Témoignage – Infirmière depuis 30 ans, remerciée au lance-pierre pour ses services

Lucie (dont le prénom a été modifié pour des raisons d’anonymat) est infirmière en hémodialyse. Aujourd’hui, après 30 ans de travaux acharnés, après avoir continué son travail en pleine crise de Covid-19, elle décide de nous raconter son quotidien, en lien avec les détériorations de son métier et des zones d’ombres qui l’empêchent d’accéder aux droits pourtant promis par le gouvernement. Voici le quotidien des “héroïnes” et des “héros” qu’on applaudissait au premier confinement. Loin des “médailles” promises par le gouvernement. Témoignage.

Je suis infirmière depuis trente ans. J’ai travaillé en hémodialyse dans plusieurs cliniques privées ( centre lourd ) et dans un centre d’auto-dialyse assistée privé géré par un néphrologue. J’ai vu mes conditions de travail se dégrader pendant toutes ces années, mon salaire peu augmenter. J’aime mon travail, j’aime soigner .

Nous sommes deux infirmiers à plein temps dans une structure qui peut compter à pleine capacité 12 patients par séance pour 2 séances par jour. Nous travaillons de 6h30 à 18h30 trois jours par semaine, et nous sommes aidés par une aide-soignante à temps partiel (6h ) deux jours par semaine et une journée complète de 12h par semaine. Nous assurons les soins des patients ( hémodialyse ), le secrétariat ( prise de rdv, préparation des dossiers, dossiers vacances, gestion des bons de transports, liaisons avec la sécurité sociale si nécessaire), la gestion des commandes de matériel de dialyse et des produits pharmaceutiques (que nous réceptionnons et rangeons ). Tout cela sans la présence du médecin, qui fait une visite médicale une fois par semaine .

L’hémodialyse s’adresse aux patients en stade d’insuffisance rénale terminale, lorsque leurs reins ne fonctionnent plus, c’est un traitement vital d’épuration du sang. Il consiste, à travers une membrane semi-perméable, ne laissant passer que l’eau et les substances dissoutes de petit poids moléculaire, à mettre en contact le sang du patient avec une solution de composition adaptée appelée le dialysat. Pour cela nous devons préparer un générateur pour chaque patient et après la prise des constantes : tension artérielle, poids du patient, nous mettons en place cette technique de dialyse selon les prescriptions du néphrologue . Le patient s’installe, puis est  » branché  » au circuit de dialyse via la mise en place de deux aiguilles dans son abord vasculaire. Cette ponction nécessite beaucoup d’attention et de soin, car cela peut s’infecter et cela peut avoir de graves répercussions sur la santé du patient. 

Durant sa séance de dialyse, les infirmiers s’assurent de son bon déroulement et de la non survenue d’incidents : chute de tension, crampes. Après la dialyse qui dure 4 heures en moyenne, le patient retourne chez lui. C’est un traitement lourd qui s’effectue en ambulatoire dans des hôpitaux, dans des cliniques avec la présence des médecins, mais sans présence médicale dans les centres d’auto-dialyse. Cela demande au personnel infirmier et aide-soignant beaucoup d’efforts et de vigilance.

Pendant le premier confinement ( de mars à mai 2020 ) j’ai beaucoup travaillé. En plus de mon temps-plein en auto-dialyse, des heures supplémentaires que je faisais pour assurer les dialyses des patients COVID, des patients non hospitalisés mais qui étaient hémodialysés sur d’autres jours que les patients COVID, j’effectuais des vacations supplémentaires par solidarité dans une clinique privée pour dialyser les patients malades du Covid, dont certains nécessitaient une assistance respiratoire ( oxygène ) et une antibiothérapie… Cela faisait parfois des semaines de 48 heures. J’étais épuisée. 

Avec le Ségur de la santé, qui prévoit une revalorisation des métiers des établissements de santé, j’ai eu un espoir. Mais quelle fut ma déception quand notre patron, que nous avions interrogé, nous a expliqué que nous n’avions pas droit à l’augmentation de salaire prévue dans cet accord au motif que nous ne faisions pas partie d’un établissement Médico-Chirurgico-Obstretrical. Nous sommes pourtant affiliés à la FEHAP (la Fédération des Établissements Hospitaliers et d’Aide à la Personne privés solidaires). Le conseil de l’ordre des infirmiers sollicité pour avis nous a avoué que nous faisions partie des  » zones d’ombre  » et que pour le moment nous échappons complètement à cette mesure de revalorisation, car nous sommes une structure privée d’auto-dialyse qui appartient à plusieurs médecins. 

C’est un beau métier que celui de soigner. J’ai été très fière d’être infirmière. Parfois je le suis encore. Accompagner, soigner, soulager la détresse et la douleur. On ne guérit personne en dialyse mais j’ai aimé être infirmière en hémodialyse, et je me suis appliquée à être une bonne soignante. Le salaire n’était pas à la hauteur mais les patients nous remerciaient, étaient conscients de notre travail et même des difficultés de nos conditions de travail. Nous les accompagnons sur de longues périodes. Soigner est un beau métier, on est au plus près de l’essentiel, mais on ne permet plus aux soignants de bien pouvoir soigner, on les laisse s’abîmer dans l’indifférence la plus totale. Je ressens une profonde lassitude, je voudrais terminer sur une note optimiste : mais là j’ai du mal.