Le rap valorise-t-il nos quartiers ?

Le rap valorise-t-il nos quartiers ? C’est la question passionnante qui a été posée lors du premier épisode de la série « Débats Quartiers Pop » organisé par des Jeunes Insoumis·es d’Aix-Marseille ce 9 septembre 2021. L’ambition de la série « Débats Quartiers Pop » est de refaire parler de politique dans des zones où l’abstention est écrasante. Sans juger ni faire la morale, l’objectif est simple : écouter la vision de la société des citoyens sans-voix de nos quartiers. Ainsi, les jeunes insoumis vont sillonner les quartiers populaires de Marseille pour donner le micro à ses habitants. Ils ont commencé par le quartier des Flamants, dans les quartiers nord, avec pour thématique le rôle du rap dans les quartiers. Notre article.

Le rap est la musique la plus populaire en France. Ego-trip, ambiancé, conscient, il y en a pour tous les goûts. Mais est-il l’expression de la vie des jeunes des quartiers ? Comment le rap a pris autant de place ? En ouverture du débat ce 9 septembre dans le quartier des Flamants, l’animatrice Nabila pose sa première question : « On a surmédiatisé le rap suite aux émeutes des années 1990, le rap est devenu l’expression des quartiers quand les journalistes ont cherché des porte-paroles. Est-ce encore le cas ou est-ce un mythe ? ».

« Le rap est un cri. »

« Le rap est un cri » nous explique la slammeuse Zumrati, habitante des Flamants qui nous raconte n’avoir appris à connaître le rap conscient que depuis peu. Une personne âgée prenant la parole y voit une « arme politique qui dénonce une société problématique que vivent les jeunes dans nos quartiers. » Nous avons aussi la représentation d’aspect moins positif du rap qui peut toucher certaines personnes dans leur intime : « Diams avait des causes politiques et certains rappeurs ont des textes sexistes et homophobes hier comme aujourd’hui ! ». À cette prise de parole, nous avons eu des réponses affirmant que « la fiction dans le rap doit être aussi prise en compte comme dans les autres arts ».

En effet, nous pouvons prendre l’exemple du rappeur Orelsan et le second personnage qu’il s’est créé, RaelSan son alter ego plus obscur. Cette inspiration est à l’instar du rappeur Américain Eminem et son « double » surnommé Slim Shady qui est associé à des paroles violentes, obscènes et diffamatoires. Pour répondre aux multiples polémiques liées à ses textes, il y a 20 ans, Eminem invitait Elton John, l’une des plus grandes figures LGBT, sur la scène des Grammys Awards 2001. Une performance mémorable.

« On se sent compris par le rap, on met des mots sur ce qu’on ressent. Il n’y a pas de guitariste ou d’opéra qui parle des quartiers. » 

Les personnes participant au débat tiennent surtout à dire que le rap est aussi l’art le plus populaire, le plus militant et le plus positif : « Tout ce qui m’a inspiré, c’est le rap. Il a fait la personne que je suis aujourd’hui grâce aux paroles de certains rappeurs et rappeuses, qui m’ont appris des leçons, qui ont forgé ma mentalité. ». Une autre personne déclare que « c’est un repère pour les jeunes, on se sent compris par le rap, on met des mots sur ce qu’on ressent. Le rap est presque le seul art qui permet ça. Il n’y a pas de guitariste ou d’opéra qui parle des quartiers. Il faut payer pour rentrer au conservatoire ou au Cours Florent, le rap est accessible. ». 

Le débat sur le rap ramène vite le sujet sur la table politique : « On a besoin d’être militants car on est toujours au même niveau, la politique n’est pas là pour nous, promesses non tenues, venues que pour les élections, le rap nous permet de reprendre en main nos luttes et donne sa chance à de vrais talents des quartiers. Faire un album, c’est du travail, ça montre que les gens des quartiers ne sont pas que des fainéants ou des violents. ».

L’argent dans le rap est soulevé à plusieurs reprises dans le débat, Hachimia habitante de la cité de la Castellane nous raconte que « certains associent la réussite des rappeurs pour le côté financier et non le côté artistique parce que l’argent est roi, on ne peut pas leur en vouloir, faut bien s’en sortir ! ». Ugo dans le public plus loin : « Moi à mon époque c’était Booba, c’était des paroles méga capitalistes, on écoutait ça car c’était fun ! » 

« Le rap doit rester dans la culture populaire qui raconte la vie de ses habitants ! »

Alexandre un jeune insoumis venant des quartiers sud, comprend que le rap « a permis l’émancipation de pleins de gens, les nouveaux bourgeois qui ont quitté les quartiers prennent cet art populaire pour en faire quelque chose de commercial, le rap doit rester dans la culture populaire qui raconte la vie de ses habitants ! ».

A la fin des années 80, le Hip Hop venant des États-Unis a émergé. Cet art de rue est cantonné par les médias comme appartenant aux cités. « Ça vient du Bronx ! ».  En France, ce sont les jeunes issus de l’immigration et des quartiers populaires qui s’en sont emparés. Les rappeurs et rappeuses brandissent souvent leur appartenance à un territoire pour prouver une authenticité, une crédibilité car le rap veut aussi rendre visible des minorités abandonnées, stigmatisées, discriminées et souvent pointées du doigt pour tous les maux de la société par une partie de la caste médiatique et politique dont la droite et l’extrême droite.

« Hood » pour les Américains, « quartier » pour les Français. Des jeux sous forme de compétitions peuvent alors s’effectuer à travers l’attachement d’une rue ou d’une ville du rappeur.  C’est par cet aspect que le rappeur Français Booba se nomme le « Duc de Boulogne » même s’il n’y habite plus actuellement. Les affrontements musicaux entre Marseille et Paris nous rappellent les compétitions dans le football. L’attachement du territoire est très fort pour les rappeurs.

Besoin que d’une feuille et d’un stylo, le rap : l’art le plus accessible

Dans les MJC et maisons de quartier, des studios et scènes sont mis en place par des rappeurs déjà reconnus pour les jeunes souhaitant s’initier à l’art du rap. La chanteuse Kenza Farah chantait « Je me rappelle toute une époque dans les MJC, avec mes potes c’est là que tout a commencé… ». C’est alors que pour faire du rap, c’est d’abord dans les quartiers populaires que cela débute.

Le rap comme le football sont deux mondes très majoritairement masculins qui font souvent rêver les jeunes garçons des milieux populaires. Il s’agit de deux milieux accessibles à cette jeunesse même sans infrastructure car pour s’y mettre, cela ne demande qu’un stylo ou un ballon. On peut s’élever socialement tout en restant soi-même. Ces deux milieux sont souvent vus comme les seuls moyens de réussites dans les quartiers populaires. Ils sont populaires car ils ne demandent pas à travestir les jeunes. Le succès peut arriver en restant ce qu’on est, sans changer de comportement ou son vocabulaire. Ils sont les milieux d’acceptation et d’estime de soi. 

L’art qui vient et qui parle de la rue

On peut alors se dire que les jeunes des quartiers ne savent pas faire que du rap mais c’est eux qui en font le mieux.  C’est l’art qui vient et qui parle de la rue et c’est pour cela que ce sont les jeunes des quartiers populaires qui le rendent plus beau, plus poétique par l’authenticité du vécu dans les textes.

Le rap est l’art le plus accessible pour les personnes venant des quartiers populaires, ce qu’on peut regretter car combien d’autre talents sont mis sous silence dans nos quartiers pour faute d’accessibilité aux autres arts ? Mourad, enfant de la Castellane jouait du piano à l’hôpital de la Timone en 2018, car il n’en avait pas chez lui. Il a fallu un coup de chance pour qu’une vidéo le montrant jouant du piano diffusée sur Internet cartonne, lui donnant alors le droit de rêver de devenir le nouveau Mozart des temps modernes. 

Les Jeunes Insoumis·es d’Aix-Marseille et Katia Yakoubi du livret Quartiers populaires