Scandale d’État ? Il y a fort à parier que « La syndicaliste », le film événement de Jean-Paul Salomé qui sort ce mercredi 1er mars 2023 en salle, fasse beaucoup parler. L’insoumission.fr l’a vu en avant-première, en présence de Maureen Kearney, la vraie syndicaliste jouée avec puissance par Isabelle Huppert dans le film, et on recommande, vivement.
Adapté d’un livre de la journaliste Caroline Michel-Aguirre, « La syndicaliste » revient sur l’affaire qui a éclaboussé le nucléaire français en 2012 : l’affaire Maureen Kearney, représentante syndicale chez Areva. La syndicaliste va se transformer en lanceuse d’alerte : un accord entre Areva, EDF et leur homologue chinois CGNPC permettrait le transfert de technologie française en vue du développement de réacteurs… en Chine. La syndicaliste alerte : un tel accord menacerait de délocaliser des milliers d’emplois et de savoir-faire français au détriment de la souveraineté industrielle tout en aggravant les difficultés financières d’Areva. L’affaire remonte alors jusqu’au sommet de l’État, et le nouveau patron de la multinationale française, Luc Oursel, nie en bloc. C’est pourtant bien ce qu’il va se produire : 4 000 emplois supprimés par Areva en France. Le scandale ne s’arrête pas là.
En décembre 2012, après des mois de lutte à essayer de lancer l’alerte, Maureen Kearney est retrouvée ligotée à son domicile, avec le manche d’un couteau dans son vagin et un « A » gravé au couteau sur son bas ventre. La syndicaliste va être jugée coupable en première instance, accusée d’avoir mis en scène cette agression, dans un passage terrible du statut de victime à celui d’accusée, avant d’être relaxée en appel en 2018. Mais sa vie est déjà brisée. Avant même la sortie du film en salles, le groupe insoumis à l’Assemblée nationale a demandé la création d’une commission d’enquête relative à « l’affaire Maureen Kearney ». Vibrant hommage au courage des lanceuses et des lanceurs d’alertes, le film est aussi une ode à l’engagement syndical, en plein mouvement social historique dans le pays. Un film à voir, absolument. Notre article.
Maureen Kearnay, la syndicaliste qui ne lâche rien
L’une des premières scènes du film introduit parfaitement le personnage de Maureen Kearney. En Hongrie, la déléguée syndicale CFDT d’Areva vient à la rencontre de travailleuses du nucléaire, menacées de licenciement par un patron véreux. Maureen Kearney essaie de les rassurer, en leur promettant qu’une solution va être trouvée. « Pourquoi on devrait vous croire ? », s’inquiètent certaines salariées. Ces dernières ont besoin de preuves.
La déléguée syndicale interpelle alors le patron du site Areva, se cachant hypocritement derrière la législation de son pays. « Un mail envoyé à la direction à Paris, et vous aurez des comptes à rendre à la direction d’Areva », assène Maureen Kearney, alors que la caméra met en valeur toutes les ingénieures debout derrière elle. Le patron regarde ses pieds. Maureen Kearney ne lâche jamais ceux qu’elle défend. Le syndicalisme ? C’est (presque) toute sa vie. « Elle ne s’arrête jamais », confie son mari joué par Grégory Gadebois à ses amis, devant leur maison de vacances autour du lac d’Annecy.
Maureen Kearney devient la lanceuse d’alerte menacée que très peu de gens écoutent
Syndicaliste déterminée, connue de tous, Maureen Kearney devient petit à petit trop curieuse au goût de certains. Elle obtient des informations grâce un salarié d’Areva, lui donnant des rendez-vous secrets dans des parcs parisiens. Dans le plus grand secret, dans le dos du gouvernement socialiste tout juste élu, un accord se préparerait entre Areva, EDF et leur homologue chinois CGNPC. Il permettrait le transfert de technologie française en vue du développement de réacteurs… en Chine. Inacceptable pour la déléguée syndicale CFDT. Elle active son réseau, prend rendez-vous avec Arnaud Montebourg, à l’époque ministre de l’Économie, interpelle les députés dans les couloirs de l’Assemblée nationale.
Elle interrompt même un réunion de la direction d’Areva, avec à sa tête son nouveau président Luc Oursel. Celui-ci veut absolument faire ses preuves. Agacé par sa pugnacité, il en viendra… à lui jeter une chaise dans la figure, qui heureusement n’atteindra pas sa cible. « Vos questions à la direction, vos jérémiades auprès du ministre, vous vous prenez pour qui ? Faites attention ! », « Vous croyez que je vais me faire intimider par une petite syndicaliste de rien du tout ?! Je vais vous réduire en miettes ! » sont des exemples de phrases lancées à Maureen Kearney par ce dernier. Elle devient la lanceuse d’alerte que personne n’écoute, subit des pressions de plus en plus fortes, reçoit des appels anonymes menaçants, se fait suivre en voiture.
En somme, contre quoi se bat Maureen Kearney ? La vente à la découpe d’un savoir-faire français d’excellence dans le secteur du nucléaire et contre une vague de licenciement chez les salariés d’Areva. Malheureusement, suite à l’accord avec leur homologue CGNPC, 4 000 emplois ont été supprimés par Areva en France. Pas de licenciements en France une fois l’accord signé ? « Jamais », avait promis le spécialiste du nucléaire français. Il n’est pas acceptable, comme pour la vente d’Alstom à Général Electric (États-Unis) que l’industrie française soit ainsi bradée.
Le nucléaire est-il cependant une énergie d’avenir ? Au contraire, c’est une énergie dangereuse. Une bifurcation écologique est nécessaire pour progressivement se départir de cette énergie, sans compromettre la souveraineté française. Il reste nécessaire de préserver les conditions de travail des salariés du nucléaire, comme de tous les autres travailleurs. Entamer une bifurcation écologique et ainsi une sortie du nucléaire sans des travailleurs qualifiés dans ce domaine reviendrait à foncer dans le mur.
Agressée violemment un matin chez elle, la syndicaliste passe du statut de victime au statut de coupable
Un matin, Maureen Kearney se fait violemment agresser chez elle. Elle est retrouvée ligotée à son domicile, avec le manche d’un couteau de huit centimètres dans son vagin et un « A » scarifié au couteau sur son bas ventre. Une scène absolument glaçante. Pourtant, aucune trace de ses agresseurs n’est retrouvée. Aucune. Contre tout attente, les chefs d’accusation vous être inversés : la syndicaliste est accusée d’avoir tout inventé. Toute la procédure judiciaire se tourne comme (presque) un seul homme vers cette hypothèse. Une démonstration implacable de la violence d’une (in)justice accusant à tort une innocente dont la vie a été brisée parce ce qui lui est arrivé.
La salle entière tombe de sa chaise lorsqu’elle comprend que la syndicaliste est condamnée pour « dénonciation mensongère » à une peine de prison avec sursis et une amende. S’en suit un long parcours de combattante. C’est en 2018, seulement, qu’elle est acquittée par la cour d’appel de Versailles. Mais elle n’a plus la force de continuer à chercher la vérité sur son agresseur.
Mille questions se bousculent dans la tête des téléspectateurs. Qui sont ses agresseurs ? Qui les a envoyés, payés ? Pourquoi la justice a si mal fait son travail en accusant à tort un innocente ? Que savaient les dirigeants d’Areva ? Les ministres ? En somme, l’affaire « Maureen Kearney », dite « La syndicaliste » comme aime le rappeller Maureen Kearney elle-même, est-elle un scandale d’État ? D’ailleurs, s’attendait elle à tout ça et serait elle prête à refaire la même chose en connaissance de cause ? « Non », a expliqué la véritable Maureen Kearney, que l’insoumission a pu écouter lors de l’avant-première du film. « Je suis humaine, je ne suis pas une héroïne, et je ne souhaite à personne ce qui m’est arrivé », a déclaré la syndicaliste, pleine d’humilité et d’honnêteté.
Affaire Maureen Kearney : le groupe parlementaire LFI demandent la création d’une commission d’enquête, le combat continue
La nouvelle est tombée la veille de la sortie du film « La syndicaliste ». Le groupe parlementaire LFI demande la création d’une commission d’enquête sur l’affaire Maureen Kearney. « Il est essentiel que la représentation nationale contribue à faire toute la lumière sur cette affaire », selon le groupe parlementaire insoumis.
En apprenant cette nouvelle, difficile de ne pas penser à la dernière scène du film, fruit de l’imagination du réalisateur Jean-Paul Salomé. On voit Maureen Kearney faire face à de nombreux parlementaires (sénateurs ou députés ?) dans le cadre d’une commission d’enquête sur cette affaire. « Je le jure », déclare-t-elle la main droite levée lorsque le président de cette dernière lui demande de « dire la vérité, rien que la vérité, toute la vérité ». Puis elle tourne sa tête vers la caméra. Elle toise le téléspectateur d’un regard déterminé, puissant, comme l’est la prestation d’actrice d’Isabelle Huppert tout le long du film. Faire éclater toute la vérité sur cette affaire est un véritable impératif démocratique. Le combat continue. Foncez voir ce film, sans hésiter. Vous en ressortirez en colère.
Par Nadim Février et Pierre Joigneaux