C’est un nom connu des lecteurs et lectrices de l’Insoumission : Annie Ernaux. Le jeudi 6 octobre 2022, l’écrivaine a obtenu le Prix Nobel de littérature. De la fierté, de l’émotion aussi que de voir une telle figure de la littérature française obtenir un prix dont la remise est scrutée dans le monde entier. Mardi déjà, c’était le physicien français Alain Aspect qui recevait le Nobel dans sa discipline. Une moisson de récompenses pour notre pays.
L’occasion de revenir sur la vie et l’œuvre de la lauréate du jour qui a inspiré sans nul doute de nombreuses personnes parmi vous, lecteurs et lectrices de l’Insoumission. En décembre déjà, nous vous faisions le portrait d’une auteure qui a marqué son époque, bouleversé le roman contemporain et marquera à n’en pas douter l’Histoire. Une immense dame. Une immense plume. Une immense œuvre. Une figure de l’insoumission. Une transclasse qui aura poussé beaucoup d’insoumis à prendre la plume. Nous lui rendons aujourd’hui hommage.
Annie Ernaux, Prix Nobel de littérature !
Le jury du Prix Nobel a justifié son choix en indiquant qu’Annie Ernaux était récompensée pour “le courage et l’acuité clinique avec laquelle elle découvre les racines, les éloignements et les contraintes collectives de la mémoire personnelle”. Pour la télévision suédoise, la lauréate a déclaré que ce Nobel constituait un “très grand honneur”, assorti d’une “grande responsabilité” : la responsabilité de continuer à témoigner « d’une forme de justesse, de justice, par rapport au monde« .
À travers la mise en récit de sa vie, Annie Ernaux écrit depuis près d’un demi-siècle maintenant notre mémoire collective : une société qui se transforme, la mémoire des femmes en quête et en lutte pour leur émancipation, la mémoire de celles et ceux que trop souvent les gouvernements oublient. Elle le fait avec un style le plus neutre possible, le réel n’ayant pas besoin de métaphores pour être saisie, l’écriture ayant pour fonction de sauver « toutes les images [qui] disparaîtront » (Les Années). En faisant cela, elle réhausse aussi ce qu’il y a de plus banal dans nos existences, parfois considéré indigne pour la littérature, au même niveau que des préoccupations plus existentielles sur le temps ou l’Histoire.
Annie Ernaux est la voix des femmes qui luttent pour leurs libertés en 20ème siècle.
Dans L’Évènement par exemple, elle décrit un avortement clandestin qui a eu lieu douze années avant que la loi Veil ne soit votée. Le cancer, l’avortement, la séparation, la sexualité et précisément l’exploration du plaisir féminin, les transfuges de classe, autant de sujet qu’elle aborde, en plus de dessiner au fil de ses romans, de ses carnets de notes, de ses autosociobiographies, un tableau fin de la France.
Dans Regarde les lumières mon amour publié en 2013, elle analyse la société de consommation, les classes sociales grâce à des observations conduites pendant deux ans dans l’hypermarché Auchan de Cergy qui se trouve dans le centre commercial des Trois Fontaines.
Annie Ernaux, compagnonne de route de l’Insoumission
Sans revenir dans le détail de son œuvre (nous le ferons bientôt, c’est promis !). Cet article rend aussi hommage à une écrivaine militante et compagnonne de route de l’Insoumission. Dès 2012, l’auteure avait soutenu Jean-Luc Mélenchon, alors candidat du Front de Gauche, soulignant qu’il portait une parole “qu’on n’entendait plus”.
Soutien des Gilets jaunes, de la Palestine, féministe inépuisable, Annie Ernaux a également défendu la voix de celles et ceux trop peu écoutés en s’engageant publiquement. En décembre 2021, elle fait partie des premières personnalités à l’instar d’Aurélie Trouvé à rejoindre le Parlement de l’Union populaire. Une présence qui avait ravie notre camp politique qui avait la chance et l’honneur de recevoir le soutien d’une femme à l’engagement constant et sans faille.
Depuis l’annonce du prix, les hommages et félicitations à la désormais Prix Nobel de littérature se sont multipliés.
De la part d’artistes dont elle a probablement participé à faire éclore la sensibilité autant qu’elle a forgé leur détermination à utiliser leur force créatrice du côté des exploités.
De la part de ses compagnons de lutte au sein de l’Union Populaire
Mais également venant de personnages que la nouvelle Prix Nobel semble porter un peu moins dans son cœur.
Notamment des hommes politiques qui refusent systématiquement le milliard pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles réclamé par les associations féministes et proposé à l’Assemblée nationale par les députés LFI chaque année depuis 2017. Par sûr non plus que l’écrivaine qui a si bien décrit les causes et les méfaits de la honte sociale apprécie l’hommage d’un homme dont le mépris pour celles et ceux “ qui ne sont riens” comme il les appellent n’a d’égal que le melon de Raphaël Enthoven ou BHL.
Les oubliés du siècle ? Il fallait oser pour celui qui fracassé les Gilets Jaunes. Pour celui que Annie Ernaux combat, comme toutes celles et tous ceux qui se soucient vraiment des oubliés. Si Emmanuel Macron s’imagine qu’une seule des personnes dont la vie a été bouleversée par les mots d’Annie Ernaux peut croire une seconde à la sincérité de son hommage… Elle qui a toujours soutenu celles et ceux qui s’opposaient à sa politique et sa vision du monde. Bref… Passons, aujourd’hui est jour de fête pour celles et ceux qui luttent pour de vrai pour la liberté des femmes et les oubliés du siècle, nous ne nous laisserons pas gâcher notre joie par quelques charognards de popularité.
Place maintenant à un hommage plus personnel de la part de rédactrices et rédacteurs de l’Insoumission.
Marion Beauvalet :
J’ai lu pour la première fois La Place d’Annie Ernaux au collège. Je n’avais pas compris à l’époque ce qui se jouait dans ce roman. C’est en le relisant quelques années plus tard que j’ai saisi la force qui se dégageait de ce texte. En grandissant encore, j’ai continué à lire ses textes qui avaient pour moi une résonance particulière : comme Annie Ernaux, j’ai passé les premières années de ma vie à Yvetot, comme elle j’ai vécu à Rouen.
Les lieux qu’elle décrivait, je les connaissais avec plusieurs années de différences. Mais les mots qu’elle pose sur le monde ne vieillissaient pas. Une drôle de coïncidence que de connaître les lieux qu’elle décrit si précisément, comme si les existences et époques s’entrelaçaient.
Ses romans mettent également en lumière la condition des femmes, la lutte pour disposer de son corps, l’égalité, l’émancipation, tant à un niveau collectif qu’individuel. De l’étudiante à la femme plus âgée qui lutte contre la maladie ou décrit le regard des autres sur elle, Annie Ernaux c’est toujours cette fougue de vivre, d’aimer, toujours avec simplicité. Cela peut sembler anecdotique, mais de tels écrits vont tellement à rebours des stéréotypes véhiculés trop souvent dans la publicité ou au cinéma qu’ils libèrent celles et ceux qui la lisent.
Je l’avais rencontrée en 2013, lors d’une séance de dédicaces à Rouen. C’était la première fois depuis longtemps qu’elle revenait ici et c’était l’un des premiers livres que je me faisais dédicacer. J’ai eu l’honneur de la recroiser lors du lancement du Parlement de l’Union populaire en décembre dernier. À cette occasion, en discutant avec des camarades de l’honneur que nous avions de nous trouver à ses côtés, je me suis aperçue que ses textes accompagnaient chaque génération de femmes, chacun d’entre-eux constituant des fragments de la mémoire de nos luttes pour être souveraines de nos corps, souveraines de nos destins.
Cette mémoire va au-delà du féminisme, puisque ses romans sont également un lieu de description du réel : la campagne normande, les classes sociales, les inégalités, la fierté de ses parents, la difficulté d’être un ou une transfuge de classe, etc.
Merci infiniment pour vos livres, vos mots, votre engagement constant.
Ulysse Kummer :
Annie Ernaux pour moi, c’est d’abord un roman : Retour à Yvetot, reçu des mains de ma mère. Puisque j’avais dévoré passionnément celui à Reims qu’elle m’avait déjà transmis, ce retour-ci ne pouvait que me plaire également. Passation de génération, manière pudique de transmettre son amour, par le biais des livres, ces objets si neutres et communs en apparence et qui pourtant jalonnent, marquent, inscrivent des repères, des transitions dans la vie des celles et ceux qui ont eu le bonheur de connaître le plaisir de la lecture.
Puis Annie Ernaux, c’est pour moi une voix à la radio. Une voix sillonnée par les années, une voix douce pour son interlocutrice qui semble mesurer la chance qu’elle a de recueillir ses mots, rare dans les médias. Une voix soudain dure et sans concession quand vient les questions des discriminations contre les femmes, et de l’exploitation des êtres humains.
Une voix douce pour les simples, sans prétention, les exploités, les bons, les doux. Une voix dure contre les puissants qui profitent. Et toujours, une insolence assumée, un goût pour la dérision et la transgression. Les normes sociales, quand on est une femme, née en périphérie sociale et géographique, sont toujours des carcans imposés de l’extérieur. Et du haut de son immense talent et de sa grande expérience, Annie Ernaux nous insuffle le courage de s’en libérer.
Je n’ai mis un visage sur cette voix captivante et ces pages dévorées avec avidité que lorsqu’elle a annoncé rejoindre le Parlement de l’Union Populaire lors de la campagne de Jean-Luc Mélenchon. Découvrir que je plaçais mes espoirs de changement pour un monde meilleur dans le même mouvement qu’Annie Ernaux a été une source inépuisable de force et de courage.
Annie Ernaux représente pour moi avant tout l’espoir. L’espoir de se bonifier avec l’âge. D’aiguiser à chaque nouvelle saison qui passe sa sensibilité autant que son esprit critique, de cultiver sans cesse sa capacité à écouter le moindre frémissement de juste indignation en même temps que celle de peindre en quelques traits (d’esprit) l’ambiance d’une époque, l’état d’une société. Annie Ernaux soulève en moi l’espoir de rester toujours au contact des pensées nouvelles et novatrices, puisqu’elle parvient, elle, du haut de son immense talent, à rester encore et toujours précurseure, peut-être serais-je capable, pour ma part de rester d’une insatiable curiosité.
Annie Ernaux enfin, c’est la fierté. La fierté de me trouver du même côté qu’elle dans les conflits qui opposent les dominés aux dominants, les exploités aux exploiteurs, les opprimés et les puissants.
Ce prix Nobel de littérature récompense bien sûr une qualité hors du commun pour choisir et aligner les mots. Il consacre une maîtrise sublime de l’écriture en langue française, certes, mais bien plus.
Annie Ernaux a inventé un style littéraire, l’autobiographie sociologique. Sa rare capacité à manier les mots a toujours été un vecteur de transmission d’une vision, d’une analyse de la société. Une société qu’il faut faire évoluer. Et sa littérature enfin est un moyen de participer à cette évolution nécessaire, sa manière à elle d’entrer dans le combat collectif pour la dignité de chacune et chacun, pour la libération réelle de celles et ceux qui sont partis avec le moins de capital social, économique ou culturel, celles et ceux qui sont écrasés dès leur naissance par des normes sociales qui assurent la reproduction des privilèges.
Et c’est tout cela qui a été récompensé par ce Prix Nobel de Littérature. Alors, oui, ce Prix a été décerné à une personne. Mais je suis certain qu’elle sera heureuse de le partager avec toutes les personnes chez qui elle a contribué à forger une conscience révolutionnaire.
Merci Annie, les mots que tu nous as donnés et ce prix qui les récompense illumine le cœur de celles et ceux qui espèrent être dignes de marcher dans tes pas.
Nadim Février :
Que vous dire sinon bravo ? Que vous dire, sinon que vous méritez amplement ce prix Nobel de littérature ? Vous êtes la première femme à le recevoir, ce n’est pas rien.
Il y a des lectures qui bouleversent une vie et changent une vision du monde. Celle de La Place en fait partie.
Bravo Madame, et merci ! Vos écrits sont très précieux. Grâce à vous et à votre plume, la France parle au monde.
Pierre Joigneaux :
Annie Ernaux. Je vous ai croisé le dernier soir de la campagne présidentielle. Vous étiez venue nous apporter votre soutien, avec votre classe habituelle. Je n’ai pas osé venir vous voir. J’avais dans mon sac Les armoires vides. J’aurais tant de choses à vous dire. Vous êtes de celles qui m’ont poussé à écrire. Et je sais que je suis loin d’être le seul. J’en ai parlé lors de notre entretien avec l’écrivain Édouard Louis, et je voudrais vous restituer ses mots : « je connais des gens qui se sont engagés politiquement après avoir lu Annie Ernaux ». C’est le cas aussi du grand Xavier Mathieu, l’auteur de Leurs enfants après eux, qui vous adresse ces mots : « vous l’aurez compris, je vous aime ». Vous avez, je crois, accompagné et poussé beaucoup d’insoumis à écrire.
D’un point de vue personnel, je sais aussi ce que vous avez porté à mon père. Transfuge de classe comme vous, il en a beaucoup souffert lui aussi. Venir d’en bas et ne jamais se sentir à sa place, ni là où on est arrivé, ni quand on revient parmi les siens. Combien se sont identifiés à travers votre plume ? Didier Eribon en parle si bien dans Retour à Reims. Peut-être que vous ne le savez pas, mais je crois que vous avez agrégé autour de vous, de votre œuvre, beaucoup de transclasse qui y ont trouvé refuge.
Et vous avez toujours eu le courage de votre insoumission. Je me rappelle de votre soutien aux Gilets Jaunes, au moment où la gauche bourgeoise se bouchait le nez. « Les rêves n’existent pas au passé, je suis toujours révoltée » avez-vous dit le 5 décembre 2019, donnant un frisson à toute la grande arche de la Défense pour le premier grand meeting de l’Union Populaire. Vous avez toujours été un modèle dans la lutte. Vous marchez devant.
Aujourd’hui, j’ai pleuré de joie en apprenant la nouvelle. Annie Ernaux, prix Nobel de Littérature ! La classe internationale pour la France. La première femme française prix Nobel de Littérature, et quelle femme ! Votre voix de prix Nobel de Littérature, qui portait déjà dans nos cœurs, va pouvoir désormais porter encore plus, pour que partout sur terre, les oubliés puissent trouver refuge dans votre chef-d’œuvre. Merci.
Pierre Joigneaux.