Emmanuel Lechypre

Portrait – Emmanuel Lechypre, la caricature de l’éditorialiste économique

« Le SMIC est une véritable machine à fabriquer des chômeurs et des travailleurs pauvres ». Voilà une phrase que pourrait prononcer n’importe quel éditorialiste économique. Mais connaissez-vous Emmanuel Lechypre, auteur de cette phrase et caricature même de cette profession ? Omniprésent dans les médias depuis son arrivée sur BFM TV en 2012, Emmanuel Lechypre est un chien de garde de l’ordre néolibéral, soutien sans ambiguïté du « There is no alternative » de Margaret Thatcher, dont le discours doit être démoli point par point.

Membre de la Société d’Économie Politique, think thank néolibéral, défenseur de la loi El Khomry et des lois Macron, Emmanuel Lechypre soutient également la funeste retraite à 64 ans voulue par le chef de l’État. Réforme qu’il a essayé de défendre en citant une loi mise en place… sous le régime de Vichy. L’éditorialiste s’est aussi déjà fendu de propos racistes en pleine crise du Covid-19. Il était temps de faire son portrait.

Les éditorialistes de plateaux, loin, très loin de l’objectivité affichée, sont des militants politiques déguisés en journalistes. Chaque jour, ils défendent une idéologie en direct aux heures de grandes écoutes. Les éditorialistes sont des acteurs de la bataille culturelle. Révéler d’où ces acteurs parlent, quels sont leurs parcours, leurs liens avec le capital, les 9 milliardaires qui possèdent 90% des médias du pays, est une œuvre nécessaire pour éclairer le débat démocratique. Fin d’un mythe : non, les éditorialistes ne sont pas des journalistes neutres. Pour qui militent-ils ?

Huitième épisode de notre série pour démasquer les éditorialistes que vous voyez chaque jour à la télé : Emmanuel Lechypre. Portrait.

Le parcours d’un éditorialiste omniprésent

Né à Paris en 1966, Emmanuel Lechypre est la caricature de l’éditorialiste économique, petit soldat défenseur néolibéralisme. Après des études d’économie à l’université Paris-I Panthéon-Sorbonne, il commence à travailler au magazine économique L’Expansion. Emmannuel Lechypre y gravit les échelons. D’abord conjoncturiste en 1990, il devient rédacteur en 1998, avant d’en devenir le rédacteur en chef adjoint et chef du service économie en 2002, puis directeur du centre de prévision de 2003 à 2005, puis enfin rédacteur en chef de 2005 à 2012 (Stratégies).

Il est omniprésent dans les médias, particulièrement sur BFM TV et BFM Business où il est éditorialiste depuis 2012. Il a participé à des débats sur de nombreuses autres chaines : France 2, France 5, France Inter… Emmanuel Lechypre a été chroniqueur pour I-Télé (ex-LCI), France Musique et France Culture (Obervatoire du Journalisme). Depuis août 2021, il est chroniqueur dans la matinale d’Apolline de Malherbe (BFM TV / RMC) et à midi dans le Dej’Info.

Emmanuel Lechypre est aussi membre de la Société d’Économie Politique (SEP), un think thank néolibéral fondé par les disciples du plus célèbre des économistes classiques français : Jean-Baptiste Say. Celui-ci défendait notamment la libre-concurrence et un rôle de l’État aussi limité que possible. La SEP est connue pour être l’un des bastions des économistes néolibéraux français. L’on saisit déjà mieux l’entourage, les intérêts et les références de l’éditorialiste.

Citer des chiffres malhonnêtes pour défendre une idéologie poussiéreuse : mode d’emploi

Les Français travaillent peu. Trop peu. Voilà trop souvent ce que nous rabâchent les néolibéraux de plateaux. Ce 17 avril 2023, l’occasion est trop belle : l’OCDE vient de publier des chiffres sur le nombre d’heures travaillées par habitant dans les pays qu’elle rassemble. Conclusion : les Français ont le nombre d’heures travaillées par habitant le plus faible, après la Turquie. Ah ! Voilà de parfaits chiffres pour débattre du temps de travail, alors que la bataille contre la retraite à 64 ans ne désemplit pas. Du côté des éditorialistes de plateaux, on se frotte les mains. Voilà des chiffres d’une institution sérieuse. Il vont prouver qu’ils ont raison : les Français

Sur BFM TV, Emmanuel Lechypre est sur le plateau pour nous servir sa soupe d’économie orthodoxe. Concernant la France, l’OCDE compte 631 heures travaillées par habitant par an. « En revanche, c’est 714, en moyenne, pour un habitant de la zone euro, 720 pour le Royaume-Uni et l’Allemagne, 805 pour un habitant de l’OCDE » , détaille l’éditorialiste. Et pour la Turquie ? 592 heures. Avec quelques chiffres, il arrive à faire croire que les Français ne travaillent pas, en tout cas trop peu par rapport à ses voisins européens.

Emmanuel Lechypre martèle ces chiffres de l’OCDE pour pouvoir largement diffuser son idéologie. Quelle est-elle ? Le fait que les Français ne travaillent pas assez, dans la semaine, dans la journée et dans la vie. Emmanuel Lechypre fait partie de ces « experts » économiques qui n’ont toujours pas digéré les 35 heures mises en place par la gauche plurielle. Ils ne voient pas d’autre horizon que celui-ci : il-faut-travailler-plus-longtemps-parce-qu’on-vite-plus-longtemps ou les-Français-travaillent-trop-peu-par-rapport-à-leurs-voisins-européens.

Pour aller plus loin : La réduction du temps de travail : histoire de la bataille emblématique du mouvement ouvrier

Sauf que les chiffres qu’il défend sont trompeurs. L’indicateur de l’OCDE n’est pas le plus pertinent. Quel est l’intérêt d’étudier la quantité de travail annuel, non pas par travailleur, mais par habitant, c’est-à-dire en incluant les inactifs, retraités et chômeurs dans le calcul ? Sachant, par exemple, qu’à 62 ans actuellement, les Français ont un âge légal de départ à la retraite parmi les plus bas de l’OCDE ? Si l’on parle du temps de travail hebdomadaire, la France n’a pas de quoi rougir. Les actifs français sont au-dessus de la moyenne des principales économies du monde (36,8 heures), avec une moyenne de 36,9 par semaine. Surtout, les travailleurs français sont parmi les plus productifs du monde (voir graphique ci-dessous). Tout dépend par quel bout de la lorgnette on regarde les chiffres. Raté, Emmanuel Lechiffre.

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Catéchisme néolibéral : haro sur le programme de la NUPES

Au 1er tour des élections législatives de 2022, l’alliance historique de la NUPES suscite de grands espoirs en arrivant en tête, devant la minorité présidentielle. Avec le slogan « Mélenchon Premier ministre », l’union de La France insoumise, Génération.s, Europe Écologie Les Verts, le Parti Communiste et le Parti Socialiste porte un programme de rupture avec le capitalisme. Une situation difficilement acceptable pour le système en place. Dans l’entre-deux tours, advient alors le temps des plateaux de décryptage des programmes. Emmanuel Lechypre, en digne éditorialiste économiste, réalise cet exercice tambour battant.

Le 13 juin 2022, BFM TV veut répondre répondre à la question suivante : « le programme de la NUPES est-il réaliste ? ». Spoiler, oui. Acrimed a suivi les prises de paroles de trois éditorialistes de plateaux, parmi lesquels Emmanuel Lechypre. Il se donne à cœur joie de critiquer le programme de la NUPES. D’abord, sur le SMIC : l’alliance historique de la gauche défend sa hausse à 1500 euros net dès le 1er août 2022. Une horreur pour tout néolibéral.

Sur le plateau de BFM TV, Emmanuel Lechypre récite son prêchi-prêcha habituel sur les conséquences de cette mesure : « Vous augmentez le coût du travail donc vous fabriquez du chômage, vous provoquez des destructions d’emploi. Vous vendez moins à l’étranger puisque vous êtes moins compétitif et puis évidemment, vous creusez énormément les déficits publics et vous augmentez considérablement la dette publique ». Et pourquoi pas l’invasion des sauterelles tant qu’on y est ? Une position résolument anti-SMIC qui ne date pas d’hier. En 2014, il écrivait déjà que « ce salaire minimum est ainsi devenu une machine redoutable à fabriquer des chômeurs et des travailleurs pauvres ».

Un vieux refrain qui ne convainc plus personne. Contrairement à ce que prétend cet « expert », la hausse du SMIC n’est pas néfaste pour l’économie. Au contraire : alors que l’inflation continue d’asphyxier les Français, et qu’aujourd’hui, 42% des plus précaires de ce pays se privent d’un repas par jour, il est essentiel relancer la consommation populaire par la hausse des salaires. Cette hausse soutiendrait l’activité économique, ainsi que le carnet de commandes des entreprises. La hausse du salaire minimum permettrait de rendre plus attractifs certains secteurs. Enfin, même si la hausse du SMIC serait plus difficile à mettre en place pour des petites entreprises, la NUPES prévoit le coup dans son programme. Son idée : mettre en place un mécanisme de péréquation pour que les grandes entreprises contribuent au financement de cette hausse dans les petites et moyennes entreprises. Mais cela, Emmanuel Lechypre ne le précise jamais.

Deuxième argument : la hausse des dépenses publiques. Comme la hausse du SMIC, c’est une des hantises des néolibéraux. Dans cette émission de décryptage de programmes économiques, Emmanuel Lechypre parle de celui de la NUPES tout en nuance : « Grosso modo, c’est deux « quoi qu’il en coûte » par an. […] 250 milliards d’euros ». Tombé du ciel, le chiffre de 250 milliards de dépenses paraît énorme. Mais pour quoi faire ? Et quelles en seraient les retombées économiques ? Ce n’est pas vraiment précisé.

L’éditorialiste a-t-il pris la peine de consulter le sérieux chiffrage de ce programme ? Le circuit économique est le suivant : 250 milliards d’euros de dépenses supplémentaires par an, et 267 milliards de recettes à la sortie. Résultat : un budget positif de 17 milliards par an, grâce au « coefficient multiplicateur » créé par l’injection d’argent public dans l’économie. Mais c’est tellement plus facile de s’affoler sur un hausse de dépenses publiques à trois chiffres, sans en préciser les retombées très bénéfiques qu’elles peuvent avoir : plus d’argent pour l’Hôpital public en lameaux, pour l’école publique qui meurt à petit feu, plus d’argent pour mettre en oeuvre la planification écologique dont notre économie a besoin face à l’urgence climatique.

Pour aller plus loin : Législatives : 300 économistes soutiennent le programme de la NUPES

Qu’importe d’ailleurs que ce programme soit soutenu par 300 économistes. À leur sujet, Emmanuel Lechypre déclare : « Alors évidemment, les 200 professeurs d’économie et économistes qui soutiennent Jean-Luc Mélenchon font exactement la même chose qu’à chaque fois, c’est-à-dire qu’ils nous disent « cette fois, c’est différent ». Est-ce que ce sera différent cette fois-ci ? Il y a en économie des lois de la gravité un peu comme en physique voyez, est-ce qu’on pourra les défier cette fois-ci alors qu’on n’a jamais réussi dans le passé… ça n’est pas sûr ! »

Sûrement Emmanuel Lechypre ne les considère pas comme de « vrais » économistes, parce qu’ils ne défendent pas la doxa néolibérale comme lui. Parmi eux pourtant, on retrouve des éconnomistes sérieux. Des grands noms de l’économie française : Julia Cagé, Thomas Piketty, Jacques Généreux, Dominique Méda, Mickaël Zemmour, Gabriel Zucman, pour ne citer qu’eux. Mais c’est tellement plus facile de pérorer sur les plateaux et de taper sur le programme de la NUPES et de ses défenseurs, le tout sans contradicteur. En effet, les 3 éditorialises autour du plateau ce 13 mai 2022 sont tous d’accord, sans nuance. Vous avez dit pluralisme ?

Un chien de garde de l’ordre économique existant

« C’est comme la pomme en physique. Vous la laissez tomber, paf, ça tombe. En économie, si vous augmentez le coût du travail, vous fabriquez du chômage » : une phrase prononncée par Emmanuel Lechypre face à Jean-Luc Mélenchon durant l’émission « Face à BFM » en pleine campagne présidentielle. Une phrase révélatrice de son idéologie et de son rôle de chien de garde de l’ordre économique existant. Au Royaume-Uni, Margaret Thatcher disait « There is no alternative » (il n’y a pas d’autre voie possible). Emmanuel Macron, dans le même style, affirmait que « l’autre politique était un mirage », sous-entendu une politique plus redistributive, en faveur du plus grand nombre, et non du capital.

Pour aller plus loin : Désintox : non, les riches ne vont pas quitter le pays si on les taxe

« Dans l’économie, il n’y a pas de loi, parce que tout est social », lui répond Jean-Luc Mélenchon. Voilà une réalité que tous les néolibéraux, à commencer par Emmanuel Lechypre, ne veulent pas accepter.

Pour la cacher, ils rabâchent sur les plateaux depuis des années des soi-disantes « vérités économiques » : « il faut flexibiliser le marché du travail pour faire baisser le chômage », « augmenter le SMIC augmente le cômage », « on peut pas investir à cause de notre dette publique », « si on taxe les plus riches, ils vont quitter la France » etc (voir notre rubrique Désintox économique). Pour eux, l’économie serait une science dite « dure », comme la physique. Sauf que ce n’est pas le cas. L’économie, ce sont des rapports de force entre capital et travail, entre salariés et patrons, entre grandes et petites/moyennes entreprises. Ce ne sont pas des vérités tombées tout droit du ciel (ou d’un pommier).

« There is no alternative », « There is no alternative », « There is no alternative » ! Emmanuel Lechypre se tue à vous le dire. Toute autre politique que la destruction des services publics à petit feu, qu’une flambée des prix incontrôlée, qu’une accaparation de la richesse produite par des assistés d’en haut ne serait qu’un mirage. Emmannuel Lechypre et les autres néolibéraux regardent-ils dans le rétroviseur ? Se rendent-ils comptent du drame général produit par les politiques qu’ils défendent depuis tant d’années ?

Une réalité rappelée par Jean-Luc Mélenchon le 9 février 2023, lors de l’émission sur « Face à BFM TV ». À ce moment-là, le débat porte sur le prix du travail, et non le « coût » du travail, comme l’appellent tous les gardiens de l’ordre économique actuel. « Moi, je regarde l’histore et ce que les politiques que vous décrivez ont produit », commence l’éditorialiste, immédiatement interrompu par le leader insoumis : « Et les vôtres ? Mais enfin, c’est tout de même incroyable ! Qui a ruiné le pays ? Qui a détruit l’industrie ? Qui a passé son temps à dire qu’en diminuant les salaires ça irait mieux ? C’est quand même pas nous ! C’est le contraire ! ». Un rappel salutaire.

Pour terminer ce portrait, il faut citer au moins deux sorties ahurissantes d’Emmanuel Lechypre, dont l’une n’est pas liée à l’économie. Mais les deux permettent de se faire une idée plus précise du personnage.

Quand Emmanuel Lechypre cite… une loi du régime de Vichy pour défendre la retraite à 64 ans

Énorme malaise sur le plateau de BFM TV ce mercredi 8 février 2023. Philippe Martinez, ancien secrétaire général de la CGT, est sur le plateau et fait face à Emmanuel Lechypre. Visiblement à court d’arguments pour défendre la funeste réforme du chef de l’État, l’éditorialiste a pris comme exemple une loi du régime de Vichy, de Philippe Pétain, traitre à la patrie.

« Je vous lis quand même ce qu’il y a écrit dans la loi du 14 mars 1941, la loi sur la répartition », commence l’éditorialiste, visiblement très fier de son exemple. Autour du plateau, tout le monde se demande s’ils ont bien entendu une telle chose. Philippe Martinez sort du bois le premier. « 1941 ? Je pense que la France n’était pas dans son meilleur état. Vous avez le droit de faire des références de Vichy mais bon, c’est un peu compliqué… » Aurélie Casse, présentatrice du plateau, ne trouve la force que de suggérer « euh… là 1941 Emmanuel ?  ». Le reste des invités est bouche bée ou rigole nerveusement.

Le meilleur est peut-être la réplique finale de l’éditorialiste économique : « 1941… je vérifierai ». Est-ce vraiment nécessaire de vérifier quel était le régime politique de la France en 1941 ? C’est au programme de CM2. Un sacré « expert », cet Emmanuel Lechypre. Il se dit spécialiste d’économie. Nous avons vu tout au long de ce portrait qu’il était simplement un petit soldat défenseur d’une idéologie poussiéreuse. Cela ne l’empêche pas d’avoir quelques bases dans les autres matières avant d’asséner de tels arguments à des milliers de téléspectateurs.

« Ils enterrent des Pokémon » : sous fond de Covid-19, Emmanuel Lechypre devient raciste

Et, sans crier gare, Emmanuel Lechypre devient raciste. Le 4 avril 2020, BFMTV diffusait un hommage aux milliers de morts du Covid-19 en Chine. Les images diffusées sont fortes : la foule est immobile, légèrement inclinée vers le sol, tandis que des sirènes retentissent. Au même moment, on entend très distinctement l’éditorialiste chuchoter « ils enterrent des Pokémon ! », du nom du célèbre dessin animé éponyme japonais. La honte.

Alors que le pays d’où est parti le Covid-19 organise une grande cérémonie à la mémoire de ses milliers de morts, l’éditorialiste préfère faire des réflexions racistes. Selon ses dires, Emmanuel Lechypre pensait que les micros étaient coupés pendant la diffusion de l’hommage. Cela n’est en rien une excuse. Il a demandé pardonn quelques heures plus tard à l’antenne, tandis que les chaines BFM TV Et BFM Business l’ont suspendu une semaine. C’était le minimum à faire.

Emmanuel Lechypre est la caricature même de l’éditorialiste économique. Omniprésent sur les plateaux, il récite tous les jours un catéchisme néolibéral qui ne fait plus rêver, auquel plus personne ne croit. Un néolibéralisme poussiéreux, responsable de la crise sociale que la France traverse aujourd’hui, à cause de laquelle 42% des plus précaires se privent d’un repas par jour. Emmanuel Lechypre, comme tous les autres éditorialistes économiques, ne veulent pas en démordre ? Alors nous continuerons à mener la bataille culturelle contre eux et contre leur monde, chaque jour.

Par Nadim Février