Mathilde Panot LFI

La Guadeloupe a soif d’égalité – Tribune de Mathilde Panot

Tribune de Mathilde Panot, Vice-présidente du groupe parlementaire de La France insoumise (LFI) à l’Assemblée nationale en déplacement pour 10 jours en Guadeloupe.

Ce samedi 5 juin, je suis arrivée en Guadeloupe dans le cadre de la commission d’enquête sur la mainmise sur la ressource en eau par les intérêts privés et ses conséquences que je préside. Nous y resterons 10 jours avec au programme : 25 heures d’auditions des différents acteurs et des visites de terrain.

La Guadeloupe est certainement le lieu le plus emblématique de l’alerte sur l’eau que nous voulons lancer. C’est d’ailleurs en grande partie pour les Outre-Mer, et notamment la Guadeloupe, que le groupe parlementaire La France Insoumise a demandé la création de cette commission d’enquête sur l’eau. Comme le disent les habitants : « Chez nous, l’eau est un accident ». Pourtant la Guadeloupe a deux fois plus de ressource en eau par habitant que l’Hexagone, mais tous les jours, le droit inaliénable à l’eau est bafoué.

Le scandale est total !

400 000 Guadeloupéennes et Guadeloupéens sont régulièrement privés d’eau. Les coupures d’eau rythment leur quotidien. À la rentrée, 44 écoles ont dû fermer faute d’approvisionnement en eau. Les témoignages des habitants affluent : ils doivent se doucher avec des bouteilles d’eau, tendre des seaux sous chaque robinet ouvert pour profiter de la moindre goutte au retour de pression dans les tuyaux, des parents avec des bébés se retrouvent parfois sans eau plusieurs heures et ou plusieurs jours d’affilée, les personnes âgées s’épuisent à porter les packs d’eau du supermarché ou les bidons de la fontaine. Une maman seule avec 5 enfants m’a écrit, désespérée, car elle avait reçu la veille de Noël un courrier du trésor public français lui réclamant 5000€ pour un relevé d’eau de 2017. D’autres usagers précaires reçoivent des factures d’un montant de 6 000€ ou de 17 000€… Toutes et tous racontent la détresse, la lassitude et le sentiment d’abandon.

Une crise systémique au coût humain et financier considérable

En Guadeloupe, la situation est si catastrophique que le mètre cube d’eau est facturé un tiers plus cher qu’en Hexagone. Si catastrophique que pour 100 mètres cube d’eau captés dans les rivières et les nappes phréatiques, seuls 40 mètres cube parviennent en moyenne à être distribués à la population tant le réseau est vétuste. Pour cela, on peut remercier les irresponsables qui ont négligé la réparation des fuites et des canalisations pendant des décennies, plongeant ainsi 400 000 personnes dans une situation de précarité hydrique et d’immense détresse.

Et même quand l’eau est là, le scandale sanitaire, social et écologique du chlordécone plane toujours. En 2016, les 36 premières matières détectées par l’Office de l’eau étaient des pesticides, dont 16 matières aujourd’hui interdites, et parmi elles, du chlordécone le plus souvent. Le désastre a deux visages : l’eau est une ressource rare, mais elle peut être contaminée par ce pesticide toxique qui a empoisonné les humains et les sols sur des générations, et pour lequel la responsabilité de l’Etat est engagée.

Un échec monumental

Depuis plusieurs décennies, la gestion de l’eau en Guadeloupe est un échec monumental : condamnations pour détournement de fonds publics, non-respect des règles d’attribution des marchés publics, défaillances chroniques dans l’accomplissement des missions, manquement aux obligations de traitement des eaux usées, non-respect des codes de l’environnement et de la santé, audits accablants, vétusté du réseau sans parler des milliers de fuites d’eau recensées.

Veolia, qui a géré l’eau pendant des décennies, est passé d’un excédent budgétaire de 18 millions d’euros entre 2000 et 2007, à un déficit de plus de 100 millions d’euros sur la période 2010-2015 avec des réseaux laissés à l’abandon. Véolia et le SIAEAG (Syndicat Intercommunal d’Alimentation en Eau et d’Assainissement de la Guadeloupe) laissent derrière eux une dette immense.

Pour tous ceux qui croient encore dans le dogme du marché et de la concurrence « libre et non faussée », la Guadeloupe est un cas d’école. L’eau est une ressource vitale et notre commun à toutes et tous. La laisser aux mains de multinationales qui pensent avant tout à leurs gains est une folie. La gestion publique, citoyenne, transparente et démocratique est la seule à même de répondre à l’enjeu n°1 du futur : garantir un droit à l’eau inaliénable !

Le droit à l’eau doit enfin être garanti

Voici ce que nous venons investiguer avec la commission d’enquête sur l’eau. Comment dans la 6ème puissance économique du monde, 400 000 personnes peuvent-elles se trouver dans une précarité hydrique indigne de notre République ? Où est passé l’argent ? Où est passée l’eau ? Mais au-delà des responsabilités politiques, nous venons surtout mettre en lumière et apporter notre aide aux mobilisations citoyennes, aux associations et collectifs, dans lesquels les insoumis prennent ici en Guadeloupe toute leur place, pour que le droit à l’eau soit enfin garanti.

Nous allons écouter et apprendre de ces citoyens engagés. Nous allons surtout nous battre pour que la dette ne soit pas payée par les usagers, pour que le milliard nécessaire à la rénovation des réseaux d’eau soit enfin investi et surtout pour que le droit à l’eau, pourtant reconnu à l’initiative de la Bolivie à l’ONU en 2010, soit enfin garanti dans notre Constitution avec la gratuité des premiers mètres cube d’eau indispensables à la vie et la suppression de l’abonnement.

Pour finir, je vous cite une habitante : « Le président pense que nous sommes mous, mais nous sommes juste habitués à souffrir. Nos enfants, eux, se révoltent. Donnez-nous de l’eau, sinon la Guadeloupe partira en flammes ».

C’est à cette seule condition que la colère légitime des Guadeloupéens et des Guadeloupéennes pourra s’éteindre.


Par Mathilde Panot