Des lois pour soutenir la culture en crise

Lutter contre la précarité des professionnels des arts et de la culture : entretien avec Michel Larive

À l’occasion de sa journée de niche parlementaire le 6 mai 2021, le groupe parlementaire de la France insoumise, porte une proposition de loi visant à instaurer un domaine public commun.

1. Pourquoi avoir choisi cette thématique et de quoi s’agit-il ?

Nous vivons depuis plus d’un an maintenant dans un pays où la culture est négligée, abandonnée, où le public ne peut plus vivre des émotions collectives en communion avec des artistes, où les artistes-créateurs eux-mêmes sont dans une situation de précarité inquiétante. Cette précarité, cette réification de la culture au service du capitalisme qui en fait une marchandise comme une autre, elles ne datent pas d’hier. Dès lors s’agit-il, a fortiori aujourd’hui, de réaffirmer le caractère essentiel de la culture, et le rôle social des artistes et créateurs en tant que porte-drapeaux d’une culture vectrice d’émancipation des individus et d’élévation du collectif humain. La culture est essentielle. Un corps social privé de culture meurt, car la culture est une alimentation, comme les autres. Qu’elle s’adresse à l’esprit, et non à l’estomac, n’enlève rien à son impératif. Elle porte en elle une part de notre humanité.

Nous proposons en ce sens un texte portant création d’un domaine public commun. D’une part, nous constatons avec gravité la pauvreté dans laquelle s’enfoncent des milliers de professionnels des arts et de la culture. À titre d’exemple, un dessinateur de BD sur deux perçoit un revenu inférieur au SMIC. Un tiers d’entre eux vit sous le seuil de pauvreté. D’autre part, nous rejetons un système de droits d’auteurs basé sur l’héritage, qui empêche tout partage des œuvres entre les ayants-droits et l’ensemble de la société. Il s’agit donc d’établir une solidarité intergénérationnelle entre les artistes morts et les artistes vivants, dont les subsides récupérés sur les droits d’auteur serviront à rémunérer dignement le travail des artistes, notamment celles et ceux qui n’ont pas droit au régime des intermittents du spectacle.

Cette proposition de loi, que je porte au nom du groupe parlementaire cette année, s’inscrit dans maillon d’une chaîne de trois propositions de loi portées précédemment par la France insoumise, visant à doter les artistes-auteurs d’un véritable statut social et à améliorer les conditions de vie et de création des professionnels des arts et de la culture.

2. Concrètement comment cela va-t-il sappliquer ?

Rappelons qu’aujourd’hui, lorsqu’un artiste décède, durant 70 ans ses ayants-droits bénéficient de l’entièreté des droits d’auteurs associés à ses œuvres, avant que ces dernières n’entrent dans le domaine public (avec suppression des droits d’auteur). Demain, il s’agirait d’établir un partage équitable entre les ayants-droits et la société. Très concrètement, à la mort de l’artiste et durant 70 ans, nous proposons la création d’une redevance, à hauteur de 50% des droits d’auteur perçus par les ayants droits, au bénéfice d’un nouveau ‘’domaine public commun’’. Au bout de 70 ans, aucun changement ne sera effectué par rapport à la situation actuelle.

Les subsides récupérés par la puissance publique serviront à financer la protection sociale et la création des professions créatives qui ne bénéficient pas actuellement du régime des intermittent·es du spectacle, sous la forme d’un nouveau régime d’indemnisation du chômage à négocier entre ces professions artistiques et ceux qui commercialisent la création.

En ce sens, nous nous inscrivons dans les propos de Victor Hugo, qui défendait à son époque : « L’héritier du sang est l’héritier du sang. L’écrivain, en tant qu’écrivain, n’a qu’un héritier, c’est l’héritier de l’esprit, c’est l’esprit humain, c’est le domaine public ». Nos intentions s’inscrivent dans la droite ligne des réflexions menées par Jean Zay. Ce dernier, dans l’exposé des motifs d’un projet de loi déposé au nom du gouvernement de Front populaire en 1936, transcrivait : « Alfred de Vigny exigeait, dès la mort de l’auteur, ‘un partage entre la famille et la nation’ et réglait ce partage sur des bases équitables ; nous ne pouvons mieux faire que d’adopter celles-ci presque intégralement ».

3. En quoi cette proposition de loi reflète ta vision de la culture ?

Depuis le début des temps, les arts et la culture ont façonné les sociétés humaines. Le rôle démocratique et social des artistes est fondamental. La pauvreté à laquelle notre système les condamne est indigne. Privilégier la solidarité intergénérationnelle à l’héritage est un choix politique que nous souhaitons mettre en œuvre, pour qu’enfin nos créateurs bénéficient de la couverture sociale que l’on est en droit d’attendre de toutes activités qui construisent nos sociétés.

La culture se doit de faire l’objet d’une véritable politique publique de la part de l’Etat. Au même titre que l’éducation et la santé, le culture est un droit fondamental. Je ne le répèterais jamais assez : la culture est l’antidote absolu contre les obscurantismes. Il est grand temps que le ministère de la Culture sorte enfin de sa léthargie, et que les artistes et créateurs soient dignement reconnus en tant que façonneurs d’une société libre et ouverte, au même titre que les enseignant·es ou les paysan·ne·s par exemple. Parallèlement, il s’agit de briser cette dichotomie entre une consommation de produits culturels ‘’jetables’’, standardisés, marchandisés et mondialisés d’un côté, et d’une culture ‘’savante’’ réservée aux dominants de l’autre. La culture doit être ouverte à toutes et tous, créatrice, émancipatrice et pourvoyeuse de lien social.

La culture doit être républicaine et la république culturelle.