Tamponné par Jean-Michel Blanquer en personne ? Le sujet d’économie donné au bac 2021 a fait bondir plus d’un économiste ces derniers jours. Faisant fi des débats dans le champ économique, le sujet donné aux candidats libres en Sciences Économiques et Sociales (SES) ressemble en effet (très) fortement à une propagande gouvernementale en marche. Le voici :
« À l’aide de vos connaissances et du dossier documentaire, vous montrerez que des politiques de flexibilisation du marché du travail permettent de lutter contre le chômage structurel. »
Vous montrerez. Une injonction. Pas de place pour la discussion. Et pourtant, c’est peu de dire que le lien entre les politiques de flexibilisations du marché du travail et la lutte contre le chômage structurel est loin d’être établi. Il fait au contraire l’objet de débats et de remises en cause brûlantes au sein du champ économique.
Ce sujet est un parti-pris dans ce débat, celui des politiques néolibérales menées depuis plus de 30 ans en France : flexibiliser le « marché du travail », réduire le « coup du travail » : en baissant les salaires, en facilitant les licenciements, en précarisant toujours plus le droit du travail, pour « lutter contre le chômage structurel ».
Ce sujet est donc une arme au service de l’hégémonie culturelle de l’idéologie néolibérale : graver dans l’esprit des lycéens ce lien comme une évidence non-discutable. Une évidence qui justifierait donc non seulement de baisser les cotisations sociales et le salaire minimum, mais également de s’attaquer à la Sécurité Sociale et à la sécurité de l’emploi.
Les politiques de flexibilisations du « marché du travail », en s’attaquant méthodiquement au droit du travail ces dernières années, ont en effet favorisé l’explosion de la précarité des contrats de travail. Une récente enquête de l’INSEE montre qu’en 20 ans, le taux d’embauche en CDD dans les entreprises d’au moins 10 salariés en France, a progressé de 60 points, passant de 30% à 90%. Le taux des contrats ultra-courts de quelques jours a lui aussi explosé. Le résultat de politiques de réduction de la « rigidité du marché du travail », lire entre les lignes : de précarisation toujours accrue des contrats de travail.
Selon cette vision néolibérale, le salaire minimum représente une menace pour l’emploi puisqu’il représente « une rigidité du coût du travail ». C’est la thèse défendue dans le « dossier documentaire » de l’épreuve. Pourtant, là aussi le lien entre salaire minimum et chômage structurel n’est pas établi, et c’est le moins que l’on puisse dire.
L’Allemagne a adopté un salaire minimum fédéral en 2015. Et des études récentes montrent que cette avancée n’a pas eu d’impacts négatifs sur l’emploi. Au contraire, l’impact positif sur la productivité a été souligné. À l’inverse, l’Italie n’a pas de salaire minimum. Et pourtant le pays connaît un taux de chômage élevé. Et ce, malgré des réformes de libéralisation du marché du travail menées notamment par Matteo Renzi en 2014. Le lien entre « flexibilisation du marché du travail » et lutte contre le « chômage structurel » est donc largement discutable.
La notion même de « chômage structurel » fait débat. « Personne n’est capable de mesurer objectivement dans une économie comme la France la part du chômage qui serait “structurelle”, qui ne dépendrait pas du chômage effectivement enregistré dans le passé, et qui serait insensible aux politiques de relance » rappellent par exemple les Économistes atterrés.
Et si d’aucuns semblent avoir entériné l’évidence même de l’existence d’un « chômage structurel », armée de réserve permettant au capital de faire toujours plus pression sur le travail, d’autres affirment à l’inverse la possibilité d’un « plein-emploi ». Par exemple à travers l’instauration d’une garantie d’emploi pour tout chômeur souhaitant travailler. Des débats brûlants au sein du champ économique, balayés d’un revers de main par ce sujet.
Aux États-Unis, Joe Biden compte créer des « bons jobs, bien payés ». Le Président américain a récemment affirmé que son objectif est un « marché du travail » où ce sont les entreprises qui se battent pour leurs travailleurs et non l’inverse. Et non un marché du travail ayant pour principal objectif de toujours plus rémunérer les actionnaires, et pour ce faire, de toujours plus exploiter le travail, en faisant pression sur le salaire et les conditions de travail. Une actualité allant à l’encontre des politiques de flexibilisation du marché du travail, faisant le choix inverse de protéger le travail face à la prédation du capital, elle aussi balayée par ce sujet.
Cette injonction aux lycéens de démontrer que les politiques de flexibilisation du marché du travail permettent de lutter contre le chômage structurel constitue bien une pierre de plus dans la bataille culturelle menée par ce gouvernement. Une façon de graver au fer rouge l’hégémonie culturelle néolibérale dans les cerveaux dès 17 ans. Un sujet imposé qui est donc très loin d’être neutre et qui constitue une arme de plus pour le capital dans son rapport de force avec le travail. De la propagande gouvernementale un peu trop grossière pour ne pas se faire remarquer.
Par Pierre Joigneaux.