Arabelle et les intérêts fondamentaux du pays

A partir de 2014, ce programme de recentrage vers les activités de mobilité mène à ce que, Général Electric s’empare de la totalité de la partie « Énergie » d’Alstom (70 % de l’activité du site de Belfort), dans des conditions plus que douteuses : une enquête du Parquet National Financier est en cours depuis 2019.. On trouvera abondamment racontées les péripéties et les moyens plus que douteux qui ont permis à cette acquisition de se faire : pressions du gouvernement américain, emprisonnement aux USA d’un cadre dirigeant d’Alstom…

On se souviendra que l’acte final de cette vente se passait au début de l’année 2014, sous le mandat de François Hollande, que le ministre de l’économie – Arnaud Montebourg – avait tenté de bloquer la vente en invoquant un décret stipulant que des entreprises jugées utiles aux intérêts nationaux ne peuvent être vendues sans une autorisation administrative du ministre de l’Économie, et que ce fut donc son successeur qui signa la fameuse autorisation en novembre 2014, un certain Emmanuel Macron…

Toujours est-il qu’à travers cette acquisition, General Electric se trouve en position de leader incontesté pour ce qui concerne les turbines, que ce soit pour la production électrique (hydraulique, thermique fossile, nucléaire) ou la propulsion. Avec à la clé la promesse de créer plus d’un millier d’emplois, promesse qui ne sera jamais tenue, bien au contraire ; au total, ce sont plus de 3000 emplois qui seront sacrifiés.

En revanche, General Electric s’empare d’une pépite technologique : la turbine ARABELLE, considérée comme la plus performante et la plus fiable au monde, et qui équipe un tiers des centrales nucléaires dans le monde…

Et pour finir, depuis 2019, plombé par le retournement des marchés, General Electric s’approche de la cessation de paiement et tente de réduire, de vendre voire d’arrêter ses activités européennes dédiées à l’énergie, en particulier à Belfort : activités réseaux électriques, hydrauliques, centrales au gaz…. Et la technologie unique d ARABELLE.

Garder ARABELLE, c’est une question d’indépendance nationale

ARABELLE sera donc probablement à vendre. La turbine, mais aussi tous les contrats de maintenance. Et lorsque l’on mesure que ARABELLE équipe d’ores et déjà l’essentiel du parc nucléaire national, voire mondial, c’est une grande partie de l’indépendance énergétique du pays qui est en cause… Il ne s’agit plus d’être pour ou contre le nucléaire, mais bien plus simplement d’assurer une transition énergétique planifiées et contrôlée dans les meilleures conditions possibles.

D’autant que ARABELLE a évolué, et que les promoteurs de cette technologie (anciens d’Alstom) l’ont étendue à l’éolien, voir à l’hydrolien : une turbine, cela sert transformer un mouvement linéaire (flux de vapeur, mais aussi de vent ou d’eau…) en un mouvement rotatif (pour un alternateur).

ARABELLE va-t-elle passer dans le giron de fonds de pensions, ou plus vraisemblablement sous contrôle chinois ? (après tout, depuis plus de 20 ans nous leur avons complaisamment offert notre technologie, pourquoi ne pas continuer…). Plusieurs personnes, à l’origine d’ARABELLE, œuvrent depuis une bonne année pour tenter de conserver ce joyau en France en alertant les acteurs énergétiques.

Du côté d’EDF, les turbines Arabelle ne sont pas une priorité. EDF n’a pas vocation à reprendre ses fournisseurs en difficulté. Du côté de l’administration ou du gouvernement, on ne semble pas prêt à bouger. Alors que lors de la tentative de rachat de Carrefour par le canadien couche-tard, le veto du gouvernement français avait été immédiat. Le poulet plus essentiel pour la sécurité du pays qu’un pan de son indépendance énergétique ? Mais peut-être ne faut-il pas négliger le fait que c’est Emmanuel Macron qui a fini par autoriser le démantèlement de Alstom au profit de Général Electric.

Et pourtant, le code pénal punit les atteintes aux intérêts fondamentaux de la nation dont « les éléments essentiels de son potentiel scientifique, économique et culturel » doivent être appliqués pour défendre l’indépendance nationale.

Et pourtant, la solution existe : cela avait déjà été dit en 2017, lors de la campagne des présidentielles, cela avait été répété il y a quelques mois à propos de la pandémie et de Luxfer (bouteilles d’oxygène à usage médical). Cela a même été mis en œuvre en 2018 avec la nationalisation du constructeur naval STX, redevenu les Chantiers de l’Atlantique.

Cela consiste, dès lors qu’une entreprise est indispensable aux intérêts fondamentaux de la nation, ou que sa position est unique en France, à empêcher sa disparition ou sa prise de contrôle par des intérêts étrangers. Au besoin par une nationalisation, peut-être temporaire, le temps de trouver une solution nationale…

Pour le cas de ARABELLE ou plus généralement d’Alstom, ce n’est rien d’autre que de mettre en œuvre le projet de la France Insoumise : rendre à l’énergie son statut de bien public, en la faisant autant que faire se peut sortir du secteur marchand.

L’illusion de l’indépendance énergétique

La perte possible du contrôle d’Arabelle ne fait qu’illustrer la perte de souveraineté énergétique qui a commencé depuis pas mal d’années.

Du point de vue ressources bien évidemment, puisque aujourd’hui, notre énergie dépend pour près de 90% d’importations : charbon, pétrole, gaz et uranium. La seule ressource propre, et même au sens littéral du terme, ce sont les énergie renouvelables : l’eau (l’énergie hydraulique), l’éolien, le solaire thermique ou photovoltaïque.

Mais du point de vue technologique également : avec la fermeture annoncée de General Electric Hydro (ex-Alstom), ce sont les alternateurs de systèmes hydrauliques qui vont disparaître. GE Steam Power, avec ses 1000 employés et sa production de turbines à gaz, ce sera bientôt de l’histoire ancienne.

Et ceci, sans même évoquer le « nucléaire français », que certains voudraient voir ériger en patrimoine national : la récente association PNC (Patrimoine Nucléaire et Climat) défend l’idée d’un nucléaire français (depuis 1939 ?) seul capable de contrer le réchauffement climatique et d’assurer notre indépendance…
Mais se rendent-ils compte que même dans le domaine du nucléaire – que l’on aime le nucléaire ou pas – le « nucléaire français » est une notion depuis longtemps dépassée ; sans même parler des turbines Arabelle qui équipent les centrales française, on pourrait parler des systèmes de contrôle et commande de l’EPR, en majorité réalisés par Siemens, de l’engineering général confié à une entreprise suisse, et de la métallurgie (cuve et autres générateurs de vapeur) qui, après le scandale de AREVA-Creusot, va être fabriquée au Japon ou en Corée pour les futures centrales…

En résumé, et l’histoire récente d’Arabelle le montre bien, notre énergie garante du développement, dépend de plus en plus de pays étrangers, pas toujours recommandables… Raison de plus pour passer aux renouvelables, qui réduise cette dépendance.

Jean-Marie Brom