RDC

Dans l’Est de la RDC, le sang coule dans l’indifférence générale

RDC. « 8 millions de morts, 7 millions de déplacés. Dans l’indifférence générale, le sang coule au Congo » déclarait le député LFI Carlos Martens Bilongo à l’Assemblée nationale en février dernier. En dehors de ce député et de quelques autres voix, personne n’en parle. Pourtant, il s’agit de la guerre la plus meurtrière depuis la seconde guerre mondiale. 

Le 8 juin, plusieurs médias rapportaient qu’un groupe armé avait mené plusieurs attaques dans des villages de la région de Beni, dans la province du Nord-Kivu, à l’Est de la République Démocratique du Congo (RDC). Une cinquantaine de personnes ont été tuées dans les différents villages attaqués. Il ne s’agissait là que d’un énième épisode des violences endémiques que le pays connait depuis plusieurs années.

La RDC, c’est plus de 2,3 millions km², environ 4 fois la superficie de la France, et plus d’une centaine de millions d’habitants. Un immense pays, doté d’une population jeune et en forte dynamique, et qui regorge de richesses naturelles : des mines d’or, d’étain, de diamant, et surtout de coltan (ce métal qui sert à construire des téléphones et des ordinateurs), mais aussi de vastes terres arables, et la deuxième plus grande foret tropicale du monde. La République démocratique du Congo a le potentiel pour être une nation prospère et puissante.

Pourtant, il s’agit d’un des pays les plus pauvres du monde. En cause, outre les cicatrices de la colonisation et du génocide rwandais, une succession de conflits meurtriers depuis plus de 25 ans, et une catastrophe humanitaire qui ne cesse de s’aggraver, dans l’indifférence générale. L’Insoumission revient sur cet épouvantable conflit, responsable de plus de 8 millions de morts et de 7 millions de déplacés, passés sous silence médiatique. Notre article. 

25 ans de guerres incessantes

L’est du pays, en particulier la province du nord-Kivu, est en proie à un conflit armé depuis plus de 25 ans. Le nombre de morts des deux premiers conflits fait l’objet de polémiques, mais les estimations s’élèvent toutes à plusieurs millions, incluant les victimes des famines et épidémies accompagnant les guerres. Les deux guerres du Congo sont considérées comme le conflit le plus meurtrier depuis la seconde guerre mondiale. 

En 1994, les troupes du Front Patriotique Rwandais (FPR), composées majoritairement de Tutsis en exil en Ouganda, parviennent à reprendre le pouvoir au Rwanda et à arrêter le génocide en cours contre les tutsi. Trop tard malheureusement, pour sauver les 800 000 victimes du génocide. 2 millions de rwandais, parmi lesquels des miliciens génocidaires, fuient alors le pays pour se réfugier dans les forêts voisines de RDC, alors dénommé Zaïre. Ces miliciens s’organisent en groupes armés, et des conflits éclatent avec des groupes tutsi qui s’étaient réfugiés au Congo avant le génocide.

En 1996 se déclenche la Première guerre du Congo. L’Alliance des Forces démocratiques pour la libération du Congo (AFDL), une coalition armée soutenue par le Rwanda, l’Ouganda, et par les USA, combat les forces zaïroises et renverse le régime de Mobutu Sese Seko, jusque là tout puissant Chef de l’État. Le chef de la rébellion, Laurent-Désiré Kabila, qui a mené une guérilla pendant des années dans l’Est du pays, devient le président de la RDC.

En 1997, Kabila congédie ses alliés rwandais et ougandais. Peu après, des groupes armés, soutenus par les pays voisins, se soulèvent dans l’est du pays. Paul Kagame, alors ministre de la défense du Rwanda, et qui finira par reconnaître l’implication de son pays, prétend que le Rwanda intervient au Congo pour des raisons de sécurité, notamment la lutte contre les menées de réfugiés hutus contre des populations tutsis. Il assure que certains territoires de RDC sont « historiquement rwandais ». En réalité, l’enjeu est aussi et surtout la captation et le contrôle des grandes richesses de la RDC.

Un cessez-le-feu et des accords de paix mettent formellement fin au conflit en 2002-2003 (après l’assassinat de Laurent-Désiré Kabila, en 2001). Ils prévoient la formation d’un gouvernement de transition incluant certains rebelles. Malgré ces accords, les violences n’ont jamais vraiment cessé. Dès 2004, les combats reprennent, et continuent sporadiquement.

Depuis une dizaine d’années, c’est le Mouvement du 23 mars (M-23), qui s’est imposé comme l’acteur majeur des violences est-congolaises, et plus particulièrement depuis 2021. Il s’est rendu coupable d’exactions d’une rare cruauté : massacres, viols de masses ou encore pillages et ce sur des populations vulnérables qui souffraient déjà bien avant ces crimes. Ce groupe a répandu l’horreur et la désolation dans la région.

S’ajoutent à ce groupe les Allied Democratic Forces (ADF), miliciens originaires de l’Ouganda, affiliées à l’Etat islamique, actifs dans le Nord-Kivu et l’Ituri, ainsi que de très nombreuses factions armées prenant part au conflit.

Une crise humanitaire sans précédent

L’activité de ces groupes, auteurs de fréquentes exactions et souvent impliqués dans l’exploitation illégale de ressources naturelles, est la cause d’une grave crise humanitaire : environ 6 millions de déplacés internes, et 1 million de réfugiés dans les pays voisins.

L’ONU doit agir face à des crimes de guerre, des viols, des violences commises sur les femmes et les enfants, des enrôlements forcés d’enfants soldats. L’Unicef et le programme alimentaire mondial préviennent que les opérations dans les camps de déplacés entrainent des risques accrus de maladies mortelles.

Face à la gravité de la situation, les Nations unies et les grandes ONG qui sont sur le terrain déplorent « l’oubli » de la communauté internationale, rappelant qu’en 2023 seulement 40 % des besoins d’aide d’urgence ont été couverts.

La crise a atteint un point critique, alors que le M-23 a lancé début février une offensive à quelques kilomètres de Goma, ville de plus de 700 000 habitants et chef lieu de la région, déjà débordée par l’afflux de réfugiés internes.

Le viol comme arme de guerre

L’un des aspects les plus terribles de la situation est l’utilisation massive des viols comme armes de guerre sur les populations civiles. Les violences faites aux femmes prospèrent en RDC depuis 25 ans. Le plus souvent, lors d’attaques contre des villages, les hommes sont tués, les enfants enlevés, et les femmes violées. L’ONU estime que plus de 200 000 femmes auraient été violées dans la région depuis 1997.

La situation est aujourd’hui particulièrement critique. Les signalements de violences basées sur le genre contre les filles et les femmes au Nord-Kivu ont augmenté de 37 % au cours des trois premiers mois de 2023 par rapport à la même période un an auparavant. Rappelons que l’ONU considère officiellement le viol comme une arme de guerre depuis 2008.

Les camps de réfugiés ne sont pas épargnés par ces violences : Selon Médecins sans frontières (MSF), 70 femmes victimes d’agressions sexuelles se présentent chaque jour à eux. 

C’est notamment pour son travail auprès des victimes de violences sexuelles commises dans le cadre de ce conflit que le docteur Denis Mukwege, surnommé « l’homme qui répare les femmes », a reçu le prix Nobel de la paix en 2018. 

Le soutien du Rwanda au M-23

Le Mouvement du 23 Mars, dit M-23, est un groupe rebelle apparu en 2012 et issu d’autres organisations armées, dont l’une des bases était l’appartenance ethnique, la zone étant une mosaïque au sein de laquelle le génocide rwandais a attisé des antagonismes hérités de la période coloniale. Sur cette base se sont greffées des motivations économiques, conduisant à l’utilisation du M‑23 à des fins d’appropriation des ressources naturelles congolaises pour le compte d’autres États, en premier lieu le Rwanda.

En avril 2022, un rapport de l’ONG Global Witness a fait apparaître que 90% des exportations de coltan par le Rwanda étaient illégalement extraites au Congo. Ce rapport est venu confirmer des soupçons qui pesaient déjà sur le Rwanda, puisqu’il explique le décalage entre la hausse de 42% des recettes d’exportations du Rwanda de ces minerais, et le fait que le pays ne dispose pas de tels gisements sur son sol. 

La République du Rwanda fait l’objet d’accusations, de la part de plusieurs ONG, selon lesquelles elle fournirait un appui au M-23. Human Rights Watch, dans son rapport publié le 25 juillet 2022, faisait ainsi référence à un soutien étranger fournissant un appui militaire aux rebelles. 

Un groupe d’expert de l’ONU a explicitement confirmé que le M-23 était bien soutenu par le régime rwandais. Dans un rapport publié le 16 décembre 2022, ils affirment, preuves à l’appui, que l’armée rwandaise a fourni des armes au groupe rebelle, et participé à des attaques sur des militaires congolais. 

Une délégation insoumise en RDC

En juillet 2023, les députés LFI du Val d’Oise Carlos Martens Bilongo et Arnaud le Gall ont déposé une proposition de résolution à l’Assemblée nationale visant à condamner le soutien de la République du Rwanda au M-23

Quelques mois plus tard, en octobre, aux cotés de la députée Nadège Abomangoli, et du fondateur de la France insoumise Jean-Luc Mélenchon, ils se sont rendus en République Démocratique du Congo. Lors d’une allocution devant l’Assemblée nationale de la République démocratique du Congo, puis d’une conférence à l’Université de Kinshasa, celui-ci a notamment témoigné de sa solidarité avec le pays, et a condamné le soutien du Rwanda aux massacres dans l’Est du territoire. 

Il a également rappelé les liens forts entre la France et la RDC, notamment du fait de la « langue commune », le français, dont la RDC est dit-il « du fait des circonstances, de votre nombre, de votre niveau d’éducation, première dépositaire dans le monde, puisque vous êtes la première nation francophone. »

Peu après, en novembre, Carlos Martens Bilongo et Arnaud le Gall se sont rendus dans l’Est du pays, pour apporter leur soutien aux populations victimes de la guerre, et tenter de visibiliser le sujet. Ils se sont notamment rendus au camp de Bulengo près de Goma, où vivent près de 200 000 déplacés internes, et ont rencontré les personnels de l’ONU, véritables héros et héroïnes qui constituent « souvent le dernier rempart de l’humanisme et du droit, parfois au péril de leur vie » selon les mots du député Le Gall. 

Carlos Martens Bilongo a par la suite également posé une question au gouvernement pour l’appeler à geler les coopérations militaires avec le Rwanda, et procéder à des sanctions économiques et diplomatiques.

Les nouvelles formes de la guerre

En définitive, ce qui motive fondamentalement les conflits dans l’Est de la RDC, c’est la volonté par les différents groupes en présence de s’approprier les immenses ressources de ces terres pour en tirer profit. Au-delà des mines d’or, de diamant, et d’étain, c’est surtout le coltan, évoqué précédemment, qui est au cœur des combats. Essentiel dans la construction des téléphones et des ordinateurs, sa valeur très élevée sur les marchés en fait l’objet de nombreuses prédations. On estime que 70 à 80% des réserves mondiales de ce précieux minerai sont en RDC, dans les provinces de l’Est. 

Ces conflits frontaliers, où un Etat viole les frontières de son voisin, au mépris du droit international, sont les nouvelles formes de la guerre. On en dénombre aujourd’hui 126 sur la surface de la planète. 

Le capitalisme mondialisé et financiarisé ne va faire que les aggraver : les multinationales toutes puissantes et motivées par l’appât du gain n’auront de cesse de tenter de profiter de ces conflits pour obtenir à bas coûts des minerais précieux. L’avancement du bouleversement climatique et des crises environnementales provoquera inévitablement des raréfactions de certaines ressources. La protection internationale des biens communs, qu’il s’agisse de métaux ou de ressources vitales telles que l’eau, est essentielle pour parvenir à endiguer les conflits, et pour permettre à l’humanité de faire face aux grands défis de ce siècle.

La France doit agir pour permettre le retour de la paix en RDC. Elle doit condamner le soutien du Rwanda au mouvement M23. Les accords de paix doivent être respectés. Il faut un cessez le feu, un désarmement des groupes. Les violences sexuelles doivent être combattues. La communauté internationale doit accentuer le soutien humanitaire.

On peut espérer qu’une victoire du Nouveau Front populaire le 7 juillet prochain conduirait la France à adopter une politique étrangère de soutien aux populations souffrant de ce conflit terrible.

Pour aller plus loin : Le nouveau Front populaire a présenté son programme de rupture

Par Jeff Collec