Pierre Omidyar a vu sa fortune doubler entre 2020 et 2021, le secteur du numérique dans lequel il officie ayant largement bénéficié de l’impact de la crise sanitaire. Le fondateur d’eBay n’est plus aux manettes de l’entreprise. Il est aujourd’hui essentiellement occupé à faire fructifier les parts qu’il détient dans l’entreprise, en évitant de payer trop d’impôts. Et il se forge une image de généreux donateur. Mais qui est Pierre Omidyar ? L’insoumission vous dresse son portrait.
Ces profiteurs de crise, ils ont des noms, ils ont des adresses. L’insoumission va s’atteler à les démasquer. Cinquième épisode de notre série sur les profiteurs de crise : Pierre Omidyar. Portrait.
Un parcours Silicon Valley typique
Qui est-il ? Difficile de trouver des informations sur cet ultra-riche ailleurs que dans les médias économiques libéraux. Né à Paris, il grandit et étudie aux États-Unis. Il débute dans la Silicon Valley, où il crée notamment une start-up qu’il revend à Microsoft. C’est le début des profits. Il lance en 1995 AuctionWeb, un site d’enchères en ligne qui devient en 1997 eBay.
En 1998, le groupe est coté au Nasdaq à New-York. Pierre Omidyar devient milliardaire à 30 ans. En 2002, eBay achète la société de paiement en ligne PayPal puis la scinde en 2014. Un parcours typique de self made man comme les aime la presse de… gauche. « La Silicon Valley est une terre propice aux réussites et aux légendes. Pierre Omidyar en est l’incarnation. », avait écrit Laurent Mauriac pour Libération.
Pierre Omidyar, un milliardaire retiré des affaires… mais pas trop
N° 14 au classement Challenges des fortunes 2022, et 1er dans le secteur numérique, Pierre Omidyar possède une fortune estimée à 8 500 millions d’euros en juillet 2022. Elle a fluctué ces dernières années, passant de 2 000 millions d’euros en 2018 à 10 000 millions d’euros en 2020 pour doubler en 2021, atteignant 20 000 millions d’euros. Revers de fortune en 2022, M. Omidyar retrouve un niveau inférieur à 2020, mais rassurons-nous, bien meilleur qu’en 2018.
Pierre Omidyar serait aujourd’hui retiré des affaires, bien que détenant toujours 5 % d’eBay, 6 % de Paypal et des participations dans des biens immobiliers en Californie et au Mexique. Il a aussi fait une incursion dans les médias en créant le groupe de presse en ligne First look Media, positionné en journalisme de contre-pouvoir. Le groupe a été à l’origine de The Intercept, magazine dédié aux révélations d’Edward Snowden. Plusieurs journalistes ont rapidement quitté le groupe pour cause de dissensions avec la direction. L’ouverture a ses limites.
Champion de l’optimisation fiscale d’un côté, philanthrope de l’autre
Pierre Omidyar s’est exprimé en 2019 en faveur d’une augmentation de l’impôt sur les plus-values, et même d’une « taxe sur les données ». Mais il est réticent à un impôt sur la fortune, qui pourrait « provoquer une fuite des capitaux et complexifier les structures de propriété internationale, compliquant ainsi la décision de qui contrôle quelles ressources dans le monde ». Ouf ! Au moins c’est clair.
Rappelons qu’en 2017, Pierre Omidyar figurait sur la liste des Paradise Papers qui a révélé des montages internationaux d’évasion fiscale. À la différence des Panama Papers, cette enquête concernait moins le blanchiment d’argent sale que des schémas montés par des experts en optimisation fiscale (avocats, experts-comptables…). Elle a mis au jour des pratiques légales de multinationales ou d’ultra-riches. Une véritable industrie de l’évasion fiscale s’appuyant sur les réseaux internationaux des grandes banques pour faire circuler l’argent et utilisant les possibilités laissées dans les différents pays pour éviter l’impôt.
On fait souvent le portrait de Omidyar en généreux milliardaire philanthrope sur le modèle de Bill Gates. Il est ainsi le « seul Français » à avoir signé le « Giving Pledge », campagne lancée par Warren Buffett et Bill Gates afin d’encourager les très riches à donner une partie de leur argent à des fins philanthropiques.
Faire de la charité permet avant tout à ces milliardaires de décider quelles causes méritent d’être soutenues et de quelle manière. Reprenons l’analyse de Lionel Astruc, auteur de L’art de la fausse générosité (Actes Sud, 2019) sur la philanthropie à la sauce Bill Gates. Astruc parle de « philantro-capitalisme » : l’idée des tenants de ce mouvement – tous de très grandes fortunes – c’est de faire des affaires à travers la générosité en utilisant les méthodes du capitalisme. Il n’y a bien entendu aucune remise en question du système capitaliste.
Astruc illustre un système qui s’auto-alimente : la fondation Bill et Melinda Gates est financée par les dividendes de placements. Mais où investit le trust de Bill Gates ? Dans l’armement, dans les énergies fossiles, Coca-Cola, McDonald’s, Monsanto… Pis, la fondation aide de grands groupes à conquérir des marchés. Les placements et les actions de Pierre Omidyar, échappent-elles à ce système « philantro-capitalisme » à sauce Bill Gates ?
Par Sandrine Cheikh.