Rap

Du rap à l’Assemblée : un fait social contre le mépris de classe, par François Piquemal

Rap. Le mardi 14 février, en pleine bataille à l’Assemblée Nationale contre le projet du gouvernement de retraite à 64 ans, le député insoumis François Piquemal a eu le malheur de citer deux rappeurs : Jul et SCH. C’en était trop pour la bourgeoisie macroniste et médiatique qui regarde avec mépris une musique et un texte qui pourtant « transpirent les questions sociales et sociétales qui traversent la société ». Nous vous partageons ici une tribune où le député insoumis revient pour l’insoumission.fr sur la séquence et dresse un portrait de ce que peut apporter le rap au combat politique des classes populaires.

Du rap à l’Assemblée nationale

Mardi 14 février, quand nous avons examiné l’article 2 du projet de loi de la Réforme des Retraites du gouvernement, j’ai cité deux phrases de SCH et Jul. Les amendements de l’article 2 portaient notamment sur l’index senior, gadget du gouvernement visant à répondre à la pénibilité du travail des seniors et leur emploi, mais non contraignant pour les entreprises qui en feront bien ce qu’elles voudront.

A cette occasion je suis intervenu à plusieurs reprises pour évoquer la pénibilité du travail. L’une de ces interventions a été reprise, coupée le plus souvent, car j’y citais deux rappeurs connus : SCH et Jul.

Ce n’est pas la première fois que je cite des rappeurs, mais aussi des écrivains comme Lydie Salvayre, Joseph Ponthus, Annie Ernaux, ou des séries dans mes interventions. Entre tous, un point commun dans leur rapport aux classes populaires, et l’écho dont ils s’en font directement ou indirectement marche comme un point d’appui pour moi. Cela est encore le fruit de réflexes de ma formation d’étudiant où il était de convenance de citer un.e auteur.e pour introduire son sujet. Dernièrement j’ai aussi cité Nekfeu lors d’un discours sur la loi anti-locataires du groupe Renaissance.

Aussi ai-je été surpris que le fait de citer des rappeurs attire soudain l’attention des médias. Cela a révélé quelque chose d’intéressant et de révélateur : tous n’ont pas eu la même lecture de la séquence et n’y ont pas mis la même substance, ce qui en révèle beaucoup sur les biais de leurs journalistes sur le rap français comme culture populaire.

Mépris de classe

Les médias spécialistes de rap ont réservé plutôt un bon accueil à cette citation, à l’instar de Générations qui a acté «qu’un député La France Insoumise cite SCH et JUL (même avec quelques approximations) à l’Assemblée nationale durant le débat sur les retraites, c’est quand même particulièrement nouveau et c’est aussi la preuve qui montre à quel point le rap est entré profondément dans la société française ». Ces médias ont aussi généralement rappelé le lien qui était fait entre les paroles, le débat en cours, et la pénibilité du travail.

Les médias d’information ont quant à eux traité cette intervention de manière souvent (pas toujours) dédaigneuse, marquant des préjugés sur les dits rappeurs et ce vecteur culturel. Ainsi Quotidien, passant la fin de l’intervention : « « Personne ne veut soulever des palettes », tout le monde veut sa retraite », coupée du propos la contextualisant, l’a rattachée au passage suivant de la chanson où selon Yann Barthès « Jul ne parle pas de retraite mais de drogue et d’argent ».

Le fait que Yann Barthès nie aux paroles de Jul tout sens politique est révélateur au mieux d’une méconnaissance du rap français, au pire d’un certain mépris de classe. Alba Ventura sur RTL commentant les citations assume de choisir entre des rappeurs habilités à parler des conditions de travail comme Abd Al Malik, et les autres qui n’entrent pas dans son champ de légitimité.

Tout amateur de rap français sait pourtant que ce dernier est rempli de références aux conditions de vie des classes populaires. Evidemment certains groupes ou artistes sont plus identifiés comme « conscients » : NTM, IAM, Ministère Amer, Kery James, Médine, Casey, La Rumeur, Youssoupha. Mais des groupes et artistes qui ne sont pas considérés comme tels le font aussi.

C’est le cas de SCH quand il évoque régulièrement la vie de labeur qu’a eu son père. Jul en décrivant les conditions de vie de ses proches. La forme a évolué avec la révolution textuelle « Lunatic » au début des années 2000 qui a estompé les chansons à thèmes pour des structures textuelles où les thèmes sont souvent emmêlés : vie de la rue, trafic de drogue, histoire d’amour, sexe, amitié, trahison, mais aussi politique.

Cette structure textuelle n’enlève rien aux propos politiques donc. Ainsi des rappeurs, PLK, Dinos, Limsa d’Aulnay, PNL émettent au travers de leurs chansons des propos forts sur la rénovation urbaine, l’écologie, la société de consommation, les affres des réseaux sociaux etc…

Du lycée pro au rap : la « génération Fenwick »

Ces propos, même emmêlés à d’autres thèmes, qui souvent interrogent des sujets sociétaux, ne sont pas moins politiques car ils ne trouvent pas de légitimité aux yeux de certaines personnes méprisantes.

Ayant été enseignant en Lycée Professionnel avec des sections d’élèves promis à des métiers à haute pénibilité, je suis particulièrement sensible à ce sujet. Je sais aussi à quel point le rap, comme toute musique de jeunesse participe à l’instruction civique et esthétique des jeunes. Cela a été aussi mon cas, je dois ma conscientisation politique aussi au rap français.

Beaucoup de rappeurs issus des classes populaires sont eux-mêmes d’anciens élèves de Lycée Pro, qui ont travaillé, travaillent, ou ont des proches travaillant dans le milieu de la logistique. Ce qui a amené un sociologue David Gaborieau à parler d’une « génération Fenwick » très présente dans les références du rap français. Un article de France Culture revient d’ailleurs sur la question : « Quand le rap se fait la voix des ouvriers ».

Il ne devrait donc rien avoir de surprenant à ce que des artistes aussi influents dans la société soient cités par des représentant.e.s politiques, comme les autres œuvres culturelles. A moins de les considérer comme faisant partie d’une sous-culture, ce que le rap n’est pas. Le rap n’est pas « cool » non plus, il transpire les questions sociales et sociétales qui traversent la société.

A l’heure où les débats viennent de s’achever à l’Assemblée, suite au refus du gouvernement d’étendre les discussions plus longtemps, c’est la mobilisation des classes populaires dans les manifestations et les grèves qui va désormais être déterminante.

Une situation que Jul résumait bien dans son titre « José » :

« Je vois l’État, il laisse même pas le peuple négocier
Entre nous et vous, les gars, y a un gros fossé
C’est pas assez 1200 pour aller bosser
Qui vous êtes pour nous juger, nous faire des procès
 »

Jul, si loin des clichés, si politique.

Par François Piquemal .

PS : Merci aux nombreuses personnes qui m’ont écrit sur les réseaux sociaux pour me remercier d’avoir fait référence à cette culture populaire dans l’enceinte de la représentation nationale.