Le 11 janvier 2023 sortait « Les Rascals », un film réalisé par Jimmy Laporal-Trésor. Il revient sur une période souvent méconnue du Paris des années 1980, celles des bandes de jeunes confrontées au mouvement skinhead, ayant causé tant de problèmes et tant de violences jusque dans les années 1990. Notre article.
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Paris sous les bandes, c’était Paris sous les bandes
Dès la première scène, le rythme est donné. Des gamins racisés, Rico, Sovann et Rudy, la dizaine, rentrent de l’école, se bagarrent et tombent par hasard sur des skins. Ces derniers sont beaucoup plus âgés. Cet avantage n’empêche pas Loki, un des skins, de les rosser. Courageux ces fascistes. Après une ellipse, on retrouve ces gamins. Ils sont devenus amis et ont créé une bande, les rascals.
Manteaux appareillés mais origine cosmopolite, la bande s’est agrandie. Ces petits mecs de banlieue profitent, sortent, dansent. Ils vont dans les bals, trainent dans les rues et chez les disquaires. À ce moment, ils retrouvent Loki. Rico perd son calme et la situation dérape. La sœur du skin voit la scène et la descente aux enfers commence. La colère pousse la sœur à se rapprocher de skins de l’université d’Assas qui lui promettent la vengeance pour son frère. Ils partent en chasse…
Je n’ai pas envie de vous raconter le film, tant l’émotion qu’il suscite est liée à sa construction, son rythme et la profondeur des protagonistes. J’ai envie de vous en parler parce que moi-même, des années plus tard, j’en ai fait l’expérience. Fan de métal, habitué des concerts à la fin des années 90’, j’ai connu la fin de cette époque.
Les skins nous attendaient à la sortie, toujours en surnombre, pour nous faire regretter nos quelques heures de fête. À cette époque, le début des années 80, il y avait un style vestimentaire propre à chaque style musical. Les rockers portaient le cuir, les rockabilly la banane, et les rappeurs le survêtement. En cela, le film est assez fidèle : il montre bien ces différences.
La montée de la haine
Pour rappel, il existe trois sortes de skins. Les redskins, cocos, sont ceux qui donneront naissance aux premiers groupes antifas. Les bonehead, littéralement crânes nus, sont une appropriation de la culture skin qui, au départ, est apolitique. Fait amusant, ce terme signifie crétin en anglais. Le mouvement skin est né au Royaume-uni de l’association de prolétaires fans de mode et de descendants d’immigrés antillais. La mouvance bonehead est une appropriation hasardeuse de la culture skin.
Il faut se souvenir que les années 80 ont vu la première percée du fasciste, le père Le Pen, Jean-Marie Le Pen. Une époque où, dans un contexte de chômage et de rigueur, le FN obtient en 1986 ses premiers sièges de députés à l’Assemblée nationale. C’est aussi le début d’une guérilla urbaine dans le centre de Paris.
Mais revenons en à nos moutons. Les bones ont souvent été utilisés pour faire des démonstrations de force et sécuriser certaines manifs lepénistes. Ils tiennent le garde-à-vous le jour et tabassent des gauchistes la nuit. Dans le film, on voit des étudiants d’Assas, affiches du Groupe Union Défense (GUD) (syndicat étudiant d’extrême droite, connu pour ses actions violentes, ndlr), au mur, bosser sur des discours politiques. On les voit rouler dans Paris, coller pour Le Pen et chasser les colleurs communistes qui les recouvrent. Une scène d’horreur.
Vous savez ce qu’est un sourire de Glasgow ? Si vous l’ignorez tant mieux. Sachez simplement que cela implique un couteau. Bref, ces agissements vont très vite pousser les fachos, en quête de respectabilité, à abandonner leur utilisation. Désœuvrés, bagarreurs, ils vont vite se trouver une occupation : terroriser les concerts de punks et importuner les personnes racisées dans les rues de Paris.
Les rues de Paris ne sont plus sûres
Les habitants des quartiers populaires, racisés, vont trouver avec les redskins des alliés de poids. Ils vont créer une bande de chasseurs de skins, les red warriors. Ces jeunes, colériques, multiculturalistes, fans de punk, vont commencer à sillonner les rues et prendre violemment à partie les bones qui traînent dans la capitale. Les bagarres sont violentes, les bandes armées, les pouvoirs publics impuissants.
À ce stade, vous pensez que je vous arnaque et que je ne parle plus du film. Même si tout cela se déroule après la fin du film, les références à cette période vont jusqu’aux noms des protagonistes. Rudy est un groupe antifa de la fin de cette époque, fusion entre les reds et des nouveaux venus. Rico, lui, un célèbre membre des red warriors.
Vous pouvez en apprendre plus dans un reportage que je vous invite à voir. On y entend des reds parler de la complicité de la police qui n’arrête jamais ces criminels. Je dis criminels parce que certains reds sont morts dans cette lutte. Certains bones aussi d’ailleurs. Le plus célèbre d’entre eux, grand ami de Serge Ayoub, finira paralysé par un tir lors d’une bagarre. Encore une référence présente dans le film car le groupe que l’on voit jouer est le sien, Evil skin.
Les Rascals, un film travaillé
Chaque détail du film est soigné. De la musique du film choisie parmi des titres d’époque, à la présence de Sidney le présentateur de HIP HOP (les vieux savent !). La profondeur des personnages, tant les fachos que les autres. Les références culturelles, criminelles, visuelles. En bref, il faut que vous voyiez ce film. Malheureusement, il a été déprogrammé une semaine après sa sortie, faute de promotion sur les grandes chaînes. À croire que la rediabolisation du FN ne les intéresse guère. Il faudra attendre la sortie de la série, qui s’installe dans le décor que je viens de vous décrire, pour profiter à nouveau de l’immense talent de Jimmy Laporal-Trésor.
F. BOUTIN