Dénicher le secret de famille dans ses dimensions individuelles et politiques. Il montre comment colonisation et racisme ont parties liées.
A la manière dont Franz Fanon en parle dans «Peaux noires, masques blancs» . «La France est un pays raciste, car le mythe du nègre-mauvais fait partie de l’inconscient de la collectivité (…) Une fois pour toutes, nous posons ce principe : une société est raciste ou ne l’est pas. Tant qu’on n’aura pas saisi cette évidence, on laissera de côté un grand nombre de problèmes. Dire, par exemple, que le nord de la France est plus raciste que le Sud, que le racisme est l’œuvre des subalternes, donc n’engage nullement l’élite, que la France est le pays le moins raciste du monde, est le fait d’hommes incapables de réfléchir correctement».
Jules Ferry – Assemblée nationale 1885 -Messieurs, il faut parler plus haut et plus vrai ! Il faut dire ouvertement qu’en effet les races supérieures ont un droit vis-à-vis des races inférieures».
Tout commence à l’école. Une école dont les élèves ont bien compris que ce qui compte c’est la réponse attendue. La fille de Nicolas Lambert demande la correction orthographique d’un devoir. Brevet blanc des collèges à partir d’un ancien sujet. « Montrer en quelques lignes que l’armée française est au service des valeurs de la République et de l’Union européenne ». Sic. Occasion de faire revenir par l’enfance le panégyrique colonial de l’époque des grands parents sommois. Les revues. Les souvenirs. Les expressions… Le grenier.
De l’Exposition coloniale internationale commissariée par le Général Lyautey – 30 millions de billets vendus pour visiter les zoos humains – à Charles de Gaulle. Ou «Tintin au Congo» . De faire le point à la fois sur les effacements et les absorptions dans notre inconscient. Dans les livres d’histoires, dans les cours comme dans les fictions. Ne demeurent en dur que les statues, les noms des places et des rues – « J’ai cru longtemps que les noms de nos rues étaient ceux de gens admirables. » Ou des stations de métro, des écoles… Des noms d’hommes dont on ne dit rien des crimes qu’ils ont commis. Oubli et intégration.
Winston Churchill – The Guardian – 1919 – « Je suis profondément favorable à l’utilisation de gaz-poison à l’encontre de tribus barbares».
A l’inverse, c’est de cette même école qu’apparaît un chemin. Au cours du spectacle, on apprendra que c’est un professeur qui a ouvert la voie du théâtre à Nicolas Lambert. En remplaçant la punition pour insolence par une invitation à un atelier dramatique. Faire parler plutôt que taire. La perspective plutôt que la répression.
Nicolas Lambert malaxe les mots. Montre, preuve et discours à l’appui, comment la pacification est l’exact opposé de la fabrication de la paix. Comment le mot terroriste peut favoriser la disqualification illégitime. Le retournement des mots accompagnant le retournement des valeurs. Comme si la double négation annihilait le mensonge.
Le masque après la gomme. Cette gomme est malheureusement un bien commun. A usage conscient ou inconscient. Par exemple, la municipalité de Montreuil a reconstruit un beau foyer sur l’emplacement de l’ancien foyer des Bara. Expulsant au passage de nombreux résidents, augmentant les loyers, supprimant la cantine, facilitant les contrôles…. La façade a été repeinte avec beaucoup de mots généreux. Humanité. Citoyenneté. Laïcité…. La devise français y est presque totalement. Excepté égalité. Comment penser la liberté et la fraternité sans l’égalité ?
Alain Fienkelkraut – Haaretz – 2005 – «On n’enseigne plus que le projet colonial voulait aussi éduquer, apporter la civilisation aux sauvages».
On croise en chemin du spectacles quelques pépites. Les raisons suprémacistes des premiers numéros de notre immatriculation de la sécurité sociale. Le nombre des guerres françaises depuis 1945. Les soldats noirs du Maréchal Leclerc stockés le long de la Nationale 20 pour ne pas entrer dans Paris libéré. Un livre d’enfant imprégné des représentations et croyances raciales et paternalistes. Le bordel militaire de Casablanca repeint en blanc ..
Nicolas Sarkozy – Discours Dakar – 2007 – « l’homme africain n’est pas assez entré dans l’Histoire »
Les mots ont changé. Un peu. Les choses ne peuvent se dire aujourd’hui comme hier. Encore que ? Mais ce ne sont pas seulement les traces du passé qui subsistent. Il est là. Nicolas Lambert clôt son spectacle par un focus sur Mayotte. Colonie français dans l’Océan Indien arrachée des Comores. Il décortique l’écartèlement du territoire et des familles. La fabrique d’étrangers à leur pays. Et ses enjeux. On ne peut s’empêcher de penser à la Kanakie. Et à ce que Patrick Chamoiseau en dit : « Bien sur, ceux qui s’épouvantent d un fantasmatique » grand remplacement » approuvent celui qui se commet en Kanaky à coup d’indemnités de résidence, suppléments familiaux, primes d installation, majorations indiciaires et corps électorald e combat ». qui se commet en Kanaky à coup d’indemnités de résidence, suppléments familiaux, primes d installation, majorations indiciaires et corps électoral de combat« .
France Empire est un spectacle d’utilité publique. Ne le manquez pas !
Par Laurent Klajnbaum
Demain : C’est mort ou presque : Pennequin/Latarjet au Train bleu à 18h40 jusqu’au 21 juillet